AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Mireille Gagné (131)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Frappabord

Amis lecteurs, je vais en angoisser quelques-uns !!

Pas trop ceux qui passent leurs étés à se faire bronzer sur la plage, plutôt leurs cousins vacanciers, plus rustiques, qui préfèrent les séjours à la campagne et qui connaissent mieux le problème.

Imaginez-vous dans votre retraite rurale par une journée torride, un temps à faire une petite sieste car vous transpirez à ne rien faire.

Vous sombrez dans une douce léthargie, quand soudain un vrombissement désagréable survole vos oreilles.

Là c'est notre présent, mais imaginez que la population des prédateurs se densifie et se généralise.

Mireille Gagné, notre autrice, ne va rien faire dans cette histoire pour nous rendre ces mouches piqueuses plus sympathiques. Qu'on les surnomme en France taons, de façon générale ou aux Québec taons à cheval, mouches à chevreuil ou encore frappabords.

Pour faire monter la pression, elle nous distille par petits paragraphes, tout au long de ce roman, des informations sur l'insecte. De sa naissance, ses caractéristiques détaillées, ses différentes armes, ses préférences, son mode opératoire.

A présent et dans un futur proche, ces mouches deviennent très hostiles à l'espèce humaine. Une vraie haine anime les dernières générations de ces bestioles. Je vous laisse Mireille nous la faire entrevoir : « Vous êtes partout. Vous ne pensez qu'à vous. Vous ne prenez pas la peine d'effacer votre trace. Au contraire, c'est votre unique manière de vous exprimer. Vous vous isolez de votre habitat. Depuis combien de temps êtes-vous incapables d'anticiper l'évolution de votre environnement ?.... En cet instant précis, vous devriez ressentir de la peur. Une angoisse viscérale et atavique dans le fond de vos tripes. Ne captez-vous pas le signal de rage que notre espèce envoie pour vous attaquer ? Nous avons décidé de vous agresser, de vous nuire, de vous contaminer ».

Parallèlement nous suivons, en 2024, l'existence simple mais un peu désordonnée d'un ouvrier, Théodore, vie réglée entre les trois huit de l'usine et les divertissements avec son amie de travail Marguerite. Les dérèglements climatiques se ressentent, et le Québec suffoque sous la canicule et comme si cela ne suffisait pas pour mettre les nerfs à vif, les frappabords pullulent. le sommeil de Théodore est donc très agité. Pour couronner le tout un message inquiétant reçu sur son cellulaire (portable de nos amis d'Outre-Atlantique) provenant du foyer pour personnes âgées. Emeril, le nonagénaire grand-père de Théodore, est très agité et les soignants ont dû l'attacher pour qu'il ne se débatte pas. Cette situation dégradante noue les intestins de notre héros et il finit par se rendre à l'hospice pour kidnapper son aïeul. Ils partiront tous les deux sur les traces du passé d'Emeril.

S'entremêle dans le récit l'histoire de Thomas pendant la seconde guerre mondiale. Nous sommes en 1942 à Montréal, Thomas, jeune scientifique, est réquisitionné par l'armée canadienne avec une trentaine de chercheurs et de savants. Sans savoir le but de leur mission, ils sont transférés sur une île interdite au beau milieu du Saint-Laurent, sous la garde des militaires. L'inquiétude du jeune homme monte. Dans un premier temps, même si la mise à l'isolement lui pèse, sa spécialisation le désigne à une tâche pas trop ingrate inventorier la faune et la flore de l'île. Plus troublante, l'affectation des autres chercheurs qui manipulent entre autres le virus de la rage et de l'anthrax. Thomas se noue d'amitié avec Rachelle et Emeril, quelques autochtones résidants de l'île, engagés comme hommes à tout faire.

Quelle sera le sort de toutes ces personnes dans ce maelström d'angoisse ? Mireille Gagné ne nous ménage pas et manie habilement les temporalités des deux histoires tout en nous familiarisant avec la bête. J'aurais, sûrement, lu d'une traite ce court roman de deux cents pages si la fatigue du soir ne m'avait pas gagnée. Mireille possède un style très addictif et sait transcrire tout au long du récit la pesanteur de l'atmosphère et croyez-moi pas simplement du fait d'un soleil de plomb.

Si vous voulez en connaître plus sur la bébête et sur le final de ce roman, il vous faudra attendre le 18 janvier pour courir chez votre libraire préféré.

Reçu dans le cadre de la Masse Critique de Novembre, je tiens à remercier Babelio et les Editions La Peuplade de m'avoir fait hérisser les poils.

Commenter  J’apprécie          514
Le lièvre d'Amérique

" Diane grandit au Québec, sur une île de l'archipel de L'Isle-aux-Grues. Elle y vit une enfance libre et sauvage, entre le fleuve, la forêt et la mer, jusqu'à ce qu'elle la quitte brutalement pour aller s'installer dans une grande ville. (...) Quinze ans plus tard, « sur le point de craquer de fond en comble d'éparpiller ses morceaux dans les draps », Diane se tourne vers la modification génétique. Devenir plus forte, vive et rapide, dormir moins tout en multipliant ses performances, c'est la réponse qu'elle a trouvé, du fond de son anxiété chronique et de ses tentatives de contrôle désespérées, aux injonctions productivistes.

Mais on ne mélange pas si facilement son ADN avec celle du lièvre d'Amérique. L'opération a des effets secondaires et son comportement commence à changer dans un sens inattendu.(...)

Ce n'est qu'arrivée pratiquement au bout de son manuscrit que la Québécoise Mireille Gagné a pris connaissance du mythe fondateur algonquien de Nanabozho, « envoyé sous la forme d'un lièvre par Manitou pour enseigner la sagesse aux êtres humains », dans lequel elle a retrouvé nombre de symboles clef de son texte. Elle a inscrit alors le lièvre d'Amérique dans un récit plus large, parce que, dit-elle, « le livre était déjà écrit et qu'il était le legs de quelque chose de plus grand que moi que je devais transmettre. »

Bien lui en a pris. Ce premier roman est une injonction à s'affranchir de la servitude, à tout lâcher pour partir courir les bois, se laisser tomber sur des sols de feuilles mortes ou se frotter les joues contre les écorces des arbres et la mousse humide. Transmission réussie."

Article de Kits Hilaire (extrait) pour Double Marge
Lien : https://doublemarge.com/le-l..
Commenter  J’apprécie          450
Le lièvre d'Amérique



Ce court roman, mi fantastique mi conte, est un petit bijou.

Le lièvre d’Amérique est un petit mammifère largement répandu au Canada et au Québec. Dès le premier chapitre, le ton est donné, on va retrouver ce lièvre et ses mœurs tout du long. La route de l’animal va croiser celle de Diane, jeune femme victime d’un burn-out dans une société où la performance au travail est question de survie.

Diane a confié son corps à la science pour qu’il devienne plus performant. C’est là qu’on atteint une dimension fantastique plutôt effrayante. Elle veut se surpasser toujours plus mais le prix à payer pour cette transformation n’est -il pas exorbitant ?

Diane revit son adolescence à l’Isle aux Grues, en compagnie d’Eugène le risque tout qui sait tout sur les animaux en voie d’extinction. Leur amourette s’arrêtera là et Diane quitte son île natale pour un travail exigeant dans une grande ville où elle découvre la solitude.



Entre souvenirs de Diane, amours perdues et monde du travail, l’histoire se déroule en quelques bonds…de lièvre.

D’une écriture ample et forte, ce roman nous embarque dans une histoire folle avec des narrations bien distinctes dans chaque partie de l’histoire bien compartimentée.

Un premier roman à découvrir.



Commenter  J’apprécie          430
Frappabord

Frappe-à-bord ou frappabord

n.m.

[1874] Au Québec, nom générique donné à diverses variétés de mouches piqueuses. Surnommées également taon à cheval, mouche à cheval, mouche noire ou mouche à chevreuil, on dit qu’elles frappent d’abord leur victime avant d’arracher une parcelle de peau pour se nourrir de sang. [Genre Chrysops ; famille des tabanidés.]



Bzz… Tsss… j’imite mal la mouche… pourtant je suis là, à roder autour de ta tête, cette musique énervante, prêt à plonger sur ton corps, te lacérer un morceau de peau avant de te pomper quelques gouttes de sang. Que tu sois bucheron au sang imbibé de sueur et de caribou, ou fille de McGill au sang chaud et à la mini-jupe en poil de castor. Je prolifère dans cet été trop chaud pour le Québec, on pourrait se croire à Cancun, volant en nappe noire et se jetant sur ces proies faciles. La population s’exaspère de ces nuées sauvages, amenant des accès de fièvre et de rage.



Ces frappabords deviennent de plus en plus hostiles et méchamment furieuses, agressives. Parallèlement, le long du fleuve Saint-Laurent, je découvre l’histoire de Grosse-Île. Tout démarra en 1942 alors que des sous-marins allemands commencent à naviguer dans les eaux du fleuve. Les gouvernements américains, britanniques et canadiens décident d’y installer une station scientifique pour y effectuer quelques recherches. Des biologistes, des biochimistes, des militaires et un entomologiste débarquent, projet top-secret, dont celui de propager l’anthrax avec comme vecteur de propagation cette grosse mouche noire… Ouf ou bien sûr le projet n’ira pas jusqu’au bout, au dernier moment, le commandant demanda à brûler toutes les installations militaires, les recherches, le rivage. Mais…



Alternant le point de vue de l’entomologiste ou celui de l’insecte lui-même, l’originalité du récit propose une balade bucolique où au lever du soleil les herbes hautes caressent ses jambes et au coucher du soleil une main noire et bourdonnante s’attaque à leurs chairs... A la limite de l’anticipation, voilà un roman qui fait peur, peur parce qu’au final ce n’est pas qu’un roman. Oui tout est véridique ou presque. Ces expérimentations sur l’anthrax et la peste bovine ont réellement eu lieu à Grosse-Île entre 1942 et 1956, laissant un goût amer dans ma bouche (à moins que ça soit la saveur de mon IPA).
Commenter  J’apprécie          420
Le lièvre d'Amérique

Pour un premier roman de l'auteure québécoise Mireille Gagné, je trouve « le lièvre d'Amérique » particulièrement réussi.

J'avais d'abord repéré la magnifique couverture avec ce lièvre qui accroche le regard. Et les avis de nombreux lecteurs ont fini de me convaincre.

*

« le lièvre d'Amérique » est une fable animalière qui m'a surprise par sa modernité, son étrangeté et son originalité. Elle nous invite à nous interroger sur les dérives de la vie moderne, la souffrance au travail qui incite à toujours plus de performances, mais occasionne par la même, anxiété, stress, fatigue et dépression.



« Elle s'assoit devant son ordinateur et ouvre ses courriels. Déjà cent-vingt-huit non lus ; deux-cent-vingt-quatre notifications. Et ça la frappe en plein visage. L'humain pourra-t-il survivre à ça encore longtemps ? »

*

Ce roman est court, rythmé, mais surtout très surprenant par sa construction que je trouve vraiment brillante, très curieuse par son aspect fragmentaire et le changement de style littéraire. Ce procédé littéraire est une grande réussite et m'a tenu en haleine jusqu'au bout.



Le lecteur suit Diane à trois moments clés de sa vie. Chaque temporalité s'adapte à merveille à chaque période de sa vie, offrant un mode de narration différent, des émotions différentes.

Le récit est entrecoupé de petits textes documentaires sur le lièvre d'Amérique, permettant de faire sens avec l'histoire de la jeune femme.



« le lièvre d'Amérique (Lepus americanus) est un petit mammifère … largement répandu au Canada et au Québec… À l'opposé de son cousin le lapin, le lièvre préfère fuir plutôt que de se cacher pour échapper aux prédateurs. »



Si le début du roman demande un petit temps d'adaptation à cause de l'écriture et de l'intention de l'auteure de nous laisser dans le flou, l'envie de comprendre le lien entre Diane et le lièvre d'Amérique est la plus forte.

*

Diane, quelques jours avant l'opération chirurgicale

Diane est perdue, proche du burn out.

Un texte sans ponctuation, une succession ininterrompue d'actions montrant Diane au bord de la rupture, courant après le temps et son désir de perfection.

L'aliénation par le travail.



« Elle se réveille toujours à la même heure se douche s'habille se prépare déjeune s'en va travailler sept jours sur sept emprunte le même chemin ne parle à personne sauf si c'est pour exécuter une tâche sept jours sur sept ne possède aucune relation en dehors du travail fille unique ça fait au moins quinze ans qu'elle n'a pas vu ses parents ni ne leur a parlé bosse dur toute la journée sept jours sur sept exécute toujours davantage de tâches que les autres ne montre aucun signe de fatigue ni de défaite … »



Jour 0

Diane se réveille chez elle après voir subi une opération chirurgicale.

Laquelle ?

L'auteure reste très vague pour le plus grand plaisir du lecteur qui intrigué, va reconstituer petit à petit le cheminement de la jeune femme qui la conduise à désirer cette opération et à subir les conséquences sur sa vie future.



Les jours suivant l'opération

Les effets secondaires apparaissent rapidement.

Le lecteur suit jour après jour ses transformations physiques, mais aussi les changements de personnalité et de comportements.

La vie de Diane bascule peu à peu alors que ses rêves la ramènent, adolescente, sur son île natale et à son premier amour, Eugène, un jeune adolescent fasciné par les animaux en voie de disparition.

Je me suis demandée si Mireille Gagné n'avait pas choisi le prénom d'Eugène en rapport avec le courant de pensée eugénique.



« J'aurais pu te dire qu'il n'y a réellement rien d'anormal sur cette île. Sauf peut-être la solitude qui s'abat quand l'hiver ne veut plus partir. D'abord toute petite, puis du jour au lendemain, intolérable. Et le temps qui se morfond. Les insulaires doivent se terrer chez eux. le sentiment d'oppression aussi qui grandit avec l'étale de la marée. L'attente qui devient insupportable. Des fois, on a l'impression d'être prisonnier, que le plein de l'eau ne veut plus nous quitter. »

*



*

Pour conclure, en dressant le portrait de Diane, « le lièvre d'Amérique » est une percutante critique de nos modes de vie. Ce roman réussit de manière subtile et efficace à nous interroger sur notre place dans la société, sur notre rapport au travail et nos difficultés à concilier métier, vie personnelle et vie familiale.



Oscillant entre conte fantastique et fable animalière, ce premier roman est une belle réussite littéraire qui puise dans l'imaginaire des légendes pour comprendre le monde d'aujourd'hui. Je vois dans ce texte une quête d'un retour à la nature et à nos racines.



Peut-être vous reconnaîtrez-vous dans Diane ?

*
Commenter  J’apprécie          424
Le lièvre d'Amérique

"Le lièvre d'Amérique" est un roman très court mais tout à fait suffisant pour nous embarquer et nous faire réfléchir sur la dépendance au travail, sur son absurdité et les conséquences désastreuses sur l'être humain. Combien de burn out, de dépressions liées au travail ?

Ce n'est cependant pas un essai, loin de là. Ce roman s'apparente plus à une fable.

4 temps alternent :

- 1 sur le lièvre d'Amérique et sa "carte d'identité", ses caractéristiques,

- 1 sur Diana à 15 ans lorsqu'elle est nature et proche de la nature,

- 1 durant laquelle elle est adulte et travaille toujours plus pour être la meilleure, pour être performante, elle en devient un robot

- 1 après l'opération qui lui fait retrouver sa part animal.

Le style est particulier et intéressant. À certain moment la ponctuation disparaît mais cela a bien sûr du sens, le "je" qui caractérise l'identité disparaît également comme un robot qui n'a plus sa part d'humanité, tout se bouscule, les mots s'enchaînent.

C'est un livre qui fait réfléchir . Laissons la part d'animalité qui sommeille en nous se développer et rapprochons-nous de la nature... cessons de vouloir toujours plus et d'alimenter ce système capitaliste.

Un retour à la nature semble indispensable, urgent.

Il y a un petit lexique à la fin sur le vocabulaire maritime il aurait été utile qu'il y en ait également un sur certains termes québécois car il a fallu que j'aille les chercher sur internet. Mais ceci n'entache en rien le plaisir que j'ai eu à lire ce petit roman.
Commenter  J’apprécie          411
Le lièvre d'Amérique

Diane se réveille d'une opération qui n'a jamais été encore exercée sur un être humain. Elle sent alors des déreglements énormes et ses sens se voient surmutiplies , son endurance physique et professionnelle. Mais quelle est donc cette mystérieuse intervention qu'elle a subi?



Qu'est ce qui vous donne envie d'ouvrir un livre 📙 dont vous ne connaissez pas l'auteur ? Pour le lièvre d'Amérique, j'ai été attirée par la couverture, par l'étrangeté de l'histoire (une employée qui subit une intervention pour être encore plus productive au travail), par la maison d'édition, la Peuplade, indépendante mais à la programmation très étonnante .



Je ne suis pas une adepte de fables (je suis même passée à côté de plusieurs livres unanimement salués et présentés comme contes) mais je me suis laissée totalement embarquer sans résistance dans la vie de Diane : dans son présent, après l'intervention; dans son adolescence (qui éclaire ce qu'elle est devenue); dans son passé proche avant l'opération.



J'ai été frappée par les longues phrases de Mireille Gagné, romancière québécoise dont c'est le premier roman.



Des phrases sans point ni ponctuation, qui traduisent si bien que Diane ne veut pas s'accorder une miette de temps pour elle, comme si elle était en apnée permanente, obsédée par le culte de la performance, et en quête d'une forcément illusoire perfection absolu de sa vie



"Pour calmer son anxiété de performance et économiser des secondes Diane compte perpétuellement le nombre de pas séparant son appartement de son travail de marches entre chacun des étages de secondes entre son bureau et celui de la femme qu'elle déteste le temps que ça lui prend pour remplir une bouteille d'eau d'attendre chez le médecin que le photocopieur finisse sa phase de réchauffage elle compte les aliments absorbés par chaque aliment et dépensées sur le vélo stationnaire les murs qui l'entourent les lumières dans son appartement son bureau les craques sur les trottoirs les lettres dans chaque mot qu'elle écrit ...."



Un livre court et puissant sur les dérives du tranhumanisme qui fait forcément penser aux Truismes de Marie Darrieusecq, avec une toile de fond plus contemporaine, car l'auteure réussit aussi une critique subtile mais efficace du tout- libéralisme.



Un récit empreint de poésie où les sensations liées au corps sont omniprésentes, comme si cet éveil sensuel lié à la nature, nous l'avions étouffé, dans notre course au toujours plus.



A lire si vous cherchez un roman atypique et surprenant !
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
Commenter  J’apprécie          382
Frappabord

"Je vous repère d’abord de loin, attirée par vos mouvements, mêmes infimes, et surtout par la chaleur et le dioxyde de carbone que vous dégagez. Je m’avance précautionneusement et hume votre odeur. Vous possédez tous des effluves différents. J’avoue préférer celui des mâles, un peu plus acidulé et épicé, terreux parfois, mais toujours enivrant."



2024, Canada, Théodore, fatigué, usé, par un travail répétitif, une chaleur exceptionnelle, épuisante, se traine pour aller travailler. Il passe des nuits à se battre contre les taons à cheval, des mouches à chevreuil, qui envahissent son appartement par le moindre interstice. Après la mort de ses parents, il est seul à s’occuper de son grand-père, qui vit dans un institut, ça lui retourne l’estomac de le voir attaché et si maigre.



"Délicatement, je dépose ma bouche sur votre peau suave, telle une langue chaude, initiant juste assez de succion pour en goûter la saveur. Une pulsion indescriptible m’envahit. J’entrouvre ma bouche et perce votre tégument de mon stylet en forme de couteau. La plaie ainsi ouverte laisse échapper les fluides corporels. Je suce et avale avec délectation votre sang, fabuleuses proies. Chaud. Sucré. Précieux. Vital. Je suis hématophage."



1942, afin de contribuer à l’effort de guerre, Thomas, chercheur dans une université de Montréal, est réquisitionné par l’armée canadienne, pour travailler en tant qu’entomologiste dans un laboratoire. Il se retrouve sur Grosse-Île, au beau milieu du Saint-Laurent, ils sont trente scientifiques : douze en provenance des États-Unis, quatorze d'Angleterre et quatre du Canada. Le programme de guerre bactériologique déployé sur l’île était une collaboration entre ces trois pays. Pourquoi à cet endroit ? interdiction de discuter entre collègues ou avec le personnel de l’armée et les employés de l’île. "If you ever speak, people could die."



A l’ouest, dix spécialistes de l’anthrax s’activaient sur le projet N, un peu plus au nord, quinze virologistes travaillaient sur le projet R (pour Rinderpest), et à l’est, pour le projet F (pour Fly), collaboraient, un virologiste, un pathologiste, deux épidémiologistes et Thomas, spécialisé dans l’étude des insectes.



"Pour nous, les conditions idéales étaient réunies, ce qui nous permettait de nous multiplier abondamment. Vous auriez probablement ressenti de la nausée en nous voyant surgir sur les berges du Saint-Laurent : une nuée de frappabords, en une seule main sombre et vorace, caressant les herbes hautes au lever du soleil.

La plupart de mes congénères s’étaient réfugiés dans les champs où vous laissez paître le bétail. Je m’acharnais jour et nuit sur ces pauvres bêtes sans défense. J’adorais particulièrement leurs oreilles tendres. J’avais la possibilité de les savourer tout en observant leurs yeux désespérés. Cela les rendait complètement folles, et moi, fébrile."



2024, Les températures atteignent des sommets encore inégalés à ce jour au Québec…quarante degrés Celsius. L’énervement est à son comble, des cas de violence à Montmagny, des bagarres, la prolifération d’insectes. Des biologistes cherchent à expliquer l’importante éclosion de mouches à chevreuil dans la région.



"J’ai goûté toutes vos peaux, vos sangs, vos sueurs, hommes, femmes, enfants, malades, stressés, propres, sales. J’ai digéré toutes vos chairs dans l’objectif ultime de me reproduire un jour.

En même temps, cette attente remplissait chacune de mes cellules d’une délicieuse béatitude préorgasmique. J’avais appris de mes ancêtres que la patience se cultive ; on appelle cela la chasse.

Une envie si profonde s’est alors emparée de moi. J’ai craqué. Succombé. Abdiqué. Abandonné toute retenue."



Frappabord de Mireille Gagné, un livre très intéressant, sur un épisode de l’histoire que je ne connaissais pas, une fiction, inspirée de faits historiques. Une leçon aussi pour le futur de notre planète. Le titre m’a attiré, ayant déjà croisé ces insectes dans "À la lisière du monde". Moi, qui prend les jambes à mon cou, au moindre bruissement d’ailes, c’est effrayant. Coucou les Canadiens, je vous aime, mais gardez-les chez vous, je vous assure qu’on a ce qu’il faut. Merci.



"Il n’existe pas de mot assez puissant pour décrire l’agacement, l’emportement, la tristesse, l’énervement, l’exaspération, l’impatience, la frustration, l’indignation, l’impuissance, la résignation, l’irritabilité, la susceptibilité, la fureur, l’amertume, la dureté, l’affolement, l’agitation, l’embrasement, la violence, la furie, la rage dévastatrice qui m’habite depuis ce jour-là. Quand je pense à toi et à ton espèce.

Je vous méprise. Je vous déteste. Je vous abhorre. Je vous exècre. Je vous aversionne. Je n’ai jamais vu des individus aussi malveillants envers eux-mêmes et les autres.

J’avais confiance que la canicule persisterait. Vous aviez suffisamment perturbé le climat pour permettre la poursuite de ce cycle. Je laissais leur destin entre les mains de la nature, sachant au plus profond de moi que j’avais parfaitement accompli ma mission. Je t’avais transmis bien plus qu’une simple morsure. Notre rage devenue tienne."



Un récit bien écrit et qui se lit très vite, une découverte pour moi.







Commenter  J’apprécie          3635
Le lièvre d'Amérique

Un premier roman saisissant, découvert sur Bookstagram et que j'ai beaucoup aimé.

La couverture m'a fait penser à une partie de cache-cache que ma petite famille et moi avons faite avec un lièvre d'Amérique à Mono Lake (photo en fond ci-contre), lors d'un voyage sur la côté Ouest américaine et je suis ravie d'en avoir appris un peu plus sur ce charmant animal aux grands oreilles ! Ses sens sont par exemple toujours en éveil, il n'a besoin que de très peu de sommeil.

Ses performances ont un lien direct avec celles que cherche à atteindre Diane, le personnage principal de ce roman. Être toujours plus performante, travailler, travailler toujours dans notre société. Capitaliste. Profitable. À outrance. L'humain au début, en milieu, en bout de chaîne, peu importe, s'associe au toujours plus. Toujours plus au risque de sombrer, d'oublier certaines recommandations, de s'oublier et de rentrer dans la spirale infernale du surmenage. Aux prémices de cet engrenage, il y a fort souvent un vide à combler.

Je m'arrête là? Il serait dommage d'en dévoiler davantage.

La plume : imaginative et créative, poétique et tonique.

In fine : une très belle surprise de la Rentrée Littéraire 2020. Une satire sociale qui interroge notre rapport au travail et à la nature et qui m'a profondément parlée.

MERCI Mireille Gagné. Quel plaisir de vous lire et de vous écouter aussi.

MERCI les éditions La Peuplade ; les parutions lues chez vous ont toujours été de belles rencontres pour moi.

En quatrième de couverture, l'éditeur écrit : « Ce roman, une fable animalière néolibérale, s’adresse à celles et ceux qui se sont égarés. » Tout est dit.

Une lecture que je recommande vivement !
Lien : https://seriallectrice.blogs..
Commenter  J’apprécie          342
Le lièvre d'Amérique

De nombreuses chroniques louangeuses vues depuis quelques mois, un éditeur québécois déjà apprécié par le passé, un livre gentiment poussé jusqu’à moi et une proposition de lecture commune : cela faisait au moins quatre bonnes raisons de ne pas repousser davantage la lecture de Le Lièvre d’Amérique de Mireille Gagné.



Un petit – trop petit ? – livre atypique, un conte, une fable, un songe un brin dystopique sur la métamorphose choisie de Diane, salariée exemplaire des temps modernes, adepte du toujours plus jusqu’à vouloir augmenter ses propres capacités. Ce qui n’est pas sans risque…



Car comme tant d’autres, Diane s’est égarée, s’est déréglée, au point désormais de se faire peur. Et de vouloir renouer avec ses origines, son identité, ce qui l’a construite autrefois : l’Isles-aux-Grues, la nature, l’amitié avec Eugène, et puis le drame… La tentation est forte du retour aux sources, de redevenir un de ces lièvres d’Amérique, espèce qui sait si bien s’adapter et se transformer pour faire corps avec son environnement naturel.



Généralement peu adepte de ce genre littéraire, j’ai bien aimé les variations de styles de l’auteure, sa façon de jouer avec la ponctuation, les époques et les différences de longueur pour « égarer » à son tour son lecteur, comme le figurent si bien les sombres illustrations double page qui séquencent les groupes de chapitres.



Mais un regret subsiste : c’est trop court, beaucoup trop court ! Le personnage de Diane comme la réflexion de fond sur la course à la performance ou le transhumanisme auraient gagné à s’étaler sur davantage de pages. Une petite frustration personnelle qui ne m’empêche pas d’avoir apprécié cette lecture si apaisante.
Commenter  J’apprécie          330
Frappabord

La vengeance de la nature



Mireille Gagné revient avec un thriller écologique qui, à partir de recherches menées en 1942 par l'armée, va déboucher sur les mutations d'insectes. Durant l'été caniculaire de 2024, l'un des derniers témoins, va pousser son petit-fils dans une quête de vérité. Flippant!



Avant d'entrer de plain-pied dans ce roman, une petite définition, celle de Frappe-à-bord ou frappabord. Il s'agit, au Québec, du nom générique donné à diverses variétés de mouches piqueuses. Surnommées également taon à cheval, mouche à cheval, mouche noire ou mouche à chevreuil, on dit qu’elles frappent d’abord leur victime avant d’arracher une parcelle de peau pour se nourrir de sang. [Genre Chrysops; famille des tabanidés.]

C'est l'un de ces spécimens qui raconte dans le chapitre initial comment il se délecte des peaux douces et du sang de ses proies.

Sa victime s'appelle cette fois Théodore. Il est éreinté par son travail à la chaîne et par la canicule qui plombe l'Amérique du Nord et notamment Montréal et sa région. Le jeune homme a laissé un trou dans sa moustiquaire et ne peut que constater les dégâts. À la douloureuse piqûre succède une rougeur et des démangeaisons.

Le lecteur suit ensuite les pas de Thomas en 1942, au moment où il est réquisitionné par l'armée. L'entomologiste est conduit sur la Grosse-Île du Saint-Laurent où, aux côtés de dizaines autres scientifiques, il participe à un programme de recherches secret. Ou plus exactement, comme il le découvrira plus tard, à l'un des trois programmes lancés conjointement par les armées américaines, britanniques et canadiennes.

Tout d'abord, le projet N (pour Anthrax, ou maladie du charbon en français) doit «produire par semaine cent-vingt kilos d’anthrax destinés à fabriquer mille-cinq-cents bombes». Puis vient le projet R (pour Rinderpest), qui «développe un vaccin contre la peste bovine afin de le produire en quantité suffisante en cas d'attaque allemande sur le bétail des Alliés.» Et enfin le projet F (pour Fly), celui de Thomas, chargé de «développer des méthodes de propagation d'épidémies à l’aide d'insectes (...) Les savants avaient pour objectif de les introduire dans les organismes de différents insectes afin que ceux-ci deviennent des vecteurs de transmission de ces agents pathogènes.»

Si le frappabord est bien le rapport entre les expériences de 1942 et les insectes particulièrement virulents de 2024, un second point commun va surgir, le grand-père de Théodore. À l'époque, il vivait sur la Grande-Île et s'inquiétait des recherches menées là.

Particulièrement agité, le vieil homme est aujourd'hui attaché sur son lit dans le pensionnat où il vit. Des conditions de vie qui vont choquer son petit-fils. Aussi décide-t-il de libérer l'aïeul et de fuir avec lui.

Dans leur fuite, ils retrouveront la Grande-Île et les frappabords pour un final en apothéose.

Ce qui fait froid dans le dos à la lecture de ce thriller écologique, c'est qu'il se base sur des faits réels. Comme l'explique Mireille Gagné, «des recherches biologiques sur la peste bovine et l’anthrax ont réellement eu lieu à Grosse-Île, au Canada, entre 1942 et 1956. Des manipulations expérimentales ont également été réalisées par l'armée américaine à Fort Detrick, aux États-Unis, pour utiliser les insectes comme vecteurs potentiels de contamination.» À partir de là, l'autrice du lièvre d'Amérique a tissé ce livre au suspense haletant. De 1942 à 2028, on suit les apprentis sorciers qui, sous l'effet du réchauffement climatique, réveillent les vieux démons.

Frappabord est certes un roman d'anticipation, mais si proche d'aujourd'hui que les pessimistes se diront qu'il est déjà trop tard et que les optimistes y liront l'urgence d'agir.

NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu jusqu’ici! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre. Vous découvrirez aussi mon «Grand Guide de la rentrée littéraire 2024». Enfin, en vous y abonnant, vous serez informé de la parution de toutes mes chroniques.






Lien : https://collectiondelivres.w..
Commenter  J’apprécie          290
Frappabord

Dans ce roman, l’autrice ose donner la parole à une de ces infâmes bestioles dont le bizz-bizz continuel est comme les sirènes qui préviennent des bombardements, presque aussi dérangeant que la piqûre elle-même.



De quoi « piquer » votre curiosité ?



Ajoutons un retour à la Seconde Guerre mondiale où des laboratoires bactériologiques ont été installés sur une île du fleuve St-Laurent.



Et lorsque les insectes risquent aussi d’être porteurs de virus mortels, l’histoire tourne au cauchemar.



Vous aurez compris qu’il s’agit d’un roman dystopique, savoureux mélange d’écologie et d’imaginaire, mais rien de lourd, car porté par une belle écriture.
Commenter  J’apprécie          250
Le lièvre d'Amérique

Le lièvre d’Amérique était court, c’était un conte et je suis passée à cent lieues de lui, le lisant, sans jamais accrocher vraiment.



C’est un roman atypique, surprenant à plus d’un titre, captivant par certains moments, qui dénonce les conditions de travail dans certains bureaux où les employés bossent au-delà des heures et qui met en scène d’une manière originale le mythe algonquien du lièvre Nanabozho, mais voilà, la rencontre n’a pas eu lieu entre lui et moi.



Dommage.
Commenter  J’apprécie          220
Le lièvre d'Amérique

Un roman comme un lièvre qui bondit et change constamment de trajectoire pour égarer les poursuivants.



Il y a la magnifique couverture du livre qui incite à l’ouvrir. Il y a le lièvre d’Amérique, petite bête pacifique (qui vient brouter le trèfle dans ma cour). Il y a Diane, en convalescence d’une mystérieuse opération et qui ne reconnaît plus son corps. Il y a Diane, l’obsessive et asociale, qui croule sous la pression dans un bureau, qui ne vit que pour son travail et a toujours peur de ne pas en faire assez. Il y a aussi une adolescence sur L’Isle-aux-Grues, qui rencontre un garçon. Il y aura même la légende ancienne du lièvre qui apparait à ceux qui se sont égarés.



Pas facile à suivre, il faut savoir que les J+5 ou les J-34 en tête de chapitre situent le temps après et avant l’opération. En fait, c’est une caractéristique de ce court de roman de tenter de nous égarer, en mêlant la chronologie de l’histoire de Diane adulte, les chapitres d’enfance où elle devient la narratrice et ces textes d’information sur le lièvre d’Amérique.



La beauté de la nature, une belle imagination et une écriture qui suggère encore plus qu’elle ne décrit.
Commenter  J’apprécie          210
Le lièvre d'Amérique

Mon billet ne sera pas long, histoire de ne pas trop en dire sur ce premier roman de Mireille Gagné. Et je vous conseille de ne pas trop lire la quatrième de couverture.



Cela commence par une description du comportement du lièvre d’Amérique. Puis nous faisons connaissance de Diane, qui se réveille d’une mystérieuse opération. Nous retournons ensuite dans le passé de la jeune femme, à l’Ile-aux-Grues, là ou elle a connu Eugène, un ado proche de la nature et de la mer. Nous revenons ensuite dans le monde du travail de Diane.



Chaque partie du roman, séparée par une double page illustrée que vous découvrirez si vous décidez de le lire, est ainsi constituée de quatre éléments qui sont comme des pièces de puzzle qui nous permettront de comprendre ce qu’ont vécu Eugène et Diane (le choix de ce prénom n’est pas indifférent, il m’a fait penser à Diane chasseresse) et quelle est la mystérieuse opération subie par la jeune femme. J’ai été touchée par ce qui est arrivé aux deux adolescents sur l’île, comment les blessures de jeunesse peuvent influer profondément sur les vies adultes. Un joli lexique à la fin du roman nous permet de saisir la beauté de l’Ile-aux-Grues. Et à la fin aussi, l’autrice nous livre une légende algonquienne qui donne un autre éclairage au récit. Le tout forme un objet littéraire intelligent et sensible, un premier roman original et réussi caché derrière une bien jolie couverture.
Lien : https://desmotsetdesnotes.wo..
Commenter  J’apprécie          210
Frappabord

Je pense qu’il y a une forme de snobisme à chérir les écrivains Québécois. Ils sont étrangers mais pas trop, puisqu’ils emploient la langue de Molière. Mais cet engouement est justifié. Il y a chez les auteurs francophones une fraîcheur, un détachement, une originalité que nos littérateurs hexagonaux ont perdue. J’ai récemment retrouvé ces qualités chez Kevin Lambert et Éric Chacour. Mireille Gagné, avec un peu moins de panache, ne fait pas exception.

De quoi le Frappabord est-il le nom ? D’un spécimen de taon redoutable qui mord ses proies sans ménagement. Pendant la seconde guerre mondiale, des militaires inconscients ont l’idée de l’utiliser pour transmettre un virus létal. Le cauchemar devient réalité quand survient une énième manifestation du dérèglement climatique.

Pour raconter son histoire, Mireille Gagné s’est placée dans la peau des chercheurs, du petit fils de la première victime avérée et, trouvaille géniale, d’un frappabord malin et retord. C’est évidemment le témoignage de la vermine qui m’a le plus amusée. Il donne son piquant au récit (lire les chapitres intitulés « proie » et « coït » - un bonheur coupable). C’est d’ailleurs au taon que revient la responsabilité de tuer le suspense et de punir ces hommes qui n’ont toujours pas compris qu’en maltraitant la nature, ils courent à leur perte. Plus bêtes, tu meurs…

Une fable écologique qui se lit avec plaisir.

Bilan : 🌹

Commenter  J’apprécie          150
Le lièvre d'Amérique

Sises à Chicoutimi, au nord du Québec, les Éditions La Peuplade font beaucoup parler d'elles, en cette rentrée littéraire, avec notamment l'excellent livre islandais La fenêtre au sud et le premier roman d'une autrice du cru, poétesse et nouvelliste par ailleurs, Mireille Gagné, avec Le lièvre d'Amérique. Cette "fable animalière néolibérale" est construite en plusieurs étages et mouvements : son héroïne, Diane, avant et après une opération transgénique, ses souvenirs d'adolescence sur une île, des notules documentaires sur le lièvre d'Amérique. Les chapitres qui alternent, avec des styles différents, perturbent quelque peu et obligent à un effort initial avant de trouver leur logique dans la progression du récit, les éléments fantastiques croisant les moments élégiaques de la vie d'avant de Diane, en symbiose avec la nature. Le roman est court, un peu trop peut-être, mais il est très dense, proposant une réflexion sur la société actuelle, basée sur la compétitivité et la performance. Étrange livre, avec sa métamorphose digne de Kafka, qui agglomère plusieurs genres littéraires avec brio, laissant au lecteur toute latitude pour s'interroger et fantasmer sur un monde où l'homme n'a de cesse de vouloir "s'améliorer" en oubliant les règles élémentaires de la nature. Là où il y a implantation de gènes, il n'y a pas nécessairement du plaisir. Le lièvre et la torture, voici une fable à laquelle La Fontaine n'aurait certainement pas songé.
Lien : https://cin-phile-m-----tait..
Commenter  J’apprécie          150
Le lièvre d'Amérique

Le petit ami de Diane a disparu depuis qu’il a assisté à la mort d’un lièvre. L’amour est un sentiment mystérieux. D’ailleurs, il ne s’agirait pas d’un sentiment mais d’une logique. Nous pouvons parier là-dessus. Logique du sujet de l’inconscient, évidemment. Si la vie vous a pourvu d’une informité structurelle inconsciente dès l’origine, vous serez mal barré, c’est le cas de le dire, trop peu barré.





L’amour, donc, serait le produit d’une logique qui s’y retrouve dans ses comptes. Un lièvre écrasé, et l’amour peut choir. L’amour tient à peu de choses. Un lièvre mort, et un amour se termine, si tant est que la disparition d’un être puisse être considérée comme la fin d’une relation. Maintenant que vous m’induisez en tentation réflexive, je vous dirais que ce n'est peut-être pas le cas. L’histoire pourrait être plus complexe. Pourrions-nous l’expliquer par une révision de la hiérarchie des amours ? Il suffirait alors de dire que l’amour pour le lièvre mort a pris le dessus sur l’amour pour la femme, ici prénommée Diane.





Ma foi, Diane ne pensait plus à tout cela avant de se faire opérer, chirurgicalement j’entends, avec tous les moyens de la science moderne, afin de devenir plus performante. Vous commencez à comprendre maintenant que l’histoire ne tient pas très bien la route. Le transhumanisme a eu de beaux jours devant lui avant la survenue de la tempête ionique qui a duré trois semaines en 2025. Combien d’ovocytes conservés dans des sachets en plastique depuis des décennies ont-ils été décongelés ? Combien de paires de ciseaux Crispr-cas9 se sont-elles fendues dans le cœur tourmenté de doubles hélices de tératoandroïdes en pamoison ? Combien de vivants artificiels sont-ils à avoir enfin rendu leur désir terrestre ? Alors, vous voyez, une opération pour devenir plus performant, dans le sens de la puissance, sans doute, cela n’est pas précisé, plus personne n’y croit à fond, ou ne serait-ce même qu’à moitié. D’ailleurs, la science a ceci de bon qu’elle ne sait pas ce qu’elle fait et qu’elle parvient toujours à nous surprendre, du côté où nous l’attendons le moins, évidemment.





Diane devient progressivement un lapin, nous dit l’écrit très vaine, c’est-à-dire, précise-t-elle pour nous faire réviser nos animaux, que des taches de rousseur lui apparaissent, que ses cheveux prennent une teinte rousse, qu’elle se convertit à la religion végétarienne et qu’il lui prend l’envie, plus que de coutume, de bondir sur place sans rime ni raison. Révoltée par l’ordre des êtres humains, Diane quitte son poste et offre son appartement à un clochard afin que celui qui en était sorti, de cet ordre humain, puisse y revenir. Elle lui rend donc le déchet de sa révélation mystique. Elle part à la campagne, sang de lapin, à la recherche des siens. Elle reste femme cependant puisque, représentante à son insu de l’ordre de Gaïa, elle réalise l’union fantasmagorique entre l’homme et la nature, accomplissant l’harmonie dont la vie moderne l’éloignait. Elle reste citadine, également, accordant toute gloire à une nature idéalisée dont elle ignore la férocité. « Ma peau nue, laiteuse et éclatante, comme les restants d’un pelage d’hiver, illumine la forêt. Sauvage, je secoue mes cheveux. Mes poils se dressent. Pendant un instant, je me sens entière : j’appartiens à l’île, en phase avec ses marées, plus aucune fente, délivrée de toute attache possible. Une renaissance. »





Je me souviens de celui qui s’arrêtait à chaque bac d’arbustes installé entre deux abris de bus dans les villes et qui en coupait une feuille pour la goûter, espérant ainsi la reconnaître et en déclamer le nom – prenant la nomination donc pour l’amour. Selon l’inclination du moment, il hasardait : verveine – menthe – hibiscus – lin doré. Il fut un jour, après dégustation, si malade qu’il ne parvenait plus à rester assis sur le siège passager de la voiture qui le conduisait à l’hôpital.





L’amour ne vous semble-t-il pas, de toutes manières, toujours plus imbitable ? Un lièvre écrasé vous en éloigne, alors vous devenez lapine et finalement vous baisez avec la terre. Vous croyez poursuivre une biche, et il n’en reste qu’un linceul.

Commenter  J’apprécie          141
Le lièvre d'Amérique

Dans un futur tout proche, et pas bien différent de notre monde, Diane se réveille d’une opération d’un genre nouveau, à son domicile, où elle doit rester au repos le plus complet pendant une semaine. Mais les changements survenus dans son corps et son comportement sont-ils ceux qu’elle avait anticipés ?

Voici un petit roman, par la taille, mais dont la puissance vaut bien des grands : un peu compliqué à expliquer, son déroulé reste pourtant tout le temps parfaitement clair à la lecture. Arrivent tour à tour des pages sur la biologie du lièvre d’Amérique, d’autres sur le présent de Diane qui récupère dans son appartement, d’autres sur l’ambiance de stress au travail qui a poussé la jeune femme au bord du burn-out, et enfin des chapitres sur l’adolescence de Diane dans l’Île-aux-Grues, pages où elle repense avec nostalgie à Eugène, le garçon si original qui était devenu son voisin et ami.



Au début, j’ai vu le roman comme une sorte de croisement entre deux de mes dernières lectures, Métamorphoses et Cora dans la spirale, ce qui est moins bizarre qu’il n’y paraît, et qui m’a aidée à y plonger aussitôt. Il faut y ajouter de lumineux passages sur la nature, et une belle histoire d’amitié. Je suis souvent prête à critiquer les auteurs qui veulent mettre trop de thèmes dans leurs romans, mais là, j’ai été sous le charme de ce mélange original.

Et puis l’écriture… le roman se lit comme une légende, mais une légende moderne, dont la petite musique contemporaine devient très rapidement séduisante. Je dirais que ce n’est pas un roman qui se dévore, ses sauts dans le temps, et d’un thème et d’un style à un autre poussent davantage à le savourer. Je trouve que vous avez de la chance, celles et ceux qui ne l’ont pas encore lu !
Lien : https://lettresexpres.wordpr..
Commenter  J’apprécie          142
Le lièvre d'Amérique

Une fable moderne et dystopique : et si on pouvait modifier notre organisme et le rendre plus performant ? Plus besoin de sommeil ni de repos, parfait pour une carriériste comme Diane, qui veut en faire toujours plus...

Alternant passages avant et après "l'opération", mais aussi passages de l'enfance et de l'adolescence, ce roman aux allures de fable m'a un peu perdue et vaguement ennuyée.

Pas mal comme idée de départ mais vite oublié !
Commenter  J’apprécie          130




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Mireille Gagné (457)Voir plus

Quiz Voir plus

L'affaire Caïus- Henry Winterfeld

Combien y-a-t'il de classe dans l'école?

5
4
2
1

6 questions
149 lecteurs ont répondu
Créer un quiz sur cet auteur

{* *}