AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz (146)


L’année...

L’année était du temps des souvenirs,
Le mois était de la lune des roses,
Les coeurs étaient de ceux qu’un rien console.

Près de la mer, des chants doux à mourir,
Dans le crépuscule aux paupières closes;
Et puis, que sais-je? Tambourins, paroles.

Cris de danse qui ne devaient finir,
Touchant désir adolescent qui n’ose
Et meurt en finale de barcarolle.

-T’en souvient-il, souvient-il, Souvenir?
Au mois vague de la lune des roses.
Mais rien n’est resté de ce qui console.

Est-ce pour dormir, est-ce pour mourir
Que sur mes genoux ta tête repose
Avec la langueur de ses roses folles?

L’ombre descend, la lune va mûrir.
La vie est riche de si douces choses,
Pleurs pour les yeux, rosée pour les corolles.

Oui, vivre est presque aussi doux que dormir...
Poisons tièdes pris à petites doses
Et poèmes pleins de charmants symboles.

Ô passé! pourquoi fallut-il mourir?
Ô présent! pourquoi ces heures moroses,
Bouffon qui prends au sérieux ton rôle!

-L’année était du temps des souvenirs,
Le mois était de la lune des roses,
Les coeurs étaient de ceux qu’un rien console.

Mais tôt ou tard cela devait finir
De la très vieille fin de toutes choses
Et ce n’est ni triste, vraiment, ni drôle.

Des os vont jaunir d’abord, puis verdir
Dans le froid moisi des ténèbres closes,
-Fin des actes et fin des paraboles.

Et le reste ne vaut pas une obole.
Commenter  J’apprécie          10
Aux sons d’une musique...


Aux sons d’une musique endormie et molle
Comme le glouglou des marais de la lune,
Enfant au sang d’été, à la bouche de prune
Mûre;
Aux sons de miel de tes chevrotantes paroles
Ici, dans l’ombre humide et chaude du vieux mur
Que s’endorme la bête paresseuse Infortune.

Aux sons de ta chanson de harpe rouillée,
Tiède fille qui luis comme une pomme mouillée,
-(Ma tête est si lourde d’éternité vide,
Les mouches d’or font un bruit doux et stupide
Qui prennent tes grands yeux de vache pour des fenêtres),
Aux sons de ta dormante et rousse voix d’été
Fais que je rêve à ce qui aurait pu être
Et n’a pas été...

Quels beaux yeux de n’importe quel animal tu as,
Blanche fille de juin, grande dormeuse!
Mon âme, mon âme est pluvieuse,
D’être et de n’être pas je suis tout las.

Tandis que ta voix d’eau coule comme du sable
Que je m’endorme loin de tout et loin de moi
Entre les trois bouteilles vides sous la table.

-Noyé voluptueux du fleuve de ta voix...
Commenter  J’apprécie          10
Prête à rompre. Qu'est-ce donc qui vibre ainsi en moi,
Mais qu'est-ce donc qui vibre ainsi et geint je ne sais où
En moi, comme la corde autour du cabestan
Des voiliers en partance ?
Commenter  J’apprécie          10
Solitude, ma mère, redites-moi ma vie ! voici
Le mur sans crucifix et la table et le livre
Fermé ! si l'impossible attendu si longtemps
Frappait à la fenêtre, comme le rouge-gorge au cœur gelé,
Qui donc se lèverait ici pour lui ouvrir ? Appel
Du chasseur attardé dans les marais livides,
Le dernier cri de la jeunesse faiblit et meurt : la chute d'une
seule feuille
Remplit d'effroi le cœur muet de la forêt.
Commenter  J’apprécie          10
Pauvres, pauvres choses de jadis ! Avec quel morose délice je reniflais leurs odeurs mélangées de fruit et de tombeau, de pluie d’avril et de souris, de rêve et de réalité ! Comme elles m’avaient bien su dépeindre, dans le temps évanoui, ce grand amour d’enfant qui se nourrissait maintenant de mon cœur de vieil homme, cette fabuleuse fleur éclose au jardin d’innocence !
Commenter  J’apprécie          10
(Silence)
En moi, l’obéissance envers moi-même
Etait plus forte que tout.
(Silence)
Commenter  J’apprécie          10
O Unique ! ne m’ôte pas le souvenir de ces souffrances, le jour où tu me laveras de mon mal et aussi de mon bien et me feras habiller de soleil par les tiens, par les souriants. Amen.
Commenter  J’apprécie          10
« Quelles qu’en soient l’excellence et la beauté, aucun avenir n’égalera jamais en perfection le non-être. » Telle était ma certitude unique, telle était ma pensée secrète : une pauvre, pauvre pensée de femme stérile.
Commenter  J’apprécie          10
Quarante ans.
Je connais peu ma vie. Je ne l’ai jamais vue
S’éclairer dans les yeux d’un enfant né de moi.
Pourtant j’ai pénétré le secret de mon corps. Ô mon corps !
Toute la joie, toute l’angoisse des bêtes de la solitude
Est en toi, esprit de la terre, ô frère du rocher et de l’ortie.
Comme les blés et les nuages dans le vent,
Comme la pluie et les abeilles dans la lumière,
Quarante ans, quarante ans, mon corps, tu as nourri
De ton être secret le feu divin du Mouvement :
Tu ne passeras pas avant le mouvement de l’univers.
Que le son de ton nom inutile et obscur
Se perde avec le cri du dormeur dans la nuit ;
Rien ne saurait te séparer de ta mère la terre,
De ton ami le vent, de ton épouse la lumière.
Mon corps ! tant que deux cœurs séparés, égarés,
Se chercheront dans les vapeurs des cascades du matin,
Tant qu’un douzième appel de midi vibrera pour réjouir
La bête qui a soif et l’homme qui a faim ; tant que le loriot,
L’hôte des sources cachées, renversera sa pauvre tête
Pour chanter les louanges du Père des forêts ; tant qu’une touffe
De myrtil noir élèvera ses baies pour leur faire respirer
L’air de ce monde, quand l’eau de soleil est tombée,
Ô errante poussière ! ô mon corps ! tu vivras pour aimer et souffrir.
Quarante ans.
Pour apprendre à aimer la noblesse de l'Action. Ô action !
Quarante ans, quarante ans la vanité des solitaires
M’a tourmenté. Je demandais sa mort dans mes prières.
Elle a quitté mon cœur. Ô triomphe ! — ô tristesse...
Commenter  J’apprécie          10
Cantique de Printemps



Le printemps est revenu de ses lointains voyages,

Il nous apporte la paix du coeur.

Lève-toi, chère tête ! Regarde, beau visage !

La montagne est une île au milieu des vapeurs : elle a repris sari ante couleur.

Le printemps est revenu de ses lointains voyages,
Il nous apporte la paix du coeur.

Lève-toi, chère tête ! Regarde, beau visage !

La montagne est une île au milieu des vapeurs: elle a repris sa riante couleur.

O jeunesse ! ô viorne de la maison penchée !

O saison de la guêpe prodigue !

La vierge folle de l’été

Chante dans la chaleur.

Tout est confiance, charme, repos.

Que le monde est beau, bien-aimée, que le monde est beau !

Un grave et pur nuage est venu d’un royaume obscur.

Un silence d’amour est tombé sur l’or de midi.

L’ortie ensommeillée courbe sa tête mûre

Sous sa belle couronne de reine de Judée.

Entends-tu ? Voici l’ondée.

Elle vient.., elle est tombée.

Tout le royaume de l’amour sent la fleur d’eau.

La jeune abeille,

Fille du soleil,

Vole à la découverte dans le mystère du verger ;

J’entends bêler les troupeaux ;

L’écho répond au berger.

Que le monde est beau, bien-aimée, que le monde est beau !

Nous suivrons la musette aux lieux abandonnés.

Là-bas, dans l’ombre du nuage, au pied de la tour,

Le romarin conseille de dormir ; et rien n’est beau

Comme l’enfant de la brebis couleur de jour.

Le tendre instant nous fait signe de la colline voilée.

Levez-vous, amour fier, appuyez-vous sur mon épaule ;

J’écarterai la chevelure du saule,

Nous regarderons dans la vallée.

La fleur se penche, l’arbre frissonne : ils sont ivres d’odeur.

Déjà, déjà le blé

Lève en silence, comme dans les songes des dormeurs.

Amour puissant, ma grande soeur,

Courons où nous appelle l’oiseau caché des jardins.

Viens, cruel coeur,

Viens, doux visage ;

La brise aux joues d’enfant souffle sur le nuage

De jasmin.

La colombe aux beaux pieds vient boire à la fontaine ;

Qu’elle s’apparaît blanche dans l’eau nouvelle !

Que dit-elle ? où est-elle ?

On dirait qu’elle chante dans mon coeur nouveau.

La voici lointaine...

Que le monde est beau, bien-aimée, que le monde est beau !

La femme des ruines m’appelle de la fenêtre haute :

Vois comme sa chevelure de fleurs folles et de vent

S’est répandue sur le chéneau croulant

Et j’entends le bourdon strié,

Vieux sonneur des jours innocents.

Le temps est venu pour nous, folle tête,

De nous parer des baies qui respirent dans l’ombre.

Le loriot chante dans l’allée la plus secrète.

O soeur de ma pensée ! quel est donc ce mystère ?

Éclaire-moi, réveille-moi, car ce sont choses vues en songe.

Oh ! très certainement je dors.

Comme la vie est belle ! plus de mensonge, plus de remords

Et des fleurs se lèvent de terre

Qui sont comme le pardon des morts.

O mois d’amour, ô voyageur, ô jour de joie !

Sois notre hôte ; arrête-toi ;

Tu te reposeras sous notre toit.

Tes graves projets s’assoupiront au murmure ailé de l’allée.

Nous te nourrirons de pain, de miel et de lait.

Ne fuis pas.

Qu’as-tu à faire là-bas ?

N’es-tu pas bien ici ?

Nous te cacherons aux soucis.

Il y a une belle chambre secrète

Dans notre maison de repos ;

Là, les ombres vertes entrent par la fenêtre ouverte

Sur un jardin de charme, de solitude et d’eau.

Il écoute... il s’arrête...

Que le monde est beau, bien-aimée, que le monde est beau
Commenter  J’apprécie          10
un silence d’amour est tombé sur l’or de midi
L’ortie ensommeillée courbe sa tête mûre...
...Déjà, déjà le blé
Lève en silence, comme dans les songes des dormeurs....
...Nous te cacherons aux soucis
Il y a une belle chambre secrète
Dans notre maison de repos :
Là, les ombres vertes entrent par la fenêtre ouverte
sur un jardin de charme, de solitude et d ’eau.
Il écoute, il s’arrête...
Que le monde est beau, bien-aimée, que le monde est beau !
Le Cantique du printemps
Commenter  J’apprécie          10
Et nous voici devant la mer, devant la mer qui ne peut pas
Mourir. Votre amour est une ombre sur un chemin de hasard,
Dans le paysage décoloré du souvenir
Quelqu'un s'arrête et dit : c'était il y a trente ans..
Commenter  J’apprécie          10
Soyez la bienvenue, vous qui venez à ma rencontre
Dans l'écho de mes propres pas, du fond du corridor obscur et froid du temps.
Soyez la bienvenue, solitude, ma mère.
Quand la joie marchait dans mon ombre, quand les oiseaux

Du rire se heurtaient aux miroirs de la nuit, quand les fleurs, Quand les terribles fleurs de la jeune pitié étouffaient mon amour
Et quand la jalousie baissait la tête et se regardait dans le vin,
Je pensais à vous, solitude, je pensais à vous, délaissée.
Commenter  J’apprécie          10
Pour qui veut goûter à fond cette poésie, trois sentiments sont encore nécessaires, que l’on peut tenir pour les composants d’une attitude, d’une certitude unique : le culte de l’enfant. Entendons bien par là le goût et la quête des origines. […]
Le premier qui nous vient à l’esprit, le premier qui nous monte à l’âme, est sans conteste la nostalgie […]. Le second serait la tendresse : un bruissement de cœur dont on sent bien que c’est le point où il est le plus fort, où il s’épanouit et nous touche le plus en profondeur. Le troisième, qui marque la limite extrême de son originalité, […] nommons-le le sens du mystère.

[Préface de Jean Bellemin-Noël]
Commenter  J’apprécie          10
LES TERRAINS VAGUES


Comment m’es-tu venu, ô toi si humble, si chagrin ? Je ne sais plus.
Sans doute comme la pensée de la mort, avec la vie même.
Mais de ma Lithuanie cendreuse aux gorges d’enfer du Rummel,
De Bow-Street au Marais et de l’enfance à la vieillesse

J’aime (comme j’aime les hommes, d’un vieil amour
Usé par la pitié, la colère et la solitude) ces terrains oubliés
Où pousse, ici trop lentement et là trop vite,
Comme les enfants blancs dans les rues sans soleil, une herbe

De ville, froide et sale, sans sommeil, comme l’idée fixe,
Venue avec le vent du cimetière, peut-être
Dans un de ces ballots d’étoffe noire, lisse et lustrée, oreillers
Des vieilles dormeuses des berges, dans les terribles crépuscules.

De toute ma jeunesse consumée dans le sud
Et dans le nord, j’ai surtout retenu ceci : mon âme
Est malade, passante, comme l’herbe altérée des murs,
Et on l’a oubliée, et on la laisse ici.

J’en sais un qu’obscurcit un cèdre du Liban ! Vestige
De quelque beau jardin de l’amour virginal. Et je sais, moi, que le saint arbre
Fut planté là, jadis, en son doux temps, afin
De porter témoignage ; et le serment tomba dans la muette éternité.

Et l’homme et la femme sans nom sont morts, et leur amour
Est mort, et qui donc se souvient ? Qui ? Toi peut-être,
Toi, triste, triste bruit de la pluie sur la pluie,
Ou vous, mon âme. Mais bientôt vous oublierez cela et le reste.

Et l’autre, où le grand vent, la pluie et le brouillard ont leur église.
Quand venait l’hiver des faubourgs ; quand le chaland
Voyageait dans la brume de France, qu’il m’était doux,
Saint-Julien-le-Pauvre, de faire le tour

De ton jardin ! Je vivais dans la dissipation
La plus amère ; mais le cœur de la terre m’attirait
Déjà ; et je savais qu’il bat non sous la roseraie
Choyée, mais là où croît ma sœur ortie, obscure, délaissée.

Ainsi donc, si tu veux me plaire — après ! loin d’ici ! toi
Murmurant, ruisselant de fleurs ressuscitées, toi jardin
Où toute solitude aura un visage et un nom
Et sera une épouse,

Réserve au pied du mur moussu dont les lézardes
Montrent la ville Ariel dans les chastes vapeurs,
Pour mon amour amer un coin ami du froid et de la moisissure
Et du silence ; et quand la vierge au sein de Thummîm et d’Urîm

Me prendra par la main et me conduira là, que les tristes terrestres
Se ressouviennent, me reconnaissent, me saluent : le chardon et la haute
Ortie et l’ennemie d’enfance belladone.
Eux. ils savent, ils savent.
Commenter  J’apprécie          10
SYMPHONIE INACHEVÉE


I
Tu m’as très peu connu là-bas, sous le soleil du châtiment
Qui marie les ombres des hommes, jamais leurs âmes,
Sur la terre où le cœur des hommes endormis
Voyage seul dans les ténèbres et les terreurs, et ne sait pas vers quel pays.

C’était il y a très longtemps — écoute, amer amour de l’autre monde —
C’était très loin, très loin — écoute bien, ma sœur d’ici —
Dans le Septentrion natal où des grands nymphéas des lacs
Monte une odeur des premiers temps, une vapeur de pommeraies de légende englouties.

Loin de nos archipels de mines, de lianes, de harpes,
Loin de nos montagnes heureuses.
— Il y avait la lampe et un bruit de haches dans la brume.
Je me souviens,

Et j’étais seul dans la maison que tu n’as pas connue,
La maison de l’enfance, la muette, la sombre.
Au fond des parcs touffus où l’oiseau transi du matin
Chantait bas pour l’amour des morts très anciens, dans l’obscure rosée.

C’est là, dans ces chambres profondes aux fenêtres ensommeillées
Que l’ancêtre de notre race avait vécu
Et c’est là que mon père après ses longs voyages
Était venu mourir.

J’étais seul et, je me souviens,
C’était la saison où le vent de nos pays
Souffle une odeur de loup, d’herbe de marécage et de lin pourrissant
Et chante de vieux airs de voleuse d’enfants dans les ruines de la nuit....
Commenter  J’apprécie          10
SYMPHONIE DE NOVEMBRE


Ce sera tout à fait comme dans cette vie. La même chambre.
— Oui, mon enfant, la même. Au petit jour, l’oiseau des temps dans la feuillée
Pâle comme une morte : alors les servantes se lèvent
Et l’on entend le bruit glacé et creux des seaux

À la fontaine. Ô terrible, terrible jeunesse ! Cœur vide !
Ce sera tout à fait comme dans cette vie. Il y aura
Les voix pauvres, les voix d’hiver des vieux faubourgs,
Le vitrier avec sa chanson alternée,

La grand-mère cassée qui sous le bonnet sale
Crie des noms de poissons, l’homme au tablier bleu
Qui crache dans sa main usée par le brancard
Et hurle on ne sait quoi, comme l’Ange du jugement.

Ce sera tout à fait comme dans cette vie. La même table,
La Bible, Goethe, l’encre et son odeur de temps,
Le papier, femme blanche qui lit dans la pensée,
La plume, le portrait. Mon enfant, mon enfant !

Ce sera tout à fait comme dans cette vie ! — Le même jardin,
Profond, profond, touffu, obscur. Et vers midi
Des gens se réjouiront d’être réunis là
Qui ne se sont jamais connus et qui ne savent

Les uns des autres que ceci : qu’il faudra s’habiller
Comme pour une fête et aller dans la nuit
Des disparus, tout seul, sans amour et sans lampe.
Ce sera tout à fait comme dans cette vie. La même allée :

Et (dans l’après-midi d’automne) au détour de l’allée,
Là où le beau chemin descend peureusement, comme la femme
Qui va cueillir les fleurs de la convalescence — écoute, mon enfant, —
Nous nous rencontrerons, comme jadis ici ;

Et tu as oublié, toi, la couleur d’alors de ta robe ;
Mais moi, je n’ai connu que peu d’instants heureux.
Tu seras vêtu de violet pâle, beau chagrin !
Et les fleurs de ton chapeau seront tristes et petites

Et je ne saurai pas leur nom : car je n’ai connu dans la vie
Que le nom d’une seule fleur petite et triste, le myosotis,
Vieux dormeur des ravins au pays Cache-cache, fleur
Orpheline. Oui, oui, cœur profond ! comme dans cette vie.

Et le sentier obscur sera là, tout humide
D’un écho de cascades. Et je te parlerai
De la cité sur l’eau et du Rabbi de Baccharach
Et des Nuits de Florence. Il y aura aussi

Le mur croulant et bas où somnolait l’odeur
Des vieilles, vieilles pluies, et une herbe lépreuse
Froide et grasse secouera là ses fleurs creuses
Dans le ruisseau muet.

p.59-60
Commenter  J’apprécie          10
toute notre progéniture spirituelle nous réclame son héritage de terres merveilleuses, et l’obtient.
Commenter  J’apprécie          12
Et votre pudeur grande, et votre sainteté, me les confiez-vous pour le Temps, pour la Vie ?
Commenter  J’apprécie          10
KAROMAMA ***
Mes pensées sont à toi, reine Karomama du très vieux temps,
Enfant dolente aux jambes trop longues, aux mains si faibles
Karomama, fille de Thèbes,
Qui buvais du blé rouge et mangeais du blé blanc
Comme les justes, dans le soir des tamaris.
Petite reine Karomama du temps jadis.

Mes pensées sont à toi, reine Karomama
Dont le nom oublié chante comme un chœur de plaintes
Dans le demi-rire et le demi-sanglot de ma voix ;
Car il est ridicule et triste d’aimer la reine Karomama
Qui vécut environnée d’étranges figures peintes
Dans un palais ouvert, tellement autrefois,
Petite reine Karomama.

Que faisais-tu de tes matins perdus, Dame Karomama ?
Vers la raideur de quelque dieu chétif à tête d’animal
Tu allongeais gravement tes bras maigres et maladroits
Tandis que des feux doux couraient sur le fleuve matinal.
Ô Karomama aux yeux las, aux longs pieds alignés,
Aux cheveux torturés, morte du berceau des années...
Ma pauvre, pauvre reine Karomama.

Et de tes journées, qu’en faisais-tu, prêtresse savante ?
Tu taquinais sans doute tes petites servantes
Dociles comme les couleuvres, mais comme elles indolentes ;
Tu comptais les bijoux, tu rêvais de fils de rois
Sinistres et parfumés, arrivant de très loin,
De par delà les mers couleur de toujours et de loin
Pour dire : « Salut à la glorieuse Karomama. »

Et les soirs d’éternel été tu chantais sous les sycomores
Sacrés, Karomama, fleur bleue des lunes consumées ;
Tu chantais la vieille histoire des pauvres morts
Qui se nourrissaient en cachette de choses prohibées
Et tu sentais monter dans les grands soupirs tes seins bas
D’enfant noire et ton âme chancelait d’effroi.
Les soirs d’éternel été, n’est-ce pas, Karomama ?

— Un jour (a-t-elle vraiment existé, Karomama ?),
On entoura ton corps de jaunes bandelettes,
On l’enferma dans un cercueil grotesque et doux en bois de cèdre.
La saison du silence effeuilla la fleur de ta voix.
Les scribes confièrent ton nom aux papyrus
Et c’est si triste et c’est si vieux et c’est si perdu...
C’est comme l’infini des eaux dans la nuit et dans le froid.

Tu sais sans doute, ô légendaire Karomama !
Que mon âme est vieille comme le chant de la mer
Et solitaire comme un sphinx dans le désert,
Mon âme malade de jamais et d’autrefois.
Et tu sais mieux encor, princesse initiée,
Que la destinée a gravé un signe étrange dans mon cœur,
Symbole de joie idéale et de réel malheur.

Oui, tu sais tout cela, lointaine Karomama,
Malgré tes airs d’enfant que sut éterniser
L’auteur de ta statue polie par les baisers
Des siècles étrangers qui languirent loin de toi.
Je te sens près de moi, j’entends ton long sourire
Chuchoter dans la nuit : « Frère, il ne faut pas rire. »
— Mes pensées sont à toi, reine Karomama.
Commenter  J’apprécie          10



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Oscar Vladislas de Lubicz-Milosz (87)Voir plus


{* *}