Un matin, dans la forêt autrichienne, elle se réveille dans le chalet où elle a passé la nuit. Seule. Ses amis ne sont pas rentrés de leur soirée. Etonnée, elle explore les environs et se rend compte qu'elle est séparée du reste du monde par un mur invisible. Derrière ce mur, tout semble s'être arrêté en un instant, le temps est figé. Les animaux sont morts, comme pétrifiés. La vie semble continuer seulement à l'intérieur de cette forteresse invisible. Elle commence à écrire un long journal, pour se souvenir, ne pas se perdre dans le temps.
"Au cours de l'hiver dernier quelques jours m'ont échappé. Je ne pourrais pas dire non plus quel jour de la semaine c'est. Mais je pense que cela n'a pas beaucoup d'importance. Je n'ai à ma disposition que quelques rares indications, car il ne m'était jamais venu à l'esprit d'écrire ce récit et il est à craindre que dans mon souvenir bien des choses ne se présentent autrement que je les ai vécues."
Pour survivre, commence un long apprentissage. Elle se dépasse, découvre qu'elle est capable de bien plus que ce qu'elle pensait. La nature qui est un personnage de ce roman l'accompagne à chaque instant, parfois alliée de sa survie, parfois obstacle.
Toujours accompagnée de Lynx le chien, elle s'organise, prend des nouvelles habitudes. Elle, la citadine, elle apprend à vivre autrement, à subsister, à observer la nature. Elle accueille une vache, des chats, bricole, construit, déconstruit, plante, expérimente, fait des réserves, anticipe.
"Un jour, je ne serai plus là et plus personne ne fauchera le pré, alors le sous-bois gagnera du terrain puis la forêt s'avancera jusqu'au mur en reconquérant le sol que l'homme lui avait volé. Quand mes pensées s'embrouillent, c'est comme si la forêt avait commencé à allonger en moi ses racines pour penser avec mon cerveau ses vieilles et éternelles pensées."
J'ai tourné les pages de ce roman, captivée malgré la lenteur de la vie qui s'y écoule. On perd le fil du temps, de sa lecture mais également des repères du roman. On ne sait plus depuis combien de temps on lit, depuis combien de temps le mur est apparu. D'ailleurs le sait-elle elle-même notre héroïne ?
Ce rythme lent est propice au questionnement, sur la nature et l'incidence du comportement humain, mais aussi sur soi-même. Je n'ai pas pu m'empêcher de me projeter à la place de cette femme. Aurais-je eu la même capacité de réaction et d'organisation ? Aurais-je paniqué ? Aurais-je supporté cette solitude de chaque instant, ou justement, et finalement aurais-je apprécié être seule avec moi-même et quelques animaux dans ce décor de nature ?
"Je crois que le temps est immobile et que je me meus en lui parfois lentement, parfois à une vitesse foudroyante."
La plume de Marlen Haushofer est addictive. Quand bien même il ne se passe pas grand chose, on est emporté par l'histoire, on n'a pas envie de refermer le livre avant d'en savoir la fin et même on aimerait que cela dure plus longtemps, à ce rythme de la nature, reposant et entraînant à la fois.
En bref, le mur invisible c'est un roman d'anticipation fascinant. Marlen Haushofer a imaginé un monde d'après où la solitude est reine, où la seule façon de survivre est le dépassement de soi. C'est aussi un roman d'apprentissage, mais un apprentissage à l'âge adulte dans un environnement qui n'est pas familier et où on n'a pas de repères temporels. Un roman de l'attente et de l'espoir aussi.
Absolument captivant, un vrai coup de coeur ! J'aime tellement ce genre de « science-fiction » !
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