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Citations de Olivier Wieviorka (18)


L'Union soviétique, pour sa part, acquitta un effroyable tribut à la "Grande Guerre patriotique" puisque, sur cent soixante-dix millions d'habitants, elle en perdit vingt-six millions, dont dix millions portaient l'uniforme. L'URSS cumula tous les fléaux qui ne s'abattirent jamais simultanément sur les autres pays : une guerre d'une violence extrême se déroula sur son sol ; une occupation d'une brutalité inouïe frappa sa population ; un pouvoir totalitaire imposa à la société son cruel arbitraire. Ces paramètres se conjuguèrent pour transformer le quotidien du peuple soviétique en enfer.
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Des pillages s'ajoutèrent à ces crimes. Car les soldats découvrirent en Roumanie, en Pologne, puis en Allemagne un pays de cocagne. La propagande stalinienne dépeignait le capitalisme sous les plus noires couleurs. Les hommes du front constatèrent, sidérés, que le niveau de vie dans les fermes les plus humbles, loin de correspondre à l'enfer que le régime leur avait dépeint, surclassait le leur. "Qu'est-ce qu'on devrait leur faire, camarade capitaine ? demanda un sapeur à Zakhar Agranenko, un auteur dramatique servant dans l'infanterie de marine. Réfléchissez. Ils étaient à l'aise, bien nourris, avec du bétail, des potagers et des pommiers. Et ils nous ont envahis ! Ils sont allés jusqu'à mon oblast de Voronej. Rien que pour cela, camarade capitaine, on devrait les étrangler." " Nous n'arrivions pas à comprendre : pourquoi avaient-ils besoin de faire la guerre, s'ils vivaient aussi bien ? Chez nous, les gens vivaient dans des huttes de terre battue, quand eux, ils mangeaient sur des nappes blanches... buvaient le café dans des tasses de porcelaine", s'interrogea Aglaïa Neterouk, une femme sergent-radio. Face à cette profusion, les soldats s'emparèrent prestement des biens qu'ils pouvaient expédier en Russie - montres, bijoux, vêtements... En autorisant le 26 décembre 1944 à envoyer des colis depuis le front (5 kilos pour les hommes, 16 pour les généraux), le ministère de la Défense encouragea cette prédation. Si trois cents paquets arrivaient à Koursk en janvier 1945, leur nombre explosa par la suite : cinquante mille début mai. Au mitan de ce mois, vingt mille wagons attendaient d'être déchargés. Cette abondance décupla la fureur des vainqueurs, qui cassèrent ou incendièrent sans motif et sans retenue : "j'aimerais démolir à coups de poing toutes ces impeccables rangées de bocaux et de boîtes de conserve", avoua Dimitri Chtcheglov, un officier politique de la 3è armée.
Ce déchaînement de violence finit par alarmer les chefs soviétiques qui tentèrent de l'endiguer. Dans un article publié dans la Pravda du 14 avril 1945, Gueorgui Alexandrov, responsable de la propagande au Comité central, accusé Ilya Ehrenbourg, le célèbre écrivain journaliste, de simplifier la situation en présentant l'Allemagne comme "une colossale bande de bandits". Cette mise en garde répondait à l'angoisse de l'état-major qui constatait que les troupes préféraient voler, violer et se soûler que combattre. Or ces pillages perturbaient la logistique de l'Armée rouge, et la violence risquait de créer un fossé de sang entre occupants et occupés. Ce rappel à l'ordre fut ignoré et les exactions persistèrent, avivant la peur des allemands.
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Stalingrad marqua un retour à des formes anciennes de combat. Alors que les campagnes de Pologne, de France et de Russie avaient été marquées par la rapidité, le mouvement et l'engagement de masses, cette bataille s'appuya sur des poignées d'individus qui s'affrontaient mètre par mètre, appartement par appartement, immeuble par immeuble, quartier par quartier. Ces combats rappelaient la Première Guerre Mondiale - ses tranchées, ses patrouilles et ses coups de main. Les lignes de front, proches, s'enchevêtraient, et les soldats luttaient à une faible distance les uns des autres. Ces rudes conditions usaient les nerfs, d'autant que l'atmosphère était saturée des bruits que faisaient les avions, les canons et les tirs. "L'air est rempli du hurlement infernal des stukas, du tonnerre de l'artillerie, du rugissement des moteurs, du fracas des chenilles de chars, du gémissement des lance-fusées et des orgues de Staline, du crépitement des armes automatiques, et l'on ressent, en même temps, l'oppressante chaleur d'une ville ravagée par les incendies", nota un officier allemand des blindés. D'autres se montraient sensibles au spectacle dantesque qui se déroulait sous leurs yeux. Comme le commissaire politique Dobrokine l'écrivit à Chtcherbakov, chef du Directoire politique de l'Armée rouge : "Ceux qui ont vu le sombre ciel de Stalingrad à ce moment-là ne l'oublieront jamais. Il est sévère et menaçant, d'un noir que viennent lécher des flammes pourpres."
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Outre le perpétration de massacres, les Allemands décidèrent d'affamer les soviétiques, civils inclus. Dès le 2 avril 1941, une réunion rassemblant Paul Körner (secrétaire d'Etat au Commissariat du plan quadriennal de Göring), le général Georg Thomas (responsable des questions économiques à l'OKW), Herbert Backe (secrétaire d'Etat à l'Alimentation et à l'Agriculture) ainsi qu'une douzaine d'autres responsables, trancha. Les ressources alimentaires de l'Union soviétique nourriraient et les forces armées et les civils allemands. Il s'agissait autant de résoudre les problèmes logistiques que rencontrait la Wehrmacht pour s'approvisionner que d'éviter une crise de l'arrière dont les conséquences avaient été funestes lors de la Grande Guerre. Transcrit dans le "plan général pour l'Est" commandé par Himmler, ce programme, finalisé en mai 1942 et approuvé par Hitler, fut adopté par le RSHA (Sûreté) en juillet 1942. Il prévoyait d'évacuer entre 80 et 85% de la population polonaise, 64% de la population ukrainienne et 75% de la population biélorusse, soit en la déplaçant à l'est, soit en l'affamant - un projet qui condamnait à mort trente et un millions de personnes, Juifs non compris. L'espace libéré serait alors colonisé par dix millions d'Allemands. Si ce "plan de la faim" ne fut pas appliqué stricto sensu, il reflète néanmoins les intentions génocidaires des dirigeants nazis, une perspective qui n'effarouchait par Hermann Göring. "Cette année, vingt à trente millions de personnes vont être affamées en Russie", écrivit-il placidement au comte Ciano le 15 novembre 1941.
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Sur la scène internationale, le Japon se sentait menacé. Lors des négociations de Versailles, il avait réclamé que le principe de l'égalité des races fût reconnu dans le pacte créant la Société des Nations. Bien qu'il ait été adopté à la majorité des voix, ce principe fut rejeté par Wilson en 1919, le président américain craignant de créer un précédent aux Etats-Unis, alors régis par une kyrielle de mesures racistes envers les noirs. Ce refus indigna l'opinion publique japonaise. D'autant qu'en 1922 les occidentaux obligèrent Tokyo à accepter le traité de Washington qui, pour limiter la course aux armements navals, imposa la clause dite 5-5-3 : pour cinq bâtiments américains croisant dans le Pacifique, la Grande-Bretagne pourrait également entretenir cinq navires de guerre, mais l'empire du soleil-levant devrait se contenter de trois. Cet accord ulcéra les nationalistes nippons qui refusaient de passer sous les fourches caudines anglo-américaines. En 1924, par ailleurs, les Etats-Unis adoptèrent la loi Johnson-Reed qui fixait un quota draconien : les immigrants d'un pays ne pouvaient entrer sur le territoire américain qu'à proportion de 2% de la population originaire dudit pays vivant aux Etats-Unis en 1890. Ouvertement raciste, ces Immigration Act fermait toute perspective de départ aux Japonais désireux de tenter leur chance dans le Nouveau Monde, alors que la crise de 1929 allait porter un coup sévère à l'économie nippone. Entre 1929 et 1931, ses exportations chutèrent de 40%, ce qui dévasta l'industrie et accrut le chômage.
Ces sombres perspectives amplifièrent le complexe obsidional de l'archipel. Confronté à une démographie croissante - il comptait soixante-quatre millions d'habitants en 1930, mais plus de soixante-dix millions en 1937-, le Japon ne pouvait pas tabler pour sa survie sur l'économie, alors frappée par le malheur des temps. Pis, les entraves protectionnistes sapèrent la confiance que la population plaçait tant dans la liberté du commerce international que dans le talent de ses hommes politiques, impuissants à juguler la crise. Dépendant de l'étranger en amont pour ses matières premières, en aval pour ses exportations, l'empire du soleil-levant en vint, tout comme le Reich, à privilégier, pour résoudre ses difficultés, l'expansion sur le continent. La Chine devint alors un pays de cocagne dans lequel le Japon espérait écouler ses produits avec d'autant plus de facilité que, depuis la guerre de 1894-1895, il méprisait cordialement les Chinois qu'il tenait pour des couards.
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Surtout, la révolte grondait dans les régions dont le peuplement n'était pas majoritairement russe. Dans les pays Baltes tout juste annexés par Moscou, les soldats allemands furent accueillis en libérateurs. Dès le 22 juin 1941, Leonas Prapuolenis, membre du Front activiste lituanien, proclama la restauration de la république. Dans la Lettonie voisine, les soldats désertèrent et attaquèrent des unités de l'Armée rouge ou du NKVD. Début juillet, et avant même l'entrée des troupes allemandes, Limbazi, Olaine et Aluksne étaient aux mains des insurgés. En Estonie, un gouvernement provisoire s'empara début juillet du pouvoir, et les services répressifs soviétiques, malgré leur savoir-faire consommé, furent incapables de mater la rébellion qui embrasa Tartu, le 10 juillet 1941. En Ukraine enfin, les populations se souvenaient de leur brève indépendance (1917-1922), et surtout de l'épouvantable famine, sciemment entretenue par la pouvoir stalinien, qui les avait décimées en 1932-1933 ; elles offrirent du pain et du sel aux envahisseurs, pensant que le Reich leur apporterait la liberté. "Comme des nègres, nous ne rêvons que d'avoir un meilleur maître, qui soit moins cruel et qui nous nourrira mieux. Ce ne sera pas pire, voilà ce que pense tout le prolétariat et même tous les citoyens soviétiques. Et ils attendent tranquillement [...] ce nouveau maître. Tous disent : les allemands , c'est quand même mieux que les Georgiens et les Youpins", nota dans son journal Liudmila Chaporina, fondatrice de théâtre de marionnettes de Leningrad, le 31 août 1941.
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Les pionniers, par ailleurs, agirent en suivant des prémisses distinctes, puisque les uns privilégièrent la diffusion d'une presse clandestine, tandis que les autres optaient pour une action militaire. Ces principes, pourtant, ne créèrent pas pas de chemin de dépendance, pour reprendre un concept cher aux sociologues. Les mouvements surent s'émanciper des cadres posés par leurs initiateurs pour accéder à une forme de polyvalence.
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Inflexion n'est pourtant pas rupture et le parti communiste continua de privilégier, jusqu'au déclenchement de l'opération Barbarossa de 22 juin 1941 [attaque nazie de l'URSS], la lutte syndicale sur le combat armé.
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Par ailleurs, le pays de la Croix-Rouge marchanda son hospitalité. Ses réticences puisaient dans un terreau ancien. La Grande Guerre avait engendré la hantise de la surpopulation ; la peur obsessionnelle du bolchevik et de l'étranger l'attisa, de même que la crainte de s'exposer à des représailles allemandes. S'ajoutait en outre un antisémitisme diffus qui conduisit Berne à demander à Berlin le 18 août 1938 d'apposer un tampon "J" sur le passeport des Juifs allemands ou autrichiens qui quêtaient un asile sur son sol. Le malheur des temps provoqua toutefois une réponse ambivalente. Alors qu'elles savaient pertinemment que les Juifs étaient promis à la mort, les autorités helvètes édictèrent une circulaire le 13 août 1942 qui stipula que "les réfugiés qui ont fui uniquement en raison de leur appartenance à une race, les juifs par exemple, ne doivent pas être considérés comme des réfugiés politiques". La consigne était donc de les refouler. Pour reprendre la formule lancée le 30 août 1942 par le ministre de la Justice, Eduard von Steiger, la barque était pleine. Dans les faits, cependant, la Confédération se montra plus ouverte et accueillit des milliers de proscrits - nous y reviendrons.
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La "guerre du désert" - soit l'ensemble des opérations qui se sont déroulées en Afrique de Nord entre septembre 1940 et mai 1943 - porte bien mal son nom. En effet, toutes les opérations furent menées à moins de 80 kilomètres du littoral ; en outre, elles visaient à s'assurer la maîtrise de la Méditerranée, et non à s'emparer de territoires. Quoi qu'il en soit, cette formule poétique a largement contribué à forger la légende d'un théâtre d'opérations qu'animeront des personnages mythiques. Car cette guerre a sacralisé ses héros : Rommel pour le Reich, Montgomery pour la Grande-Bretagne ; certaines batailles se sont également parées d'une indicible aura, qu'il s'agisse de Bir Hakeim pour les Français libres ou d'El-Alamein pour les Britanniques. Enfin, pour reprendre le titre des carnets posthumes du maréchal Rommel, ce conflit aurait été "une guerre sans haine, échappant à la furie barbare du front de l'est.
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Avec l'opération Barbarossa et l'entrée en lice du Japon, la guerre devenait soudainement et authentiquement mondiale. Mais l'expression "Seconde Guerre Mondiale" - bien qu'adoubée par la postérité - n'est en rien évidente. Les soviétiques préférèrent la formule de "Grande Guerre patriotique", utilisée par leur quotidien officiel, la Pravda, dès le 23 juin 1941 et encore reprise par les autorités russes aujourd'hui. La Chine évoque plutôt la "guerre de résistance contre le Japon", tandis que l'empire du Soleil-Levant, après avoir opté pour "les évènements de Chine" à partir de 1937, adopta après Pearl Harbor l'expression "guerre de la plus grande Asie orientale" avant de se convertir à partir du 15 décembre 1945 à la plus neutre "guerre du Pacifique" ou "guerre de l'Asie et du Pacifique". Signe que le sens du conflit n'a pas fixé de consensus dans le Japon contemporain, les témoins, lorsqu'ils évoquent cette période, hésitent et utilisent alternativement les termes "guerre du Pacifique", "guerre de Quinze Ans", "guerre de la plus grande Asie", "incident de Chine", "Guerre sino-japonaise", voire "guerre" tout court. Les Britanniques, pour leur part, oscillèrent longtemps entre "La Guerre" et "Seconde Grande Guerre", avant que Churchill publie ses Mémoires en 1947 sous le titre La Seconde Guerre mondiale, que les officiels britanniques entérinèrent en 1948. Même de Gaulle fluctua. Tout en affirmant dans son célèbre Appel que la guerre était "une guerre mondiale", il la réduisit dans son discours du 18 septembre 1941 à une "guerre de Trente Ans, pour ou contre la domination universelle du germanisme". Certes, l'aéronavale japonaise n'avait pas encore déclenché la foudre de Pearl Harbor. Mais le Général reprit l'expression avant comme après la victoire, évoquant par exemple - le drame de la guerre de Trente Ans" dans son discours de Bar-le-Duc du 28 juillet 1946. Il procédait ainsi à une désidéologisation du conflit, ramené à un sempiternel affrontement franco-allemand que Hitler, nouveau Kaiser, aurait poursuivi. La formule "Seconde Guerre mondiale" fut donc d'abord et avant tout utilisée par les Etats-Uniens, Roosevelt en tête. Ce faisant, il dressait un parallèle avec la Grande Guerre pour montrer qu'un monde nouveau, guidé par son pays, devrait naître des cendres de l'ancien, et convaincre son peuple que l'isolationnisme avait vécu. Il répliquait ainsi au Führer qui présentait lui aussi le conflit comme une lutte mondiale - le fruit d'une conspiration universelle ourdie par les juifs. Adopté en Occident et dans une certaine mesure cantonné dans son usage à l'Ouest, le terme comportait donc à l'origine une forte charge idéologique, ce qui invite à se pencher tant sur sa signification que sur ses implications.
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Sur ces entrefaites, Winston Churchill, au comble de l'inquiétude, surgit le 3 août au Caire. Le 1° juillet, il avait subi une motion de censure aux Communes et essuyé l'ironie mordante d'Aneurin Bevan. « Le Premier ministre, déclaré le député travailliste, remporte débat après débat et perd bataille après bataille. Le pays commence à dire qu'il mène les débats comme une guerre et la guerre comme un débat.
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Au total, la guerre ne se fit sentir ni par le rationnement - somme toute acceptable - ni par les contraintes imposées au monde du travail - relativement légères. Elle imposa sa loi d'airain en mobilisant militairement les forces vives de la société et en les soumettant à une brutalité inouïe. En effet, durant le conflit, dix-huit millions d'Allemands servirent à un moment ou à un autre sous les drapeaux, soit un taux de mobilisation de 22%, alors que, dans le même temps, seize millions d'Américains seulement revêtaient revêtaient l'uniforme - soit un ratio de 12%. De plus, la Wehrmacht acquitta un tribut infiniment plus lourd (5 300 000 morts) que les armées américaine (407 316) ou britannique (295 315). De la même façon, l'hémorragie des civils allemands, sous les bombardements notamment (de 410 000 à 490 000 morts), ne se compare en rien au tribut acquitté par les civils américains (10 000 décès), voire britanniques (63 635). Bref, la société allemande fut à la fois plus militarisée et plus soumise à la violence de guerre que les sociétés anglo-américaines. Tous les jours, deux mille hommes tombaient sur le front de l'Est ; des milliers de familles, elles-mêmes soumises au feu des bombardiers alliés avant d'être exposées aux crimes de l'Armée rouge, pleuraient donc un compagnon, un père ou un enfant. Omniprésente, la mort se lisait dans les avis de décès, les services funèbres, la rotation des trains acheminant cercueils et blessés...sur une échelle inconnue à l'ouest.
Ces deuils étaient d'autant plus lourds à porter que les individus ne pouvaient guère compter sur la protection de leurs proches. La mobilisation des hommes, l'envoi des enfants à la campagne, la participation des femmes et des adolescents à la défense de la patrie disloquèrent les cellules familiales. "La société allemande devenait fourmilière." Le régime compensa cette fragmentation en nourrissant décemment les civils, en assistant les sinistrés, en débarrassant les villes des gravats semés par les bombes alliées. Jusqu'à la débâcle finale, l'Etat allemand assuma, fût-ce a minima, ses fonctions. Ce faisant, il étendait son emprise sur les individus, une emprise qui se radicalisa au fil du temps.
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Barbarossa fut d'emblée conçue comme une guerre d'annihilation qui visait à détruire ou à asservir les races jugées inférieures. Dès juin 1941, les massacres visant les juifs se multiplièrent - nous y reviendrons. Les sous-hommes slaves, sans être nécessairement promis à la mort, étaient voués à un sort funeste. Dans son ordre de marche du 2 mai 1941, le général Hoepner résumait la philosophie de la campagne : "La guerre contre la Russie est une étape fondamentale de la lutte du peuple allemand pour la survie. C'est la lutte ancestrale des Allemands contre les Slaves, la défense de la culture européenne contre le déluge moscovite et asiatique, la défense contre le bolchévisme juif. Cette lutte doit avoir pour objectif de réduire la Russie d'aujourd'hui en miettes, et doit par conséquent être menée avec une dureté sans précédent. " Le 13 mai, le maréchal Keitel suspendit le droit des tribunaux militaires à protéger les civils. "Si l'on a à juger de tels faits, la procédure devra tenir compte du fait de l'effondrement de 1918, les souffrances du peuple allemand et les innombrables victimes tombées durant le combat du mouvement national-socialiste sont à mettre au compte de l'influence bolchévique ce qu'aucun Allemand ne l'a oublié", expliqua-t-il. Cette consigne assurait aux occupants une totale impunité et livrait la population conquise à leur arbitraire. Le 6 juin 1941, l'ordre des commissaires obligea à abattre les commissaires politiques, ce qui violait expressément les conventions de Genève. Le 2 juillet, enfin, le groupe d'intervention et les bataillons de police reçurent l'ordre d'exécuter tous les fonctionnaires communistes, tous les commissaires politiques et tous les juifs... occupant des fonctions au parti ou dans l'Etat ainsi que les éléments radicaux - saboteurs et francs-tireurs. Petits ou grands, les chefs de la Wehrmacht ne cillèrent pas ; c'était le signe qu'ils acceptaient, à de rares exceptions près, ce qui se présenta comme une guerre d'extermination.
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La résistance, en son aurore, ne jaillit donc pas du monde politique, mais émergea des profondeurs de la société civile. Elle se bâtit sans lui - si ce n'est contre lui.
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Pendant la Seconde Guerre mondiale, la résistance ne fut guère hantée par le sauvetage des juifs - indifférence qui a nourri, hier comme aujourd'hui, le soupçon. Faut-il considérer ce silence comme la rançon accordée au primat de la lutte, politique ou armée, menée contre l'occupant? Ou y lire le signe de la proximité idéologique qu'une part des forces clandestines entretenait avec le régime vichyste? Quoi qu'il en soit, les juifs de France ne purent que rarement compter sur l'armée des ombres pour échapper à la mort, alors même que les Allemands et l'Etat français avaient déclenché dès 1940 une persécution raciale qui visait une com munauté estimée, en 1939, à 330 000 personnes. [...]La résistance organisée ne s'engagea donc pas, à de très rares exceptions près, dans la bataille contre l'antisémitisme. Outre que certains de ses hommes, on l'a dit, n'échappaient pas aux préjugé racistes, elle se montrait prudente pour des raisons stratégiques. Parce qu'elle soupçonnait, non sans raison, l'opinion de sacrifier pour partie aux démons antisémites, elle évita de prendre les Français à rebrousse-poil pour ne pas, pensait-elle, se les aliéner. [...] Dès lors, force est de constater que la résistance se tut alors même que se perpétrait un génocide d'une ampleur inédite dont les signes, pourtant, se multipliaient, réduisant d'autant le champ de l'ignorance. Ce silence, conclut Renée Poznanski, « a contribué à banaliser l'exclusion des juifs et, sans se risquer à subodorer l'effet sur l'opinion qu'aurait pu avoir un leadership décomplexé de la Résistance se prononçant d'emblée contre toute mesure de persécuution des juifs, on peut, a contrario, constater l'impact extraordinaire qu'a eu la poignée de lettres pastorales lues en chaire à l'été 1942 sur les juifs qu'elle a réconfortés, sur l'opinion publique dont elle a légitimé donc consolidé l'indignation, pavant ainsi la voie aux entreprises de sauvetage ». La voix de ces prélats avait porté fort; mais elle resta bien isolée. Les gloires montantes ou consacrées de l'intelligentsia optèrent pour le mutisme, d'André Gide à Paul Claudel en passant par Jean-Paul Sartre. Et les caciques de la République ne brillèrent en la matière ni par leur courage ni par leur lucidité. Ce fut donc d'une Eglise, pourtant discréditée par son compagnonnage vichyste, que provinrent les seuls cris audibles appelant à lutter contre la persécution.
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Plus que jamais les mouvements souhaitaient aussi agir sur le plan militaire.
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Mais le journal, surtout, créait une dynamique. Il obligeait à prévoir une logistique pour le rédiger, l'imprimer puis le diffuser et ouvrait en conséquence l'éventail des possibles. En dotant ses militants de fausses identités, le mouvement pouvait songer, dans une seconde étape, à en offrir le bénéfice à d'autres catégories - juifs ou réfractaires du STO par exemple. De même, en créant des corps francs chargés de garder dépôts ou imprimeries, il pouvait leur assigner d'autres missions, comme le sabotage.
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