Citations de Michel Le Bris (112)
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Les livres de poche faisaient leur apparition chez Guiguite , qui tenait dans le bourg de Plougasnou une papeterie-librairie-mercerie-épicerie ( entre-autres ) , dont la brave dame était la seule à maîtriser le chaos et je n'en finissais pas de rêver devant leurs couvertures richement illustrées , Pierre Benoît qui me déçut , " Les Hauts de Hurlevent ", d'Emily Brontë , qui me laissa une impression extraordinaire , " Les Conquérants " et " La Voix royale "de Malraux .
p. 137
Hypérion accumulait les paradoxes et les difficultés comme à plaisir, au fil d'un récit grandiose, puissamment maîtrisé. […] La Chute d'Hypérion, tellement attendue, non seulement résout magistralement ce qui nous restait encore énigmatique, mais surtout l'englobe […] dans une vision nouvelle, proprement stupéfiante, où la constante référence au poème de Keats ("Hypérion") prend pleinement son sens.
Quoi que je fasse, je l'entends - comme une note dans les lointains qui longuement résonne et mon coeur déjà se serre de nostalgie, tandis que son grondement enfle à toute vitesse, envahit l'espace, et je suis de nouveau l'enfant effaré sur cette côte bretonne qui écoutait, dans les nuits de pleins vents, les forces de la création danser la sarabande : je suis né de ce dialogue et de ce combat entre terre et mer. Et Bretagnes, je le crains, ne seront jamais que les noms multiples de ce mystère en moi...
(p.5)
Après tant d'années, l'acte d'écrire me reste toujours un mystère. Et s'il cessait d'être, sans doute n'écrirais-je plus. c'est ce mystère que je traque , pourtant, de livre en livre, non pour l'élucider mais pour l'éprouver. (p. 245)
" Une conception étriquée de la littérature, qui la coupe du monde dans lequel on vit, s'est imposée dans l'enseignement, dans la critique et même chez nombre d'écrivains. Le lecteur, lui, cherche dans les oeuvres de quoi donner sens à son existence. Et c'est lui qui a raison. " [ Todorov- La littérature en exil] (p. 108)
On ne dit jamais assez sa gratitude. Et trop tard, souvent. (p. 45)
Pauvres hères, forbans ou rêveurs éveillés, ils vinrent des quatre coins du monde. Sans armes, souvent, sans équipement, trop pauvres pour cela, et même sans bagages. À travers la Prairie, les Rocheuses, alors inexplorées, les déserts de sel et de pierre. Par le Horn, aussi, et ses tempêtes, dans des vaisseaux pourris où ils crevaient de fièvre. Par Chagres, Cruces, Panama, sa jungle putride, ses marécages infestés de caïmans et de moustiques. Ils mouraient par milliers, en chemin. De faim, de froid, de typhus, de malaria. D'autres les remplaçaient aussitôt, comme les vagues d'une mer inépuisable, sur la grève. L'appel de cet or découvert par hasard, un jour de 1848, là-bas, dans une rivière de lointaine Californie, courait comme une brûlure sur les cinq continents.
Evidente, l'oeuvre d'art n'en reste pas moins à jamais intraduisible, inexplicable, indicible par quelque autre langage- puisqu'elle ne renvoie qu'à elle-même. (p. 203)
Ce que je serais devenu, s'il n'y avait pas eu monsieur Ropars [son instituteur], d'abord. Et les livres...
Par eux s'opérait une mystérieuse alchimie. Comme si venaient à moi le monde, une infinité de mondes, une cohue de personnages, hommes, femmes, enfants qui se bousculaient, me captivaient- m'envahissaient ? - Non: m'agrandissaient. (p. 20)
Etre lecteur compulsif, qui plus est écrivain, exige une forme physique exemplaire et des épaules de déménageur. (p; 148)
Chaque librairie, du moins celles qui m'importent, et qui seront peut-être les seules à résister aux bouleversements en cours, sont d'abord des aventures humaines. (p. 130)
J' étais en train d'apprendre que la littérature, en somme, ne peut pas se réduire au bien-dire d'un discours. que toute littérature est toujours en péril de se scléroser en "littérature"- je veux dire, en -mauvaise- littérature. que toute parole se fige, si l'on n'y prend pas garde. Que la littérature est toujours en danger de périr sous le poids des modes, des conventions, des formes rhétoriques, pour peu qu'elle se soumette aux normes étriquées du "milieu littéraire". Que la littérature n'est jamais aussi vivante que lorsqu'elle s'attache à dire le monde, à en capter, à inventer la parole vive. Que cette parole du monde ne peut certes s'exprimer que par la langue, mais en la contestant, en la brisant, en l'excédant sans cesse...(p.49)
Aussi bien devons-nous laisser parler en nous "l'homme aux semelles de vent" si nous ne voulons pas finir avec une cervelle de plomb ...
("l'homme au semelles de vent" ainsi Verlaine appela t-il Rimbaud)
Et si nous faisions confiance à la fiction ? Depuis le fond des âges, dans toutes les cultures, nous déployons une énergie sans limites pour nous raconter des histoires- à cette étrange manie, il doit bien y avoir une raison ! Nous sommes, pour reprendre l'expression de Nancy Huston, une " espèce fabulatrice" . (p. 67)
Est-il plus belle métaphore du métier d'écrivain, et du pouvoir des mots ? "Il était une fois " : notre première, notre véritable, peut-être notre seule demeure. (p. 14)
Le silence, ce n'est pas l'absence de bruit, le blanc d'un "rien", non, le silence est peuplé de mille sons, il vit, et nous éveille, le silence, simplement, est la disparition du brouhaha, du bruit de fond, de ce qui rend chacun les êtres et les choses informes, indifférenciées...
Mais, on le sait, pour les artistes, la "réalité" n'est qu'une façon de confirmer la certitude du rêve.
[Shangaï, l'idée d'un port* René de Ceccaty]
* Senso, juillet 2002, n° 5.
J'aime le silence. J'ai besoin du silence. Cette sensation, la nuit, quand on se trouve dans un bois...Ou en mer. Ces bruits qui prennent tout à coup un relief extraordinaire. Des respirations qui s'éveillent. Le souffle du monde ! Le silence, oui, pour qu'on s'entende un peu... Quand je reviens à Plouézoc'h, que je prends mon bateau pour me perdre entre les îles de la baie, j'ai l'impression, au bout d'un moment, que le silence vient à ma rencontre. le clapot, sur la coque, une risée qui effleure les vagues, une voix, qui résonne à des milliers de là, le cri d'une sterne...Le silence de la mer monte vers moi, me traverse, et c'est comme si un autre monde, alors, m'enveloppait. Qui n'a jamais eu cette sensation, que quelque chose vient, pour peu qu'on fasse silence ?
Encore faut-il s'entendre sur les mots : les dogmes, se donnant comme vérités, sont par nature jaloux, portent en eux la guerre- (...) Les poèmes , eux, ne se font pas la guerre ...(p. 176)
Car il y avait un mystère en tout voyage. On rêve, on échafaude des projets, on étudie des cartes , et puis l'on part , en croyant savoir où l'on va. N'est ce pas cela, un voyage : se rendre quelque part? Mais les "vrais" voyages , ceux qui comptent vraiment, auxquels on revient sans cesse, précisément parce qu'on en est pas encore revenu, de les avoir vécus, sont ceux , nous le savons bien tous, où il s'est passé "quelque chose". Quoi? C'est toute l'affaire . Quelque chose qui vous a conduit où vous ne pensiez pas aller, et vous a transformé, dont il vous semble, à votre retour, qu'il fallait qu'il en aille ainsi, et qu'une urgence plus haute vous requérait, là où vous n'aviez vu d'abord que le hasard. Cet imprévu qui vous a dévié de votre chemin , ce n'était donc pas une succession disparate de sensations, un chaos confus d'événements : voyage il y avait parce qu'ils s'organisaient dans une courbe rétrospectivement nécessaire , dessinaient une forme.