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Citations de Michel de Jaeghere (56)


Sans doute encore les exigences de la cancel culture font-elles chaque jour sentir plus étroitement leur emprise sur la liberté de pensée et d’expression, exigeant de nous désormais que soient reniées les figures de notre passé, revisités les épisodes de notre histoire, bannis les héros de notre littérature pour avoir participé, consciemment ou inconsciemment, au « racisme systémique » qui a assuré trop longtemps la domination patriarcale et oppressante de l’homme blanc ; que nous fassions nous-mêmes, en tant qu’Européens, et dans la pure tradition des procès de Moscou, notre autocritique en demandant pardon, à genoux pour notre injuste hégémonie (larmes et sanglots sont appréciés : ici s’arrête la culture du ricanement, le « droit au blasphème », on ne plaisante plus) ; que nous abandonnions nos manières de penser, de parler et d’écrire pour les soumettre à un reformatage qui va jusqu’à la grammaire, jusqu’à l’orthographe ; que nous acceptions, corrélativement comme une punition rédemptrice (en même temps qu’un bienfaisant enrichissement) l’invasion de nos pays par des masses déracinées du tiers-monde ; que nous consentions, plus généralement, à sortir sur la pointe des pieds de l’histoire en espérant trouver la justification de nos fautes dans l’abolition de notre être.
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Le soir venu, je retourne chez moi et j’entre dans mon cabinet, je me dépouille sur la porte de mes habits de paysan, couverts de poussière et de boue, je revêts mes habits de Cour ou mon costume, et vêtu décemment, je pénètre dans le sanctuaire antique des grands hommes de l’Antiquité. Reçu par eux avec bienveillance, je me repais de cette nourriture qui, seule, est faite pour moi, et pour laquelle je suis né. Je ne crains pas de m’entretenir avec eux, et de leur demander compte de leurs actions. Ils me répondent avec bonté ; et pendant quatre heures de temps, je n’éprouve aucun ennui, j’oublie mes peines, je ne crains ni la pauvreté, ni la mort, je me transporte en eux tout entier.

Machiavel, XXVI ème  lettre à Francesco Vettori,10 décembre 1513.
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Comme le souligne encore W. R. Connor, Thucydide est moins un pourvoyeur d’inaltérables lois d’airain, par quoi on pourrait, par avance, prévoir toute l’histoire, qu’un guide subtil des difficultés liées à l’exercice du pouvoir, en même temps que des défaillances qui peuvent guetter la politique la plus intelligente. 

Or, l’une des plus claires des conclusions qui s’imposent à la lecture de son livre est sans doute aujourd’hui celle qui permet de comprendre les ressorts du chaos que les États-Unis ont répandu eux-mêmes autour d’eux depuis un peu plus de trente ans, l’anarchie que les néoconservateurs ont provoquée par leur volonté de faire survivre le leadership américain à la menace qui l’avait fait naître en se donnant mission de susciter des révolutions démocratiques sur toute la planète, révolutions qui ont plongé, en Irak, en Lybie, en Syrie, en Ukraine, nombre de pays dans la guerre civile ou la guerre étrangère, quand elles n’en ont pas provoqué l’implosion ou la destruction

Le paradoxe est que ces errements ont eux-mêmes trouvé, en grande partie, leur origine dans une lecture biaisée de La Guerre du Péloponnèse.
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Rome détruirait, au IIIe siècle avant J.-C., la puissance de Carthage, en prélude à l’immense expansion qui lui permettrait de dominer le monde méditerranéen. Une fois achevée sa conquête, elle parviendrait pourtant à donner une forme politique à sa prééminence et à offrir, partant, plusieurs siècles de paix et de prospérité au monde méditerranéen. Elle bâtirait son empire en utilisant les procédés mêmes qui lui avaient permis d’unifier la péninsule italienne sous son commandement. [...]
Rien de tel à Athènes : son environnement et le champ d’expansion de sa puissance étaient tout au contraire peuplés d’hommes avec lesquels elle avait en commun la langue, les légendes, l’histoire et les dieux. Autant dire qu’il aurait pu sembler plus facile de les réunir, non dans le cadre d’un empire multiculturel, comme y parviendrait Rome, mais dans ce qui aurait pu être, avec de longs siècles d’avance sur le cours de l’histoire européenne, une nation.
Or elle y a échoué.
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Guerre civile entre grecs, la guerre du Péloponnèse avait ainsi placé nés notables Athèniens devant un cas de conscience dont la résolution n'avait aucun caractère d'évidence : à quoi devaient-ils donner la priorité de leurs attachements ? À la victoire de leur patrie, fût-ce au prix de leurs propres droits politiques, ou à celle de leur classe sociale, au triomphe de leur conception du Bien commun du pays, quand même il faudrait les payer par la perte hégémonie ?
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Thucydide affirme qu'il a entrepris de raconter la guerre du Péloponnèse parce que contemporain et acteur de l'événement, il avait compris dès son déclenchement qu'elle serait la plus grande de toutes. La prétention nous fait sourire. Nous avons fait tellement mieux depuis ! Il est pourtant bien vrai que la guerre dont il fait le récit avait marqué une rupture avec ce que les Anciens avaient accoutumé de désigner sous ce nom : un affrontement local, visant à obtenir par la force une rectification de frontière, et généralement conclu en une seule bataille. La guerre du Péloponnèse s'était déroulée sur d'innombrables théâtres d'opérations : dans le Péloponnèse et en Attique, bien sûr, mais aussi en Béotie, en Chalcidique, en Thrace, dans l'Hellespont, en mer Égée, en Asie Mineure, en Acarnanie ou dans la lointaine Corcyre et jusqu'en Sicile. Elle avait duré pas moins de vingt-sept ans, s'était démultipliée en dizaines de microconflits, avait sollicité le discernement des dirigeants pour faire des choix douloureux, décisifs, et avait débouché sur un bouleversement des mœurs et des institutions, une redistribution générale des cartes de la géopolitique du monde hellénique.
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Le confort dont avaient joui les habitants des villes, et le relatif bien-être des populations paysannes, avaient reposé, surtout, sur les échanges à longue distance qu'avait permis la paix romaine et qui avaient débouché sur une certaine spécialisation ; par elle, l'amélioration des rendements que suscite la liberté de ne produire que ce dont on a les capacités, les moyens. La productivité des terres avait été améliorée par la possibilité de choisir les cultures les mieux adaptées aux sols, la capacité d'obtenir, par l'échange, ce que l'on était soi-même incapable de fabriquer et de cultiver. L'insécurité grandissante réduisit au contraire les échanges au commerce local. Elles condamna, par là, des régions entières à un retour à l'économie de troc, alors même qu'en répandant largement dans la population des biens de consommation, des siècles de sophistication avaient détruit les savoir-faire et les réseaux d'entraide qui conditionnent la survie dans une société rudimentaire. (...) Disparut le bien-être qui avait pénétré les campagnes de l'époque romaine en permettant, partout, l'érection de maisons maçonnées, couvertes de toits de tuiles, dans lesquelles les familles paysannes habitant en Italie du nord pouvaient utiliser des batteries de cuisine en céramique fine, décorée, venue de Campanie, stocker du vin importé d'Egée dans des amphores fabriquées en Afrique. Leur succédèrent des maisons de bois venteuses,infestées d'insectes, aux toits disjoints, au sol de terre battue, où la cuisine n'était faite que dans de grossiers "fait-tout" en céramique friable, où chaque communauté villageoise tentait de survivre en quasi-autarcie.

pp. 526-527
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Il leur avait fallu près de trois siècles, mais les Capétiens avaient sorti leur pays du chaos. Ils avaient restauré l'Etat, unifié leur royaume, mis au pas la féodalité au moment même où le rêve de monarchie universelle de Frédéric de Hohenstaufen condamnait l'espace germanique à l'instabilité chronique, tandis que le roi d'Angleterre devait concéder sa Magna Carta à ses barons. Leur exemple donne la mesure de ce que permet, quand il bénéficie de la durée, quand il poursuit un grand dessin, l'art politique. La discipline est décriée : l'histoire des Capétiens nous dit qu'elle n'est pas vouée à l'avilissement où l'a conduite l'incurie de trop de nos contemporains.
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Comme toutes les césures de l'histoire, celle de 476 fut bien entendu relative. Il y avait longtemps que la cour de Ravenne n'avait plus guère d'influence au-delà des frontières italiennes. La Bretagne était livrée à elle-même depuis le règne d'Honorius. Les provinces africaines avaient échappé au contrôle du gouvernement central en 439, lors de la chute de Carthage. Les régions alpines et danubiennes ne recevaient plus, dès le milieu du cinquième siècle, aucune assistance militaire du gouvernement. Les royaumes barbares de Gaule et d'Espagne se comportaient en principautés indépendantes depuis l'échec de la tentative de reconquête de l'Afrique (468). La déposition de Romulus Augustule ne fut pas la cause de la désagrégation de l'empire d'Occident. Bien plutôt son ultime aboutissement.
Elle ne marqua pas, non plus, la fin brutale de la civilisation gréco-romaine.
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Devant les vagues d'invasion suscitées, tout au long du limes, par la poussée des Huns, l'erreur de l'Occident fut de conjuguer les risques en confiant sa défense à des troupes barbares laissées à la conduite de leurs propres chefs. C'était constituer, sur son sol, une féodalité étrangère, et couvrir du prétexte d'une mission officielle la présence d'armées rebelles à l'idée même d'unité romaine. Programmer, par là même, le fatal engrenage de sa dislocation.

L'empire d'Occident n'a pas été envahi de vive force au terme d'une irrésistible invasion. Il a péri d'avoir placé son sort entre les mains de ceux-là mêmes qui avaient forcé ses frontières. De s'en être remis à d'anciens adversaires qu'on n'avait pas été capable de vaincre, et dont on n'avait pas pris le temps de faire des citoyens romains.

p. 583
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J'écris pour me plaindre aux feuilles, je fais les Mathématiques pour trouver la flamme qui illumine mon coeur.
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La patrie, souligne Simone Weil, est « le bien le plus précieux dans l’ordre temporel » parce qu’elle est ce qui assure à l’homme « à travers le présent une liaison entre le passé et l’avenir » ; qu’elle lui apporte une « continuité dans le temps, par-delà les limites de l’existence humaine » qui lui permet de donner un sens à sa vie, de surmonter les calamités et les revers, d’aborder les bonheurs mêmes sans céder à l’ivresse et à la démesure ; parce qu’elle donne aux prospérités leur signification et leur place légitime en les inscrivant dans la chaîne d’une transmission, dans le grand œuvre d’une aventure collective.
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L’histoire est, de fait, complexe. Elle échappe, par sa richesse, ses nuances, ses contradictions et ses paradoxes à la lecture manichéenne à laquelle on voudrait souvent la réduire.
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La mondialisation économique (avec l’apparition de sociétés multinationales dont les moyens d’agir, désormais analogues ou supérieurs à ceux d’un État, sont mobilisés en faveur de l’ouverture des marchés à leurs productions) et la révolution technologique qui a vu l’apparition d’Internet et le règne des « Gafa », ont démultiplié, depuis, les risques de manipulation de l’opinion en rendant les nouveaux acteurs capables de faire naître et de développer à loisir des désirs irrésistibles, des peurs incontrôlables, qui, fondés sur l’image et le mimétisme, échappent à toute argumentation. La surinformation née de l’apparition des chaînes d’information permanente et de la multiplication des réseaux sociaux aggrave le phénomène en saturant les esprits de connaissances inutiles et contradictoires. Comme la crise engendrée par la pandémie de Coronavirus l’a montré ad nauseam, elle provoque l’amnésie (le flot des nouvelles informations chassant les précédentes à un rythme toujours plus soutenu) en même temps que l’affolement du discernement, la dictature de l’émotion fugitive. L’ensemble rend presque inévitable la stigmatisation de ceux qui prétendraient opposer à la satisfaction des revendications nouvelles ou à la prévention des grandes peurs relayées par les mêmes canaux, la barrière de règles immuables, le respect de principes millénaires, encore considérés, il y a peu, comme consubstantiels à notre civilisation. Il encourage leur désignation comme autant de boucs émissaires, coupables d’entraver le progrès de l’humanité, son irrésistible marche en avant vers un monde sans détermination, sans souffrance, sans contrainte. À terme, se profile l’appel à la violence, symbolique ou réelle, contre ceux qui prétendraient faire obstacle, par des considérations désuètes (des préoccupations morales hors d’âge, des précautions justifiées par le souci d’un avenir qui « n’a pas d’électorat ») au mouvement irrésistible de l’histoire.
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Huit ans après la répression de Samos éclatait la guerre du Péloponnèse. La grande, l'inexpiable. La première qui ait opposé Sparte et Athènes, et que nous désignons parfois sous le même nom, ne l'avait fait que de manière indirecte. Les deux cités n'en étaient venues aux mains qu'au cours d'une unique bataille, dont le vainqueur avait renoncé à exploiter pleinement sa victoire. L'essentiel des opérations avait mis aux prises chacune des deux cités hégémoniques avec les alliés de sa rivale.

Rien de tel avec le conflit qui s'ouvre en 431. La guerre allait, cette fois, durer vingt-sept ans, et Sparte et Athènes s'y affronteraient face à face, jusqu'à l'épuisement. Elle pulvériserait, pour deux générations, l'idéal du panhellénisme qui s'était épanoui avec la victoire sur les Perses, en opposant les Grecs entre eux avec une férocité décuplée par l'âcreté d'une guerre civile. Elle ferait, certaines années, plus de morts parmi les Grecs en un an que n'en avait fait la totalité des deux guerres médiques. Elle se traduirait par le ravage du territoire de l'Attique, la dépopulation d'Athènes, frappée par une terrible épidémie de « peste » qui faucherait plus de 80000 personnes: un habitant sur quatre. Elle s'achèverait par la dissolution de son empire, la destruction de ses remparts, la réduction de sa flotte, l'occupation de son territoire, le renversement de son régime.
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Thémistocle avait confondu la cause de sa patrie avec celle de la Grèce entière. Tandis qu'il haranguait les Grecs, au matin de la bataille décisive, les exhortant à rester unis contre les Perses, "on vit, raconte Plutarque, une chouette voler du côté droit de la flotte et se poser sur le mât de son navire". Salamine avait ouvert le Ve siècle par une victoire maritime qui était avant tout, une victoire athénienne. Elle allait faire de lui le grand siècle d'Athènes.
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L'histoire est un dévoilement. Elle fait lever des ombres venues de la profondeur des âges pour nous faire partager les leçons tirées de la pratique de notre condition. Elle a pu devenir une science, peut-être. S'en tenir pour autant à la froide objectivité d'un collectionneur de papillons (…) c'est passer à côté de ce qui l'a justifiée, pendant tant de siècles ; nous priver de l'essentiel de ce que nous lui demandons : d'enrichir nos âmes blessées au milieu des vivants par un fructueux colloque en compagnie des ombres.
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Le texte est, dans sa limpidité, l’un des plus beaux de ceux que nous a transmis l’Antiquité grecque. Il est programmatique pour une nation en crise existentielle :

Je ne déshonorerai pas les armes sacrées, je n’abandonnerai pas mon compagnon là où je me trouverai posté ; je combattrai pour les principes sacrés, ceux des dieux comme ceux des hommes, je ne laisserai pas la patrie amoindrie, mais au contraire plus grande et plus forte, de mon propre chef et avec le concours de tous ; j’obéirai aussi à ceux qui se succèdent sagement aux affaires, ainsi qu’aux lois établies et à toutes celles qui pourront être établies avec sagesse. Si quiconque cherche à les renverser, je ne le laisserai pas faire, de mon propre chef et avec le concours de tous ; j’honorerai le culte de mes ancêtres.
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Reste que c’est là, à Athènes, que fut établie, inventée la démocratie : un système où chacun était appelé à donner son avis sur les affaires publiques, et où le dernier mot devait rester au peuple s’exprimant par un vote majoritaire. Il est indiscutable que la démocratie athénienne a cela de commun avec nous.
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Nous avons nous-mêmes refusé l’asile politique à Julian Assange, embastillé au Royaume-Uni pour avoir mis en cause la sécurité nationale des États-Unis en révélant les crimes de guerre de l’armée américaine en Afghanistan et en Irak : non par complicité avec une puissance étrangère (il est lui-même de nationalité australienne), mais par une conception exigeante (et sans doute contestable) de la transparence et de la démocratie. Nos gouvernants n’en ont pas moins estimé que, nuisant aux intérêts de nos alliés, son action s’était exercée contre nous.
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