Payot - Marque Page - Pascal Mercier - Léa
Car chacun n'a qu'une vie, une seule, et la tienne est déjà achevée sans que tu aies eu le respect de toi-même, mais tu as fait comme si tu plaçais dans les âmes des autres ton bonheur...Mais quand on n'est pas attentif aux émotions de sa propre âme, on est nécessairement malheureux.
Citation de Marc AURELE Pensées
L’intimité nous lie l’un à l’autre et ce lien invisible est libérateur. Il est impérieux : il exige l’exclusivité. Partager, c’est trahir. Pourtant nous n’aimons pas d’affection ou d’amour ni ne touchons qu’un seul être humain. Que faire ? Mettre en scène les différentes intimités ? Tenir une comptabilité minutieuse des thèmes, paroles et gestes ? Des savoirs et mystères communs ? Ce serait un poison s’infiltrant sans bruit goutte à goutte.
Qui voudrait sérieusement être immortel ? Qui voudrait vivre de toute éternité ? Comme cela doit être ennuyeux et insipide de savoir : ce qui se passe aujourd'hui, ce mois-ci, cette année, ne joue aucun rôle. Vont venir encore un nombre infini de jours, de mois, d'années. Un nombre infini littéralement. S'il en était ainsi, quelque chose importerait-il encore ? Nous n'aurions plus besoin de compter avec le temps, nous ne pourrions rien laisser échapper, nous ne devrions plus nous presser. Il serait indifférent que nous fassions quelque chose aujourd'hui ou demain, complètement indifférent. [...]
Nous ne pourrions même pas vivre au jour le jour, car ce bonheur se nourrit de la conscience du temps qui passe, le flâneur est un aventurier en face de la mort, un croisé contre le diktat de la hâte. Quand il y a toujours et partout du temps pour tout : où y aurait-il encore de la place pour la joie de gaspiller le temps ?
Un moment ils rirent à l’unisson, ils s’entraînaient l’un l’autre, ils continuaient à rire, depuis longtemps, le motif n’avait plus d’importance, mais seulement le rire, c’était comme lorsqu’on roule dans un train, quand on aimerait que la trépidation sur les rails, un bruit plein de protection et d’avenir, n’eût jamais de fin.
Celui qui voudrait vraiment savoir qui il est devrait être un infatigable et fanatique collectionneur de désillusions, et la recherche d’expériences décevantes devrait être pour lui une obsession, l’obsession déterminante de sa vie, car il verrait alors en pleine lumière qu’elle n’est pas un poison brûlant et destructeur, la désillusion, mais un baume frais, apaisant, qui nous ouvre les yeux sur les vrais contours de nous-mêmes.
L’art permet de se connaître soi-même, comme artiste, et de montrer aux autres qu’ils ont un espace de possibilités pour mener leur vie.
Nous projetons les ombres de nos sentiments
sur les autres et eux les leurs sur nous
parfois nous manquons d'en être étouffés
mais sans elles il n'y aurait pas de lumière
dans notre vie.
épitaphe en ancien arménien.
Sur mille expériences que nous faisons, nous en exprimons tout au plus une par le langage. Parmi toutes ces expériences muettes sont cachées celles qui donnent secrètement à notre vie sa forme, sa couleur et sa mélodie.
S'il est vrai que nous ne pouvons vivre qu'une seule partie de ce qui est en nous, qu'advient-il du reste ?
Que des mots puissent provoquer quelque chose, mettre quelqu'un en mouvement ou l'arrêter, le faire rire ou pleurer: enfant, déjà, il avait trouvé cela énigmatique et il n'avait jamais cessé d'en être impressionné. Comment les mots parvenaient-ils à ce résultat ? Etait-ce de la magie?