Citations de Max Jacob (160)
La poésie est une affaire de mise en cave. Par la suite, j'ai compris que parfois, pas toujours, on pouvait remiser un poème plusieurs mois ou même années, pour le retrouver et alors le parachever ; il avait, dans le même temps, mûri en soi.
Les amitiés de jeunesse durent autant que la vie. Au fur et à mesure qu'on avance en âge leur valeur se double de celle des souvenirs qui n'est pas mince, on y tient comme à la jeunesse même.
C’est ainsi que vêtu d’innocence et d’amour
J’avançais en traçant mon travail chaque jour
Priant Dieu et croyant à la beauté des choses
Mais le rire cruel, les soucis qu’on m’impose
L’argent et l’opinion, la bêtise d’autrui
On fait de moi le dur bourgeois qui signe ici.
Mais moi le receveur des impôts indirects
J’ai la tête un dimanche au niveau des insectes
Le soleil incendie ma nappe de chemise
Ce matin j’ai prié trois heures à l’église
Est-ce que je dors ou si je veille
Il y a un violon quelque part
Trois arbres qui voudraient danser, la mer approche son oreille
Moi j’ai le ciel bleu pour miroir.
C’est la cour de Marie qui le tient à deux mains
Des prophètes, des rois, des saints clairs et des anges
La méridienne, Greenwich et sous ton méridien
Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien
Souric et Mouric
Rat blanc, souris noire,
Venus dans l'armoire
Pour apprendre à l'araignée
À tisser sur le métier
Un beau drap de toile.
Expédiez-le à Paris, à Quimper, à Nantes,
C'est de bonne vente!
Mettez les sous de côté,
Vous achèterez un pré,
Des pommiers pour la saison
Et trois belles vaches,
Un bœuf pour faire étalon.
Chantez, les rainettes,
Car voici la nuit qui vient,
La nuit on les entend bien,
Crapauds et grenouilles,
Écoutez, mon merle
Et ma pie qui parle,
Écoutez, toute la journée,
Vous apprendrez à chanter.(
Le «
Je », le «
Toi » quelles sont ces personnes.
Il y a «
Toi » et le «
Toi » c'est le
Tout.
Changements de rideaux, changement d'Océan.
Tout n'est qu'illusion mais rien n'est le néant.
Tout meurt et vit encore.
On dirait que
Dieu joue.
Tout naît c'est toujours le
Un qui est le
Tout.
Le
Tout est un piano muet sans ta mélodie.
Tu es l'Un ! le monde est
Ton
Encyclopédie.
Je suis le moi pourtant et ma race est ma race.
Infatigable
Dieu, la douleur me terrasse :
où es-tu ?
Si je mens qu'est-ce que je corromps ?
Je détruis en péchant
Ton domaine mais...
Ton
Nom.
J'ai perdu ma poulette
et j'ai perdu mon chat,
Je cours à la poudrette
Si Dieu me les rendra.
Je vais chez Jean le Coz
et chez Marie Maria.
Va-t'-en voir chez Hérode
peut-être il le saura.
Passant devant la salle
toute la ville était là
à voir danser ma poule avec mon petit chat.
Ayant confié le cartable à la mousse
Avec les compagnons j'ai folâtré.
Déjà, à l'âge de trois ans, l'auteur de ces lignes était
remarquable : il avait fait le portrait de sa concierge en
passe-boule, couleur terre-cuite, au moment où celle-ci,
les yeux pleins de larmes, plumait un poulet. Le poulet
projetait un cou platonique. Or, ce n'était ce passe-boule,
qu'un passe-temps. En somme, il est remarquable qu'il
n'eut pas été remarqué: remarquable, mais non regret-
table, car s'il avait été remarqué, il ne serait pas devenu
remarquable; il aurait été arrêté dans sa carrière, ce qui
eût été regrettable. Il est remarquable qu'il eût été
regretté et regrettable qu'il eût été remarqué. Le poulet
du passe-boule était une oie.
Ah! L'envie me démange
De te faire un ange,
De te faire un ange
En fourrageant ton sein,
Marie Laurencin,
Marie Laurencin!
Avenue du Maine
Les manèges déménagent.
Manèges, ménageries, où ?…
Et pour quels voyages ?
Moi qui suis en ménage
Depuis… ah ! y a bel âge !
De vous goûter, manèges,
Je n’ai plus… que n’ai-je ?…
L’âge.
Les manèges déménagent.
Ménager manager
De l’avenue du Maine
Qui ton manège mène
Pour mener ton ménage !
Ménage ton manège,
Manège ton manège.
Manège ton ménage
Mets des ménagements
Au déménagement.
Les manèges déménagent.
Ah ! vers quels mirages ?
Dites pour quels voyages
Les manèges déménagent.
.
QUIMPER
O mes écrits nouveaux ! je veux qu'ils outrepassent
Le ciel ! le poète fidèle à son rêve impossible !
Attelé dans les bras solides de la Muse
Il écrit sur l'azur envers du Paradis.
Gentil Quimper, le nid de mon enfance
De lierre, ormeaux, roches tout tapissé,
Vois ce, d'un tendre effort, qu'à ta force
J'offre ! un miroir de hêtres et de houx,
Hêtres et houx cachant nos jeux de courses
Par intervalle dans l'étroite vallée !
Ayant confié le cartable à la mousse
Avec les compagnons j'ai folâtré.
A M. MODIGLIANI POUR LUI PROUVER QUE JE SUIS UN POETE
Le nuage est la poste entre les continents
Syllabaire d'exil et que les Océans,
Condamnés par l'Enfer à se battre en pleurant,
N'épèleront pas sur le vernis de l'espace.
Le noir sommet des monts s'endort sur les terrasses,
Sillons creusés par Dieu pour cacher les humains,
Sans lire le secret du nuage qui passe
Lui ne sait pas non plus ce que portent ses mains
Mais parfois, lorsque son ennemi le vent le chasse,
Il se tourne, rugit et lance un pied d'airain. (...)
Aujourd'hui, je ne vois les villes que comme un dessin à la plume ou un rideau de fils noirs. Vos toits, maison, des sommets de landes maussades. Hier les campagnes, je les voyais comme une tapisserie de soie mouvante.
La poésie est un cri, oui, mais un cri habillé.
VILLONELLE
Dis-moi quelle fut la chanson
Que chantaient les belles sirènes
Pour faire pencher des trirèmes
Les Grecs qui lâchaient l'aviron.
Achille qui prit Troie, dit-on,
Dans un cheval bourré de son,
Achille fut grand capitaine ;
Or, il fut pris par des chansons
Que chantaient des vierges hellènes.
Dis-moi, Vénus, je t'en supplie,
Ce qu'était cette mélodie.
Un prisonnier dans sa prison
En fit une en Tripolitaine
Et si belle que sans rançon
On le rendit à sa marraine
Qui pleurait contre la cloison.
Nausicaa à la fontaine
Pénélope en tissant la laine
Zeuxis peignant sur les maisons
Ont chanté la faridondaine !
Et les chansons des échansons ?
Échos d'échos des longues plaines
Et les chansons des émigrants !
Où sont les refrains d'autres temps
Que l'on a chantés tant et tant ?
Où sont les filles aux belles dents
Qui l'amour par les chants retiennent ?
Et mes chansons ? qu'il m'en souvienne !
On me dit là-dessus : oui, mais vous êtes d'une époque qui a sa couleur. Si vous ne parlez pas, un autre parlera avant vous. Or je prétends que c'est justement cette couleur de l'époque, c'est à dire la mode, qui est mauvaise. Ce qui est bon en vous, c'est ce qui est éternel, vous avez le temps de le dire.
PREMIÈRE PARTIE
FAUSSES NOUVELLES !
FOSSES NOUVELLES !
À une représentation de Pour la Couronne, à l'Opéra,
quand Desdémone chante « Mon père est à Goritz et
mon cœur à Paris », on a entendu un coup de feu dans
une loge de cinquième galerie, puis un second aux fau-
teuils et instantanément des échelles de cordes se sont
déroulées ; un homme a voulu descendre des combles :
une balle l'a arrêté à la hauteur du balcon. Tous les spec-
tateurs étaient armés et il s'est trouvé que la salle n'était
pleine que de... et de... Alors, il y a eu des assassinats
du voisin, des jets de pétrole enflammé. Il y a eu des
sièges de loges, le siège de la scène, le siège d'un stra-
pontin et cette bataille a duré dix-huit jours. On a peut-
être ravitaillé les deux camps, je ne sais, mais ce que
je sais fort bien c'est que les journalistes sont venus
pour un si horrible spectacle, que l'un d'eux étant souf-
frant, y a envoyé madame sa mère et que celle-ci a été
beaucoup intéressée par le sang-froid d'une jeune gentil-
homme français qui a tenu dix-huit jours dans une
avant-scène sans rien prendre qu'un peu de bouillon.
Cet épisode de la guerre des Balcons a beaucoup fait
pour les engagements volontaires en province. Et je
sais, au bord de ma rivière, sous mes arbres, trois frères
en uniformes tout neufs qui se sont embrassés les yeux
secs, tandis que leurs familles cherchaient des tricots
dans les armoires des mansardes.
p.30-31
Première partie
POÈME DE LA LUNE
Il y a sur la nuit trois champignons qui sont la lune.
Aussi brusquement que chante le coucou d'une hor-
loge, ils se disposent autrement à minuit chaque mois.
Il y a dans le jardin des fleurs rares qui sont de petits
hommes couchés, cent, c'est les reflets d'un miroir.
Il y a dans ma chambre obscure une navette lumineuse
qui rôde, puis deux… des aérostats phosphorescents,
c'est les reflets d'un miroir. Il y a dans ma tête une abeille
qui parle.
p.76
DEUXIÈME PARTIE
GÉNÉROSITÉ ESPAGNOLE
Par un Espagnol de mes amis, le roi d'Espagne m'a
fait donner trois gros diamants sur une chemise, une
collerette de dentelle sur une veste de toréador, un
portefeuille contenant des recommandations sur la
conduite de la vie. Voitures ! boulevards, visites chez
des amis : la bonne couchera-t-elle avec moi ? M. S. L. a
tendu la main à G. A. qui la lui a refusée sans motifs.
Je suis raccommodé avec les Y... Or, voici qu'à la Biblio-
thèque nationale je m'aperçois que je suis surveillé.
Quatre employés s'avancent vers moi avec une épée de
poupée chaque fois que je cherche à lire certains livres.
Enfin un tout jeune groom s'avance : « Venez ! » me dit-il.
Il me montre un puits caché derrière les livres ; il me
montre une roue de planches qui a l'air d'un instrument
de supplices : « Vous lisez des livres sur l'Inquisition,
vous êtes condamné à mort ! » et je vis que sur ma manche
on avait brodé une tête de mort : « Combien ? dis-je. —
Combien pouvez-vous donner ? — Quinze francs. —
C'est trop, dit le groom. — Je vous les donnerai lundi. »
La générosité du roi d'Espagne avait attiré l'attention
de l'Inquisition.
p.170