Max Jacob

L'art est un jeu, tant pis pour celui qui s'en fait un devoir.

J'ai retrouvé Quimper où sont nés mes quinze premiers ans
Et je n'ai pas retrouvé mes larmes.
Jadis quand j'approchais les faubourgs blancs
Je pleurais jusqu'à me voiler les arbres.
Cette fois tout est laid, l'arbre est maigre et nain vert
Je viens en étranger parmi des pierres
Mes amis de Paris que j'aime, à qui je dois
D'avoir su faire des livres gâtent les bois
En entraînant ailleurs loin des pins maigres ma pensée
Heureuse et triste aussi d'être entraînée
Plutôt je suis de marbre et rien ne rentre. C'est l'amour
De l'art qui m'a fait moi-même si lourd
Que je ne pleure plus quand je traverse mon pays
Je suis un inconnu, j'ai peur d'être haï
Ces gens nouveaux qui m'ignorent, je crois qu'ils me haïssent
Et je n'ai plus d'amour pour eux, c'est un supplice.
Mille regrets (1921)

Le propre du lyrisme est l'inconscience mais une inconscience surveillée

Ah ! Tout ce qu'on perd ! Toutes les perles perdues ! Écrivez le journal de votre vie.

Conseils à un jeune poète

Sélection de phrases d' "Art poétique" :
L’art est un mensonge, mais un bon artiste n’est pas menteur. (P.1348)
La poésie moderne saute toutes les explications. (p.1352)
C’est au moment où l’on triche pour le beau qu’on est artiste. ( p.1355)
Si bien écrit, si bien écrit qu’il n’en reste plus rien. (p.1355)

Soyez humain si vous voulez être original, plus personne ne l'est !

Tu mets des fenêtres à mon coeur.


(" Actualités éternelles")

Voici les vocables que je propose pour qualifier une manière si originale de langage : hamlétisme, hamlétique, hamlétomane, hamlétomanie, déshamlétiser. Voici quelques exemples de l'emploi qu'on en peut faire :

Exemple : hamlétisme est une façon inattendue d'expression tenant à la profondeur de la pensée ou tendant à la faire supposer. Autre exemple : les poètes hamlétiques sont rares; on ne connait guère que des hamlétomanes.

Autre exemple : dans les asiles d'aliénés on ne compte plus les hamlétomaniaques, ce serait une erreur de leur accorder du génie.

Autre exemple : l'ivresse alcoolique et l'usage des narcotiques développent l'hamlétomanie.

Dernier exemple : la guerre de 1914 a déshamlétisé la littérature d'avant-garde.

Il faut bien peu pour plaire (il faut encore moins pour déplaire), il faut beaucoup pour faire beau.

La lecture des romans est un besoin de l'humanité. Elle répond à sa faiblesse qui est la paresse, à sa force qui est le sentiment et l'activité. L'homme est une bouteille de vin mousseux qui aime à éclater et qui n'aime pas à éclater. Il n'aime pas à éclater parce qu'il est paresseux par essence : il passe l'éternité à inventer des moyens de ne rien faire. Il aime à éclater parce qu'il ne veut pas que son contenu le brise. La lecture des romans fait sauter le bouchon sans déranger ni la bouteille ni les bouteilles voisines.

Echos d'échos des longues plaines
Et les chansons des émigrants!
Où sont les refrains d'autres temps
Que l'on a chanté tant et tant?
Où sont les filles aux belles dents
Qui l'amour par les chants retiennent?
Et mes chansons? qu'il m'en souvienne!

L'amour du prochain

Qui a vu le crapaud traverser la rue ?
C’est un tout petit homme : une poupée n’est pas plus minuscule.
Il se traîne sur les genoux : il a honte on dirait,
– Non. Il est rhumatisant, une jambe reste en arrière, il la ramène.
Où va-t-il ainsi ? Il sort de l’égout, pauvre clown.
Personne n’a remarqué ce crapaud dans la rue ;
Jadis, personne ne me remarquait dans la rue.
Maintenant, les enfants se moquent de mon étoile jaune.
Heureux crapaud!… Tu n’as pas d’étoile jaune.

Voici les fleurs que nous avons cueillies parce qu'elles étaient de la couleur de ta robe ! Je les ai nouées avec la corde qui faillit servir à me pendre...
Voici les fleurs... Je les aperçois sous tes bouquets, cachées comme mon amour fut caché dans ta vie. ( Histoire vénitienne de 1840)

Brouillard, étoile d'araignée

...Nous déposerons nos vélos
Devant les armures hostiles
Des grillages modern-style
Nous déposerons nos machines
Pour les décorer d'aubépine
Nous regarderons couler l'eau
En buvant des menthes à l'eau...

La chair déformée …


La chair déformée par ses humiliations
dit à la chair débordée par la joie :
« Je ne vous reconnais plus
– C’est que je suis maintenant moi-même »,
répond la complice.

            PREMIÈRE PARTIE
            FAUSSES NOUVELLES !
             FOSSES NOUVELLES !


 À une représentation de Pour la Couronne, à l'Opéra,
quand Desdémone chante « Mon père est à Goritz et
mon cœur à Paris », on a entendu un coup de feu dans
une loge de cinquième galerie, puis un second aux fau-
teuils et instantanément des échelles de cordes se sont
déroulées ; un homme a voulu descendre des combles :
une balle l'a arrêté à la hauteur du balcon. Tous les spec-
tateurs étaient armés et il s'est trouvé que la salle n'était
pleine que de... et de... Alors, il y a eu des assassinats
du voisin, des jets de pétrole enflammé. Il y a eu des
sièges de loges, le siège de la scène, le siège d'un stra-
pontin et cette bataille a duré dix-huit jours. On a peut-
être ravitaillé les deux camps, je ne sais, mais ce que
je sais fort bien c'est que les journalistes sont venus
pour un si horrible spectacle, que l'un d'eux étant souf-
frant, y a envoyé madame sa mère et que celle-ci a été
beaucoup intéressée par le sang-froid d'une jeune gentil-
homme français qui a tenu dix-huit jours dans une
avant-scène sans rien prendre qu'un peu de bouillon.
Cet épisode de la guerre des Balcons a beaucoup fait
pour les engagements volontaires en province. Et je
sais, au bord de ma rivière, sous mes arbres, trois frères
en uniformes tout neufs qui se sont embrassés les yeux
secs, tandis que leurs familles cherchaient des tricots
dans les armoires des mansardes.

p.30-31

La fumée dont les courbes se poursuivent sur la tenture de soie bleue frappée de roses en velours grenat, c'est le chat qui passe, cette fumée. (Le Cornet à dés)

Je n'ai jamais vu couler l'huile
Sans songer qu'on peinait un coeur;
Mais je n'ai pas pleuré quand de ton front fragile
On crevait l'impudence, ô beurre !
La viande, c'est la richesse indue ou mal acquise.
Dans sa boite le sel tristement satanise.
Toi ! poivre en poudre débité ! dépité,
Te consoleras-tu d'être décapité ?
L'artichaut est bourgeois, discret
Ainsi qu'une mondaine enceinte.
Les tomates ont des regrets
Et les poireaux des pudeurs saintes.
Le radis rose est un abbé de cour
Le navet opiniâtre et lourd
Et la carotte est rancunière.
Le chou-fleur dit :amours fières
Le chou : constance
Et vérité. Le céleri : indifférence
Et la citrouille : volupté.
Le cornichon est chose abstraite
Et la poire est douce retraite.

Avant l'aube,un chien aboie, les anges commencent à chuchoter.