Le Tableau de Paris, de Restif de la Bretonne, est d'une lecture instructive. Il fourmille d'anecdotes sur la vie de la capitale à la veille de la Révolution. Il y a certes un projet littéraire dans ce récit de mille et une nuits fidèlement contées à une belle et bonne dame, mélancolique et bienfaisante, par un spectateur-nocturne à l'affut du fait divers tragique ou comique, qui lui permet d'avoir le beau rôle de redresseur de torts.
Mais derrière l'artifice narratif, on trouve un ensemble de réflexions au fil de la plume, à la manière des Essais de Montaigne ou des Confessions de Rousseau, tant admiré au firmament de ses idoles (Montesquieu, Voltaire et Buffon -p. 248). Des idées, il en a foison. de bonnes et de mauvaises. Parmi les plus intéressantes, celle sur la réforme de la médecine légale, pour mettre fin au trafic des cadavres (p. 67). Son voeu de pacifier les nuits parisiennes ("J'ai toujours été surpris que la police moderne donnât si peu d'attention à la tranquillité nocturne des citadins... Dans un pays bien réglé, le repos des gens de travail devrait être respecté... il devrait être défendu aux oisifs, aux libertins, aux soupeurs en ville et surtout aux chiens de le troubler" p. 82). Son souci de supprimer la peine de mort pour les voleurs (p. 110). Ses préventions contre la Ferme générale (p. 164).
D'autres propositions sont moins heureuses — (la suppression des égouts souterrains, p. 209) — ou plus curieuses — (un tarif aménagé et progressif en fonction des moyens des clients de la prostitution, p. 262 ; l'interdiction de l'allaitement des enfants pour les grandes dames de Paris, p. 275) —.
Les portraits sont savoureux — (L'homme aux lapins, p. 118, 124 ; L'homme qui ne dépense rien, p.168, 284) —, comme la description de la folie des airostats, à une époque où Blanchard et Jeffries traversent la Manche en ballon à hydrogène, un siècle avant Blériot !
"Toutes les réformes de l'administration publique me sont passées par la tête, dès ma jeunesse, et je me suis quelquefois demandé :— est-ce qu'ils m'auraient entendu ?..." (p. 273). Au concours Lépine des idées politiques, Rétif est un concurrent sérieux : il veut abolir la propriété (" Tout le mal qui existe dans le monde vient de la propriété, p. 88), sans rien changer au régime monarchique (" L'avantage de n'avoir qu'un chef... d'avoir héréditairement ce chef... p. 233 et "ne jamais permettre que le peuple soit acteur", p. 314). Il craint le désordre plus que tout, et rêve d'utopies futuristes : "1888 " (pp. 255, 258, 261). Il change d'idée d'un paragraphe à l'autre : il faut vivre et mourir au pays, sans en bouger : "c'est une vérité que j'étudie depuis trente ans et que tout m'a confirmé" (p. 116). Mais il faut excepter de cette règle le philanthrope John Howard qui parcourt le monde pour améliorer les prisons !
Comme le prince Salina du Guépard, Rétif veut que "tout change pour que rien ne change".
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