Citations de Matthieu Mégevand (88)
À vrai dire, ce qu’il regarde surtout à s’en éclater l’iris, c’est la chevelure vénitienne de la jeune femme. Cette masse embrasée qui recouvre un visage allongé, presque chevalin, obnubile le peintre : il marmonne « la carne, la carne ! » en donnant de furieux coups de pinceaux carotte, citrouille, corail, tangerine, il penche la tête, observe encore, renifle, retourne à la toile, revient au modèle, scrute, s’épuise.
Mais à n'importe quel être humain qui écoute, n'importe quand, n'importe où, Mozart dit, comme un murmure qu'il insère entre l'âme et le coeur: tout s'achève, c'est inéluctable, pleure; et tout de même, et pourtant, écoute: c'est si beau.
Ce qui a uni Theresa von Trattner et Wolfgang Mozart a, dès le départ, dépassé le simple désir physique. Ce sont deux oiseaux rares qui ont, pour un temps, partagé la même cage. Ils n'ont plus pu vivre l'un sans l'autre. Ils se sont reconnus. Ils se sont aimés.
Une vie pour prouver au monde que dix petits doigts sur un clavier peuvent changer le plomb en or.
Car ce chant-là, il le reconnaît immédiatement. Tout homme, quel qu'il soit, porte en lui de manière confuse et brouillée ce cri, cette angoisse, ce vide désespéré. Qu'il aimerait tant parvenir, même le temps d'un soupir, même pour une seconde, à dire et à rendre.
La nuit, tandis que sa mère dort, que la frénésie de Paris s'interrompt, que les ténèbres encerclent sa chambre, il l'entend distinctement, ce silence. C'est un épais brouet. Une glu visqueuse. Il ondule, enfle, emplit la pièce. S'enroule autour de lui comme un serpent.
Des notes belles et resplendissantes, des mélodies qui sont pleines de douceur et de joie. Des étoiles, des soleils.
Dans le bateau, l'enfant chante à tue-tête désormais. Certains passagers l'observent et esquissent un sourire. Il met une telle joie dans ce chant. Ses membres sont parcourus de frissons. Sa tête, tournée vers le ciel, comme si l'air lui était adressé. A la toute fin, juste au moment d'un passage à la sixte, il marque une pause, détache les notes pour qu'on perçoive bien la modulation.
Il est à ce point avec lui-même, Wolfgang Mozart, il s’entend à ce point résonner qu’il inscrit sur la portée comme sous la dictée.
Pour la toute première fois, le mouvement lent est en mineur.
Il dit : tragique, d’être emmuré ici, dans cette petite ville de province et qui me bouche, me contient, me rabaisse. Il dit : comment vivre ainsi, sans que ne puisse rougir le charbon, déglutir la lave, briller les diamants. Il en pleure et il dit, pensant à Victoire qui recevra les pierres dans ses mains : si seulement nous avions pu nous aimer – mais nous ne nous aimerons jamais.
Il dit, mais bien plus encore : il fait comprendre.
"Une vie faite d'éclats et de noirceur, de belles gens et de chiffonniers. Une vie pour prouver au monde que dis petits doigts sur un clavier peuvent changer le plomb en or."
" L'amour, c'est autre chose .... l'amour, c'est seulement quand l'envie vous prend .... mais alors à en crever ... l'envie qu'on ait envie de vous ... à en crever aussi !"
" Alors, ça t'a plu, mon avorton d'amour ?!" dit-elle d'une voix grasse et éraillée.
" T'étais sublime ! Une garce sublime ! Tiens, regarde !"
Le petit homme tend alors son carnet de croquis à la danseuse qui jette un oeil, fronce les sourcils, puis sourit.
" Cà, y a pas à dire, tu sais les saisir, tes bonnes femmes !"
.. passe au bistrot suivant ou rentre à son atelier, débouche une nouvelle bouteille, l'avale d'une traite, dégobille, s'effondre, la nuit qui devient le jour et le jour qui redevient nuit, outre gonflée, barrique toujours pleine - mais cela, ce n'est rien, juste une brûlure, un vertige : tout plutôt que de se retrouver face au gouffre que la succube a creusé.
Comment cette femme, belle et jeune, a t-elle pu succomber aux avances de ce crapoussin lubrique ? Par quelles bizarreries, selon quelles déviances ? Nul ne le sait.
Mais après quelques séances dans l'atelier, il devint admis que Lautrec et Maria étaient devenus amants.
Lautrec a encore passé du temps au Mirliton à boire, des bocks et des bocks, un verger d'eaux-de-vie, à raconter des blagues graveleuses ou potaches et à offrir des tournées à une petite foule d'inféodés qui lorgnaient sa bourse pleine.
Cette silhouette courtaude, ce visage boursouflé, ces yeux humectés, les grosses mains, le gros nez, les grosses lèvres ;partout où il passe, Lautrec fait sensation et subit le regard intrusif, moqueur, méchant des hommes et celui, plus pénible encore, écoeuré des femmes.
Il s'approche de Carmen, son petit corps et ses courtes jambes de bouc, il a le nez à la hauteur des seins, et sans doute à cet instant, débarrassé de son obsession et dévoré par une autre, il voudrait plonger sa tête dans cette poitrine fraîche et qui pointe, mordiller les tétons, engloutir les deux poires, renifler l'odeur musquée des aisselles, lécher le sexe poilu ; mais il dit seulement : " Tu viens ? C'est moi qui offre !" ...
Il est à ce point obnubilé par Maria qu’il oublie les surnoms moqueurs dont on l’affublé. " Qu’importe, je l’ai et il ne l’ont pas. " ( page 71 )
Il prend pour exemple celui qui restera son seul maître pendant toute sa vie : Edgar Degas. " Lui, ses danseuses, il est allé les chercher sur le vif ! Il a pas travesti une petite en Terpsichore ! " ( page 42 )
Tu ressembles à la tour de Londres un soir de bruine! Faut te d'étendre un peu, mon gars... Vas-y bouge tes jambes, tes bras, pense à autre chose.