Naomi Klein

En tant qu'industrie, nous devons reconnaître que l'antipub est une menace qui pèse sur le capitalisme, sur la liberté de presse, sur nos formes de loisir fondamentales, et sur l'avenir de nos enfants.

Jack Myers, Adbashing : Surviving the Attacks on Advertising, p. 45

Selon cette loi des rendements décroissants, plus il y a de publicité (et il y en a toujours, à cause de cette loi), plus les marques doivent se distinguer par la promotion. Bien sûr, personne n'est plus vivement conscient de l'ubiquité de la publicité que les publicitaires mêmes, qui considèrent l'inondation commerciale comme un argument clair et persuasif en faveur d'une publicité encore plus présente et plus intrusive.

Au cours des cinq dernières années, nous, Occidentaux, avons de plus en plus entrevu une autre sorte de village planétaire où le fossé économique s'élargit et où les choix culturels se réduisent.
C'est le village où des multinationales, loin de niveler le terrain planétaire au moyen de l'emploi et de la technologie pour tous, sont en train d'exploiter l'arrière-pays le plus pauvre de la planète pour en tirer des profits inimaginables.

En 1997, le Canada a importé de l'Indonésie pour 11,7 millions de dollars d'anoraks et de vestes de ski, contre 4,7 millions en 1993.

Avec ses décennies en strates, l'avenue Spadina a un charme merveilleux et accidentel, comme nombre de quartiers relégués de la sorte dans les limbes postindustriels.

Il est temps de repenser notre façon de vivre, de manger, de voyager, de commercer et de gagner notre vie. Ensemble, nous pouvons agir bien au-delà de ce que réclame la lutte contre la hausse des températures. Les changements que nous effectuerons pour sauver la planète doivent également servir à protéger les populations les plus vulnérables (souvent oubliées) et à les rendre plus fortes. Nous devons créer un monde plus sûr et plus juste pour tous.

Tandis que les militants d'avant s'intéressaient exclusivement aux symptômes de la crise climatique et environnementale, la génération actuelle s'attaque à la "maladie " elle-même : le système économique et social, qui place les profits avants nos vies et avant notre avenir climatique.
Les grèves de l'école et les autres mouvements de la jeunesse montrent que beaucoup de jeunes ont envie de voir la société changer en profondeur. Ils veulent une autre politique et une autre économie, portées par de nouvelles valeurs - en particulier de justice - et respectueuses du budget carbone.
" Mais cela n'est pas suffisant, prévient Greta Thunberg. Nous avons besoin d'une toute nouvelle manière de penser (...) Nous devons cesser d'être en compétition les uns avec les autres. Nous devons nous mettre à coopérer et à partager équitablement les ressources encore disponibles de cette planète. "

Qu'est-il arrivé au sentiment d'urgence que tant de gens avaient ressenti à la fin des années 1980 face au réchauffement climatique ? Et où est passée leur détermination à le combattre ? Dans son article fleuve de 2018, Nathaniel Rich a avancé une théorie : " Tous les faits étaient connus, rien ne nous empêchait d'avancer. Rien - sinon nous-mêmes. Les êtres humains, continuait-il, sont incapables de sacrifier leur confort présent pour prévenir les maux des générations futures. "

Dans le droit-fil de cette logique néolibérale, il y a la conviction que l'Etat devrait être davantage géré come une entreprise et devraient moins investir dans la garantie et la protection des besoins fondamentaux de la population.

Une imposante majorité de climatosceptiques ne sont pas seulement d'allégeance conservatrice, ils sont également de race blanche et de sexe masculin. Les hommes blancs jouissent de revenus plus élevés que la moyenne et, par rapport aux autres adultes, ils sont plus fermement convaincus de la pertinence de leur propre vision du monde, qu'elle soit fondée ou non.

Les chercheurs se sont penchés sur cet épisode où, au moment d'abolir l'esclavage en 1833, le Parlement du Royaume-Uni s'était engagé à dédommager les propriétaires d'esclaves pour la perte de leurs biens humains, une forme rétrograde de réparation destinée aux responsables de l'esclavage plutôt qu'à leurs victimes. Les paiements ont totalisé 20 millions de livres sterling, une somme qui, selon The Independent, "représentait une proportion ahurissante de 40 % du budget annuel de l'Etat, et qui équivaudrait aujourd'hui, calculée en salaires, à environ 16,5 milliards de livres sterling".

En vérité, ce ne sont pas les habitants des pays riches qui vont gagner ou perdre la vraie bataille - et c'est là la dure leçon d'humilité pour des cultures habituées à croire qu'elles président aux destinées du monde. L'issue dépendra plutôt des mouvements qui, dans les pays du Sud, mènent leurs propres luttes blocadiennes en réclamant leurs propres transitions énergétiques, leurs propres emplois écologiques et le maintien sous terre de leurs propres réserves d'hydrocarbures.

De plus, bien des gens qui, voilà quelques décennies, ont bâti des alternatives locales se voient à nouveau contraints de monter aux barricades, car bon nombre des bulles idylliques où ces marginaux des années 1960 avaient réalisé leurs utopies se sont soudain vu assiégées : leurs côtes sont désormais menacées par les superpétroliers, leurs villages par les trains de charbon ou de pétrole, et leurs terres par les puits de fracturation.

Dans les années 1960, par exemple, la contre-culture s'est scindée en deux groupes : d'un côté les personnes qui sont restées en ville pour mieux s'opposer aux guerres et lutter contre les inégalités et de l'autre, celles qui ont choisi de vivre en marge selon leurs valeurs écologistes, en compagnie de leurs semblables en se lançant dans l'agriculture biologique ou en s'établissant dans des villes à échelle humaine comme Bellingham dans l'Etat de Washington. Militants ou exilés.

Les mouvements d'aujourd'hui n'ont pas le luxe d'un tel dilemne. En cette époque de contrainte et d'exclusion économiques, les groupes qui se battent contre les énergies polluantes se sont rendu compte qu'ils n'élargiront jamais leur base s'ils ne proposent pas d'alternatives économiques aux projets qu'ils contestent.

Dans le cadre d'une étude menée en 2012, le Centre canadien de politiques alternatives a comparé les retombées potentielles de la construction d'un oléoduc de 5 milliards de dollars (le coût approximatif du projet Northern Gateway d'Enbridge) à celles d'un investissement équivalent dans des activités économiques vertes. Les chercheurs ont constaté que l'option de l'oléoduc génère essentiellement des emplois de courte durée dans le domaine de la construction, de profits juteux pour le secteur privé et des dépenses publiques élevées pour les opérations de nettoyage consécutives à d'éventuels déversements. En revanche, si on investit 5 milliards dans les transports en commun et les énergies renouvelables, on crée au moins trois fois plus d'emplois à court terme tout en réduisant les risques de réchauffement catastrophique à long terme.

Les emplois syndiqués et bien payés sont tellement rares que bien des gens sont prêts à se battre pour n'importe quel job, si dangereux, précaire ou polluant soit-il.

En nous émerveillant devant cette fragile et délicate bille bleue, en nous engageant à venir à son secours, nous endossons le rôle d'un parent protecteur, à mille lieues de la réalité. Ce sont les humains qui sont fragiles et vulnérables, qui vivent sur une Terre puissante et nourricière qui les maintient en vie. Autrement dit, le défi consiste moins à sauver la Terre qu'à nous protéger d'une planète qui, si l'on outrepasse ses limites, peut nous anéantir.

La catastrophe* a en effet mis en lumière le danger de la dépendance à des réseaux électriques centralisés pouvant être mis hors fonction en éclair. Elle a révélé les coûts funestes de l'isolement social : les gens qui ne connaissent pas leurs voisins ou s'en méfiaient se sont retrouvés en position particulièrement précaire, tandis que les collectivités plus solidaires s'en sont beaucoup mieux tirées.

* ouragan Sandy, Etats-Unis, 2012

Dans une étude réalisée en 2009 par la Harvard Medical School, quelque 45 000 personnes meurent chaque année aux Etats-Unis parce qu'elles ne possèdent pas d'assurance médicale adéquate.

La dame à la Rolls entame bien plus le moral du pays qu'une flotte de bombardiers dépêchée par Göring.
George Orwell, Le lion et la Licorne, 1941