Mathias Enard

il y a un schéma technique du même genre à côté de tous les dispositifs du train, de la boîte à fusibles au lavabo, un des souvenirs de la précision soviétique sans doute, du systématisme, de la passion socialiste pour la technique et le progrès, et ces dessins sont beaux comme un poème de Maïakovski, un poème visuel à la gloire de l'homme nouveau, l'homme révolutionné fabriqué par les schémas et les plans de la beauté révolutionnaire.

Le sculpteur, épuisé par le voyage et les tracas, un peu réchauffé par le bouillon s'enferme dans son lit minuscule d'homme renaissant, parce qu'il a peur de l'image de mort que confère la position allongée.

Tu es capable de tendre une passerelle de pierre, mais tu ne sais pas te laisser aller aux bras qui t'attendent.

Je sais que les hommes sont des enfants qui chassent leur désespoir par la colère, leur peur dans l'amour ; au vide, ils répondent en construisant des châteaux et des temples. Ils s'accrochent à des récits, ils les poussent devant eux comme des étendards ; chacun fait sienne une histoire pour se rattacher à la foule qui la partage. On les conquiert en leur parlant de batailles, de rois, d'éléphants et d'êtres merveilleux ; en leur racontant le bonheur qu'il y aura au-delà de la mort, la lumière vive qui a présidé à leur naissance, les anges qui leur tournent autour, les démons qui les menacent, et l'amour, l'amour, cette promesse d'oubli et de satiété. Parle-leur de tout cela, et ils t'aimeront ; ils feront de toi l'égal d'un dieu. Mais toi tu sauras, puisque tu es ici tout contre moi, toi le Franc malodorant que le hasard a amené sous mes mains, tu sauras que tout cela n'est qu'un voile parfumé cachant l'éternelle douleur de la nuit.

" Tu penses désirer ma beauté, la douceur de ma peau, l'éclat de mon sourire, la finesse de mes articulations, le carmin de mes lèvres, mais en réalité, ce que tu souhaites sans le savoir, c'est la disparition de tes peurs, la guérison, l'union, le retour, l'oubli. "

Il était venu pour l'argent, pour dépasser Vinci et se venger de Jules II, et voilà que la tâche le transforme, tout comme la Pietà ou le David l'ont métamorphosé. Michel-Ange est modelé par son œuvre.

Des forces nous tirent, nous manipulent dans le noir; nous résistons. J'ai résisté. Peut-être la dernière barrière sera-t-elle la peur, le souvenir de ta main qui me caresse doucement comme si elle découvrait le tronc d'un arbre inconnu.

Mesihi aimait surtout la ville, les antres bruyantes ou buvaient les janissaires, l'activité du port, l'accent des étrangers.
Et, plus que tout, le dessin, la blessure noire de l'encre, cette caresse crissant sur le grain du papier.

Alors tu souffres, perdu dans un crépuscule infini, un pied dans le jour et l'autre dans la nuit."

Fais ce que tu as à faire,ici et maintenant.