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Critiques de Paul Lynch (299)
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Au-delà de la mer

Partis en mer malgré un avis de gros temps, le pêcheur sud-américain Bolivar et son jeune compagnon Hector se retrouvent prisonniers de la tempête, puis d’un bateau avarié dérivant sur l’immensité de l’océan Pacifique. Unis dans un tête-tête forcé, les deux hommes organisent leur survie, autant physique que psychologique.





Après une première partie dominée par la tension de l’action, tandis que Hector et Bolivar, que jusqu’ici tout opposait, réunissent leurs forces contre les éléments déchaînés, puis pour assurer les bases de leur survie, le récit se resserre peu à peu sur la confrontation psychologique des deux hommes, et enfin de chacun avec soi-même. Alors que le temps s’allonge et se vide pour les deux Robinsons, désormais rodés quant à leur précaire organisation matérielle, c’est leur mental qui envahit la narration. Et dans la lutte sans merci entre leur volonté et leur désespoir, on assiste à leur mise à nu jusqu’au tréfonds de leur être, et à leur terriblement tardive prise de conscience de ce qui fait le véritable prix de la vie.





Bien plus qu’une histoire de survie, Paul Lynch nous propose, au travers de ce roman métaphorique, une réflexion d’envergure sur la condition humaine. Car l’errance de ces deux hommes perdus dans une immensité déserte, oscillant entre désespoir et foi en leur survie, torturés par la conscience de leurs fautes dans une expiation préalable à une possible rédemption, n’est autre que celle de toute l’espèce humaine. Ainsi l’aveuglement de notre orgueil et de nos égoïsmes s’assortit de nos doutes et de nos peurs face à notre destinée de mortels. Ainsi nous partageons-nous entre, d’un côté, la perception de notre insignifiance, à la fois écrasante et miraculeuse dans une nature immense et incontrôlable qui nous renvoie à notre solitude dans le vide de l’infini, et, de l’autre, notre espoir et notre foi en une possible issue à notre finitude. Enfin, ainsi cherchons-nous le chemin qui donnera un sens à notre existence, celui qui passe par des valeurs universelles transcendant nos individualités.





A la fois poétique et réaliste, aussi profondément juste dans l’exploration psychologique de ses personnages qu’impressionnant dans son évocation des variations infinies de la mer, et surtout doublé d’une portée philosophique et mystique magistralement suggérée, ce roman a tout pour devenir un monument de la littérature. Coup de coeur.


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La neige noire

En 1945, Barnabas Kane, sa femme, Eskra, et leur petit Billy, retrouvent les terres irlandaises après quelques années passées aux États-Unis. Dans le Donegal dont est originaire Barnabas, la famille trime chaque jour dans la ferme dont ils sont devenus propriétaires. Mais, voilà, un terrible incendie réduit en fumée tout ce travail, brûlant le bétail dans d'atroces conditions. Matthew Peoples, leur employé, bravant ces flammes en s'enfonçant dans cette chaleur étouffante, y paiera de sa vie. Barnabas, qui a tenté de le suivre, sera sauvé par les voisins venus en renfort pour éteindre l'incendie. Dès lors, celui que l'on traitera de faux-pays, tenu responsable de la mort de l'un des leurs, se heurtera à l'hostilité du voisinage, aussi bien celle de la veuve Peoples que les autres fermiers.



Paul Lynch nous offre un roman d'une grande force, habité par une nature et des âmes empreints d'une même rudesse inhospitalière. Originaire du Donegal, l'auteur a su décrire comme personne ses paysages sublimes, sa nature âpre, ses habitants rugueux et ses croyances. Malgré ses origines irlandaises, Barnabas sera confronté à la rancoeur de ses voisins. Avec Eskra, le duo qu'ils formaient s'effrite peu à peu, lui campé sur ses ambitions terriennes, elle plus objective. Même Bill, leur enfant, leur cache certaines choses. La tension est de plus en plus palpable entre eux et avec les gens du village. L'auteur a su créer une ambiance à la fois oppressante et étouffante, désespérée. Un roman dense, intense et profond servi par une écriture d'une précision et d'une richesse incroyable.
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Au-delà de la mer

Pêcheur expérimenté mais un brin râleur, Bolivar cherche, en vain, son coéquipier. Personne ne semble l'avoir vu et malgré l'appel de son patron, Arturo, il n'est pas chez lui non plus. Qu'importe. Puisque Bolivar veut sortir pêcher à tout prix, et ce, malgré la tempête qui arrive par le nord-est, il lui demande de lui trouver un nouvel équipier. Lorsqu'il voit arriver son patron avec un gamin, l'allure accablée et une certaine frayeur dans le regard, il refuse d'embarquer avec lui, certain qu'il n'y connaît rien. Arturo finit par le convaincre. C'est ainsi qu'embarquent, sur le panga, Hector et Bolivar, certains que la tempête retombera bien vite...



Pour ce roman, Paul Lynch s'est inspiré de l'histoire du pêcheur Jose Alvarenga. Parti en mer avec un jeune homme de 24 ans, pêcher le requin au large du Mexique, il dérivera et survivra, la plupart du temps seul, ce dernier étant décédé au bout de 2 mois, pendant 438 jours sur l'océan Pacifique, avant de mettre un pied à terre à plus de 12500 kms de son point de départ. De ce fait divers, l'auteur met en scène deux personnages : Bolivar, un pêcheur expérimenté qui aura fait fi de la tempête à venir, et Hector, un jeune homme de 17 ans recruté un peu contre son gré. Celui-ci décédé, Bolivar se retrouve dorénavant seul au milieu de l'immensité bleue. Paul Lynch nous décrit alors sa survie (comment attraper les poissons, comment se servir de tous les déchets en mer, comment récupérer l'eau de pluie...) mais aussi son espoir jamais ébranlé de survivre, même s'il se rend compte que son existence même ne signifie plus rien face aux éléments naturels et à l'immensité. Face à cette insignifiance, les deux personnages auront des comportements totalement différents, Hector sera très vite résigné et abattu tandis que Bolivar garde sans cesse espoir. L'homme, face à lui-même, n'a d'autre chose à faire que de penser, réfléchir à ses actes, voire ses péchés. Brillamment introspectif, ce roman, d'une grande justesse, donne à réfléchir sur le sens de la vie, de la mort et de nos actes.
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Au-delà de la mer

C’est l’un des livres dont on parlera très certainement beaucoup lors de cette rentrée littéraire 2021. Attendue par de nombreux lecteurs déjà conquis par la plume contemporaine de l’auteur irlandais Paul Lynch, c’est une fantastique odyssée intérieure poétique qu’il nous offre par la parution de son quatrième roman.



Alors que la rentrée littéraire ne commence « officiellement » que le 18 août pour les Editions Albin Michel, j’avais pu déjà lire par-ci par-là, des lecteurs qui attendaient impatiemment la parution de ce livre, du fait qu’ils avaient beaucoup aimé un des précédents bouquins de cet écrivain. Je ne vais pas vous mentir : pour ma part, même si je connaissais de nom l’auteur, Paul Lynch, je n’avais lu aucun de ses autres livres. Ce fût donc une découverte, mais quelle découverte!!!



Ses trois premiers livres trouvaient leurs décors en Irlande. Pour la première fois, l’écrivain a décidé de planter son récit ailleurs : au début dans un petit village côtier sud-américain mais surtout au milieu de l’Océan Pacifique. Afin d’y parvenir, il s’est inspiré d’un fait divers réel survenu en 2013 : après qu’un ouragan ait emporté deux pêcheurs très loin des côtes dans leur petite embarcation, l’un d’eux échoua près d’un an plus tard sur une des îles Marshall. De cette image, l’auteur a souhaité en tirer « un laboratoire expérimental idéal où il pourrait créer pour eux un vide existentiel ».



Bolivar est pêcheur et un jour, par besoin d’argent, malgré qu’une tempête se prépare à l’horizon, il se décide quand même de prendre la mer en compagnie du jeune Hector. Alors qu’ils se trouvent au milieu de l’Océan Pacifique, ils vont devoir faire face aux éléments naturels et à l’impossibilité de rentrer au port. C’est alors tout un voyage que nous fait vivre ces deux pauvres êtres, tant sur la mer qu’au plus profond d’eux-mêmes.



C’est une totale immersion dans cette terrible épreuve que vont subir ces infortunés pêcheurs. On tremble avec Bolivar et Hector sur ce bateau de fortune lors du mauvais temps, lors des jours qui suivent au moment où ils se rendent compte petit à petit que les secours n’arrivent pas et que leurs vivres se réduisent à peau de chagrin.



Cette façon dont l’auteur a de décrire cette immensité de l’océan Pacifique est tout à fait exceptionnelle. On ressent les courants marins, on perçoit le clapotis des vagues sur l’embarcation, on hume les embruns marins,… mais aussi on frémit lorsque les requins s’approchent du bateau, lorsque la tempête manque de le faire chavirer, lorsque le soleil brûle les peaux qui se décharnent au fil des jours.



Sans identifier vraiment le pays ou la ville de Bolivar, c’est toute l’ambiance de l’Amérique latine qui y est façonnée savamment avec beaucoup de talents. Ceci nous conte cette histoire regorgeant de sujets tellement actuels, tels que la solitude ou les terribles changements climatiques que la Terre subit.



Je ne peux que vous conseiller vivement ce livre, empreint de philosophie et d’humanité. Je suis certaine qu’on en parlera beaucoup et c’est amplement mérité au vu de ses très nombreuses qualités.
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Grace







"Affleurant d'un lieu où les mots n'ont pas cours, lui vient la conscience d'un détraquement de l'ordre des choses."



***



Conteur prodigieux,  Paul Lynch rouvre un chapitre tragique de l'histoire de son pays en nous plongeant dans l'épisode particulièrement meurtrier de la Grande famine qui a ravagé l'Irlande - alors colonie britannique, au milieu du XIXème  Siècle. Pour cause - l'émergence du mildiou sur l'île, une maladie parasitaire responsable de l'anéantissement des cultures de pommes de terre servant de base à l'alimentation des paysans. 



Traversé par un souffle puissant, ce récit d'une beauté ténébreuse, met en scène un personnage principal féminin absolument inoubliable dont nous suivrons pas à pas l'effroyable odyssée - du Donegal natal de l'auteur à  Limerick, sur une terre exsangue abandonnée des hommes et des dieux.



*



Octobre, 1845



"La récolte est perdue, tu le sais aussi bien que moi. J'ai demandé partout, mais personne n'est prêt à faire l'aumône. Moi, je suis trop avancée dans ma grossesse, il faut que tu t'occupes de toi. Tu dois te chercher un emploi (...). Reviens-nous à la fin de la saison, quand tu te seras rempli les poches."



Au sortir d'une scène inaugurale empreinte de bestialité, Grace - l'aînée d'une fratrie de bientôt cinq enfants, se voit jeter sur les routes à l'approche de l'hiver par sa génitrice. Si en cette période de misère noire, c'est une bouche en moins à nourrir, sans doute pense-t-elle également la protéger des intentions concupiscentes de Boggs, le propriétaire de la masure où la famille réside. 



Sommée de gagner sa pitance à tout juste quatorze ans, l'adolescente - travestie en garçon, quitte désemparée son petit village de Blackmountain. Y reviendra-t-elle? Serait-ce la porte de l'enfance qui se referme brusquement et définitivement derrière elle? Ainsi livrée aux caprices du hasard, n'est-elle pas vouée à une fin certaine?



"Le chagrin s'abat sur elle. Le regret de ce qui n'est plus. La douleur de ce qui vient à la place."



Pareil à la nature agonisante, le lecteur se trouve lui aussi comme figé "dans la stupeur de l'attente". Enveloppé d'une atmosphère à la fois pesante et menaçante, il tourne les pages avec fébrilité, redoutant la réalisation des sombres présages qui tendent à se dessiner. Quelles perspectives d'avenir pour cette jeune fille qu'il tient déjà en affection?



*



Accompagnée de son frère, un soutien physique puis spectrale indéfectible, Grace cheminera du nord au sud du territoire - rejoignant alors les hordes faméliques de pauvres hères - vagabonds, mendiants ou brigands poussés au pire par la disette. Pluie diluvienne, froid dévorant, tortures de la faim, pénible labeur, danger omniprésent, morts et absences obsédantes,…mue par un instinct de survie incroyable, elle apprendra à composer quoiqu'il lui en coûte, avec une adversité au visage sans cesse renouvelé. Mais à quel prix?



"Elle cherche en rêve ce qu'elle a été autrefois. Je suis en train de basculer hors de ma vie pour tomber dans celle d'une autre."



Partageant intimement, ses émotions, ses souffrances, ses doutes, ses visions cauchemardesques voire hallucinatoires, ses tiraillements et questionnements existentiels, le lecteur abandonne son statut d'observateur pour faire corps avec elle. En dépit de quelques longueurs révélatrices de l'interminable périple qui s'impose à notre protagoniste, l'intérêt est continuellement tenu en éveil. 



Au gré des épreuves et rencontres jalonnant ses longues années d'errance aux allures d'épopée  initiatique, Grace connaîtra nombre de métamorphoses. Dans cet abîme de noirceur, la chrysalide deviendra papillon et s'envolera peut-être - souhaitons lui, vers une vie de lumière. Grace, toi qui a porté sur tes frêles épaules les tourments de tout un peuple soumis à une catastrophe innommable, sois-en sûre, j'emporte ton souvenir avec moi…



"Elle a beaucoup voyagé, découvert la terre avec ses mille voix (...), et au contact de cette multitude lui est venue la conviction que la terre n'était pas une,  mais qu'il en existait autant qu'il existe d'individus, et qu'une terre toujours nouvelle accueillait les mutations de nos vies. Nous vivons sous cent millions de soleils,  et chacun d'eux s'éteint sous un même soleil sans limite qui brûle dans son mystère éternel."



***



Porté par une prose lyrique et envoûtante, un roman magnifique nimbé de grâce que je vous invite à découvrir!

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La neige noire

Il l'a voulu son rêve américain, il l'a eu, il en est revenu.

Aujourd'hui de retour en Irlande, dans le Donegal plus précisément, Barnabas Kane, sa femme Eskra et leur petit Billy, ont investi une ferme qu'ils s'échinent journellement à rendre plus productive.

Quelques têtes de bétail, quatre murs et un toit, il n'en faut pas plus à cette famille pour subsister en escomptant des lendemains qui chantent.

D'âpre, leur quotidien va devenir invivable suite à l'incendie suspect de leur étable et la mort accidentelle d'un ouvrier pure souche.

Entre hostilité générale affichée et envie de tout plaquer, les Kane vont devoir affronter une populace un brin belliciste tout en combattant leurs propres démons.



Un pour tous, tous pour eux, tel pourrait être le slogan placardé sur les ruines encore fumantes de son étable.

Barnabas a quitté le pays. Eskra et Billy n'y sont même pas nés. Ils vont payer très cher cet état de fait.

Entre paranoïa et rancoeur galopante, Barnabas va désormais évoluer en plein cauchemar éveillé.

Les amitiés d'hier n'existent plus. Ne survivent que les jalousies et les ressentiments plus coriaces que jamais.



Entre rudesse du climat, infertilité de la terre et inhospitalité de ses habitants, Paul Lynch ne fait pas dans la carte postale cliché d'une île d'émeraude aussi verdoyante, avenante et rieuse que ses autochtones.

Non, y poser ses valises, c'est prendre le risque de se faire plaquer encore et encore par un XV du trèfle belliqueux qui n'aurait d'autre but dans la vie que de vous faire bouffer votre extrait de naissance histoire de vous faire passer un message du style american go home.

Frontal et brutal, ce bouquin l'est assurément.

Il évoque la longue mais inéluctable déliquescence d'une famille au bord de l'implosion.



Si le rythme est lent, l'impression de malaise qui s'en dégage n'en demeure pas moins particulièrement vivace.

Lynch pose les bases d'un drame en devenir et n'aura de cesse de lui faire prendre corps en usant d'une prose aussi fine qu'ensorcelante.

Alternant un jour sans fin, version descente aux enfers, avec un lourd secret filial, ce récit ne lasse pas de séduire en titillant votre esprit de déduction qui ne manquera pas de faillir et chanceler sitôt la dernière page tournée.



Merci à Babelio et Albin Michel pour cette balade irlandaise qui n'en porte que le nom.
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La neige noire

Barnabas Krane, sa femme Eskra et leur fils Billy ont quitté les Etats-unis pour venir se réinstaller en Irlande dans le comté de Donegal dont Barnabas est originaire.

Tout semblait aller bien jusqu’à ce qu’un incendie vienne détruire l’étable et leur troupeau de vaches. En voulant sauver les animaux, leur aide à la ferme et ami Mathews Peoples y laisse la vie alors que Barnabas qui l’avait suivi est, lui, sauvé.



A partir de là, la rancoeur de la veuve de Mathews, Baba, et des autres voisins va envahir leur quotidien s’ajoutant à la situation précaire dans laquelle les met le risque de perdre leur propriété et toute une série d’autres malheurs qui surviennent subitement…



Tout semble se liguer contre eux et surtout les autres qu’ils soupçonnent d’être à l’origine de tous leurs maux :

Eskra « il y a chez eux cette expression qui semblent incrustée sur les visages, les regards insistants de la suspicion, comme un jugement biblique qui vous déclare absolument étranger si vous n’êtes pas né sur ce sol » p 123

Barnabas se souvient d’avoir été traité de « faux pays » par un de ses voisins. Car il a beau être né dans le Donegal, il en est parti et il n’est désormais devenu, aux yeux de ceux qui l’épient, qu’un étranger irrespectueux de leur façon de vivre et de leur passé.

Et puis, « en 2 ans ils avaient acquis ce que les autres mettaient trois générations à accumuler. » p 126



Mais les forces obscures se rassemblent aussi en eux trois, Barnabas, Eskra et Billy .

« Il s’éveille une fois encore d’un rêve malsain, dont les miasmes se ramifient dans tout son être. En quel coin ténébreux de son esprit ils ont leur origine, Barnabas ne saurait le dire. L’état de veille les maintient cachés, mais leurs fruits empoisonnés s’épanouissent à la faveur de la nuit. » p119



La nature est omniprésente. Elle scande leur vie. Parfois la lumière l’emporte

« Un arc céleste de lumière vermeille s’étend vers l’ouest par-dessus les montagnes, et Barnabas a l’impression qu’elle met en déroute les forces obscures rassemblées en lui, que le titan de ténèbres se voile d’une blanche clarté. » p 146

A d’autres moments, elle leur semble participer à la dilution de leurs rêves de reconstruction partis en fumée dans l’incendie de la grange.

« Le ciel était devenu tout sombre, drapant la ville d’un gris sans nuances qui posait comme une souillure sur la clarté enfuie. » p 137



En fait ce que dit la beauté de la nature qui suit son cycle, avec parfois une force destructrice, c’est sa permanence, l’homme ne faisant que la traverser avant d’être vaincu et disparaître.



Le lyrisme de l’écriture est mis au service du délitement méthodique et lent de toute possible stabilité de vivre malgré les efforts pour s’en sortir. La méfiance grandit en eux et autour d’ eux, ils sont entrainés vers un gouffre.



Un roman tout en clair obscur, d’une grande beauté tragique, où l’ombre s’étend, semble parfois reculer pour mieux progresser ensuite et finir par tout envahir.

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Un ciel rouge, le matin

En 1832, Coll Coyle, jeune métayer, est chassé sans raison de la ferme qu’il habite avec sa famille. Après l’accident mortel de son riche propriétaire anglais, il doit fuir, se cacher, fourbu, affamé, sur le qui-vive, transpercé par le froid, taraudé par les souvenirs. Il sait que désormais, Faller, fidèle à son maitre est prêt à tout pour le trouver et le tuer. De son passé, il ne lui reste plus qu’un petit ruban de sa fille…

Un ciel rouge, le matin est un tableau clair-obscur qui s’anime sous la plume lyrique de Paul Lynch, un auteur aussi talentueux que prometteur… C’est un récit haletant qui débute au nord-ouest de l'Irlande pour nous entrainer jusqu’en Amérique, sur le chantier de construction du chemin de fer de Pennsylvanie.

Paul Lynch envoute le lecteur, il met à nu les aspects les plus sombres de l’âme humaine, et fait surgir la poésie au cours de cette traque digne d’un western de Clint Eastwood.

Un ciel rouge, le matin est un hymne à la vie et à l’Irlande, une course poursuite d’une grande force, un premier roman très réussi.

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Au-delà de la mer

« Qui sait si la vie n'est pas la mort,

et si mourir n'est pas vivre ? »

Euripide



Je referme ce roman, émue par cette histoire, à la fois tragique, sensible et cruelle.

Inspiré d'une histoire vraie, ce récit est en apparence simple, mais il est porté par une écriture belle, dramatique, poétique et par une tension qui s'impose progressivement.

Le lecteur a la sensation d'être précipité dans un tourbillon émotionnel.



*

Malgré l'annonce d'une très forte tempête, Bolivar, un petit pêcheur sud-américain, persuade Hector, un jeune adolescent inexpérimenté de prendre la mer avec lui.



« Un jour tu devrais m'épouser, Rosa. D'accord, je ne suis qu'un pêcheur, mais je finirai de rembourser le crédit pour ta télé. Et peut-être même que je t'achèterai une jeep. Je te paierai des meubles pour ranger tes affaires. Et tu auras tous les citrons verts que tu voudras. »



*

Tout d'abord, c'est le calme.

La pêche s'annonce excellente.

Et puis le vent se lève sans crier gare, violent, impétueux, qui déchire le silence. L'océan se transforme alors en un monstre géant, ouvrant sa gueule vorace pour engloutir la frêle embarcation.



« Et alors la mer devient ciel. Il plonge la tête entre ses jambes tandis que le bateau atteint le sommet de la vague et qu'un monstrueux tonnerre de glace leur tombe dessus. »



« Les sens à l'affût du moindre frémissement à bord. Il sait qu'une embarcation plus grande se serait déjà disloquée. le panga, en revanche, franchit tel un insecte la montagne de chaque vague. »



Ainsi, la tempête les surprend, les balaie, et les rejette loin de la côte.

Vivants après cette terrible épreuve, mais perdus dans l'immensité de l'océan Pacifique, ils ont peu d'espoir d'être secourus.



« le temps n'est plus le temps, il reste immobile au lieu de s'écouler. »



La vie prend ainsi un sens différent lorsque l'on est à la merci des forces de la nature. Au fil des jours, chacun doit se battre et repousser ses limites physiques et mentales pour rester en vie, ne pas renoncer. Les corps sont sollicités, soumis à la faim, à la soif, au manque de sommeil.



« Il pense aux diverses formes sous lesquelles pourra se présenter la mort. »



Mais comment survivre au manque de nourriture, à la réserve d'eau qui s'épuise ? Comment endurer la chaleur implacable, le froid mordant, les pluies torrentielles, la fureur de l'océan ? Comment surmonter l'épuisement, le découragement, la peur, l'attente interminable, la solitude ?



*

Le ton est juste, saisissant. L'écriture est belle, soignée.

Sans voyeurisme, ni pathos, Paul Lynch restitue avec beaucoup de justesse et de finesse, la psychologie de ses personnages. Son analyse est vraiment remarquable, l'auteur s'attachant à décrire au plus près, leurs sentiments et leurs émotions. Et c'est ce qui donne toute sa force à ce récit parfaitement maîtrisé.



La nature hostile est initiatique, elle confronte les deux pêcheurs à de terribles tempêtes intérieures et les dénudent peu à peu, sans faux-semblant, elle révèle leur vraie nature.



« Plonger au creux des vagues, plonger aux tréfonds de la peur insondable et aveugle qui repose dans le coeur de chaque homme. »



Par flashbacks, Paul Lynch remonte dans leurs souvenirs, leurs erreurs passées et l'on comprend mieux leurs remords et leur envie d'une seconde chance.



« Ce ne sont que des petites choses, dont je suis coupable, mais elles s'ajoutent les unes aux autres. Et moi je suis la somme de tout ça… Et ce sentiment est plus fort que toutes mes souffrances physiques… Et je passe mon temps à me souvenir de tout, je me reporte à chacun de mes actes. »



Se dessine aussi, doucement, leur caractère. L'auteur sait parfaitement suggérer leurs peurs, leur égoïsme, leur colère, leur solitude, le désespoir qui monte, la folie jamais très loin.



« Son esprit lui présente une image – le garçon se laissant glisser dans l'eau qui l'enveloppe comme une sépulture. »



*

L'océan n'est pas seulement une toile de fond, elle interfère dans leur vie et leur survie. L'auteur n'a pas son pareil pour décrire sa beauté, sa placidité, sa violence aussi. Ces passages sont magnifiques et montrent les différents visages de l'océan, du ciel, les jeux de lumière qui créent de multiples ambiances.



*

J'ai apprécié également le message écologique contenu en arrière-plan, l'océan « poubelle » charriant des tonnes de déchets plastiques dont les résidus se retrouvent dans les viscères des oiseaux.



« Démêlant sa provision de sacs en plastique, il entreprend de les trier. Il y a là des teintes et des inscriptions de toutes sortes. Il examine les logos délavés, les langues qui lui sont inconnues. Des mots brouillés, des idéogrammes. À observer ces sacs, il se fait brièvement l'impression d'un homme vivant la fin des temps humains, s'interrogeant sur les vestiges de civilisations étrangères et englouties, dont la mer a patiemment réduit à néant toutes les traces écrites. »



*

Pour conclure, Paul Lynch a écrit un magnifique roman d'atmosphère, à la fois effrayant, envoûtant et incroyablement émouvant. « Au-delà de la mer » entraîne le lecteur dans un huis-clos marin, tragique et captivant dans lequel l'homme est autant face à la mer qu'à lui-même.

Les questions de survie, de souffrance, de courage, de force, d'entraide, d'espoir, de renoncement sont abordées avec beaucoup de finesse et de sensibilité.



J'ai aimé plonger dans l'intimité de ces deux hommes, j'ai aimé ce récit à la beauté tragique et déroutante. Une très belle lecture.

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Grace

Poussée par sa mère enceinte d'un cinquième enfant, Grace part sur les routes pour trouver du travail et surtout pour échapper aux assiduités de l’homme qui leur loue une misérable masure.

La fillette de 14 ans déguisée en garçon affronte le froid, la faim, la peur, la solitude bien que l’ombre de son jeune frère ne la quitte pas.



Paul Lynch brosse un magnifique personnage féminin.

Grace est admirable de courage, elle avance pour ne pas mourir et deviendra adulte au fil des rencontres, pas toujours heureuses.



Le récit joue alterne entre noirceur et lumière, les peurs et la paix, la vie et la mort, le désespoir et le dégoût, et on se laisse porter par l'écriture magnifique de Paul Lynch, généreuse, juste et sincère, passant régulièrement la ligne du réel pour voguer sur l'imaginaire.



Je ne connaissais pas Paul Lynch, ce roman m’a permis de découvrir un immense écrivain.





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Un ciel rouge, le matin

Pluie, brouillard, tourbe, et lande pelée...c'est une chasse à l'homme irlandaise qui tourne au western...



Coyle est un paysan. Responsable du meurtre de son propriétaire qui l'expulsait, il est en cavale dans les terres de l'Ouest, pourchassé par trois hommes de main qui veulent lui faire la peau. Il laisse derrière lui une maison en cendres et une famille meurtrie car il n'a qu'une option: la fuite. Et le lot commun de tant d'irlandais, l'exil par des traversées océaniques difficiles vers un pays de promesses au chemin de fer naissant.

Mais la terre d'Irlande ne peut jamais être oubliée par ses enfants; elle est leur chair et leur âme.



Un monde muet d'hommes ombrageux et violents, de miséreux grelottants et crevant de faim, un pays fantomatique sous la bruine et le froid. Une société d'individus bagarreurs et impulsifs, qui n'exclue pas l'entraide et la fraternité.

La narration est dans les détails minutieux et précis, pour raconter le dépeçage d'un mouton, le nettoyage d'une arme à feu, un pub saturé de bruits ou d'odeurs, une tempête océanique...

L'Irlande du XIXème est magnifique, par une plume poétique et lyrique, évocatrice de paysages, descriptives de scènes de vie. Pour qui a arpenté ces campagnes, l'écriture est créatrice de tableaux et d'aquarelles.

Une envie de voyage me venait impérieusement à la lecture.



Et l'histoire se poursuit, entre vengeance, fatalité et tragédie...



J'ai été totalement immergée dans ce destin d'homme. La thématique de l'irlandais exilé n'est pas nouvelle mais Paul Lynch lui donne un ton original, par une écriture très visuelle et d'une belle sensibilité.

Pour un premier roman, c'est extrêmement prometteur et j'attendrai le prochain avec gourmandise.

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Grace

1845 en Irlande. Le mildiou anéantit la culture de pommes de terre, base de l'alimentation des paysans. Une terrible vague de famine déferle sur le pays jusqu'en 1852, jetant hors de chez eux des millions de pauvres gens et réduisant la population d'un quart, par l'effet conjugué de l'émigration et des décès.





Lorsque la catastrophe survient, Grace vit déjà très pauvrement avec sa mère et ses petits frères. Ils ne mangent guère à leur faim, et seul le droit de cuissage qu'exerce le propriétaire sur leur mère leur permet de garder leur maison. Quand l'homme se met à lorgner Grace, la mère décide de protéger sa fille en la faisant partir, travestie en garçon.





Jetée sur les routes sans ressources, Grace commence une longue errance, en compagnie de son petit frère Colly qui, de diverses façons, la soutiendra indéfectiblement tout au long de leur interminable périple.





Dans des paysages frappés de désolation, Grace va se mêler aux hordes errantes de mendiants, de brigands et d'assassins, et, de son regard d'enfant bien vite devenu femme, découvrir le climat apocalyptique d'une Irlande ravagée par la faim, peuplée de pauvres hères réduits aux pires extrémités pour survivre. Les pas de Grace vont bel et bien lui faire traverser ce qui ressemble à l'Enfer, jusqu'au bout de l'innommable, là où vous ne pourrez plus lire sans frémir d'horreur.





Pourtant, au plus profond du désespoir, au bord de la folie et de l'anéantissement, subsiste chez Grace l'instinct de vie, une capacité à se réfugier dans une autre réalité et à se raccrocher aux plus infimes lambeaux d'humanité.





Aucun récit de la Grande Famine irlandaise ne m'avait fait sombré aussi près de l'atroce réalité. Je referme ce livre avec une sensation prégnante de cauchemar, un peu celle ressentie devant un tableau de Jérôme Bosch. Si cette traversée de l'Enfer m'a parfois semblé un peu longue, elle constitue un très bel hommage à toutes les victimes anonymes et oubliées de cet épisode meurtrier de l'Histoire.





Prolongement sur la Grande Famine Irlandaise dans la rubrique Le coin des curieux, à la fin de ma chronique sur ce livre, sur mon blog :

https://leslecturesdecannetille.blogspot.com/2019/04/lynch-paul-grace.html




Lien : https://leslecturesdecanneti..
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La neige noire

J'ai découvert Paul Lynch avec bonheur à la lecture d'-Un-ciel-rouge-le-matin une chasse à l'homme d'Irlande en Amérique .

Avec" la neige noire, nous faisons le voyage inverse, le personnage principal, Barnabas Kane, après quelques années passées à New- York, revient avec Eskra épousée là- bas et son fils Billy. Ce jeune couple d'ouvriers et leur fils choisissent de revenir sur la terre de leurs aïeux. Ils se transforment en éleveurs et prennent possession d'une métairie.Mais personne ne les attend dans le Donegal, que la jalousie, la haine, la rancoeur, l'envie, l'incompréhension, le pire....une hostilité latente et sourde ....La métairie brûle dés le début fulgurant du livre: une vision, une scène apocalyptique, saisissante: "la fumée qui traînait dans la cuisine s'est tapie dans les coins comme un chat"," L'effondrement de l'étable semblable au râle ultime d'une créature titanesque vidée à présent de sa force vitale" Les cris des vaches à l'agonie".La ferme entière est en feu, leur vieux commis meurt et leurs quarante- trois vaches courent en flammes aux quatre coins de leur terrain. Cela se poursuit par le massacre de leur chien et de leurs ruches....La mort rôde sans fin dans ce récit imprévisible sur les terres ingrates et désolées d'Irlande ... le lecteur est happé par chaque phrase travaillée, un récit puissant, marquant, renversant, charnel, excessif, tragique qui prend aux tripes: ' Une aube couleur de rose",Le silence absolu du matin a la profondeur d'un abîme". le ciel se débonde encore une fois"" il lui fut une minute pour la succion de sangsue de la pluie glacée" Ces pierres sont comme nos ossements."Un roman diabolique à l'écriture âpre et envoûtante : ici nulle fraternité, nulle solidarité. Dans cette communauté pastorale, la cruauté est infinie, le courage à la combattre aussi au risque d'en mourir ou de perdre la vie.Les silences et les dialogues à minima se fondent dans l'immensité du vide tragique, du noir ,de l'absence définitive d'espoir.

L'écriture est tellement fascinante et belle , les images si puissantes qu'elles se métamorphosent en visions de cinéma, mises en scène, descriptions baroques, sons , rythmes, couleurs . Un ouvrage époustouflant , hypnotique, qui fascine, brut , dense et profond, habité à la fois par la sarabande des vivants et des morts , dans une Irlande intemporelle, doublée d'âmes à la rudesse inhospitalière où la rancoeur domine les coeurs .Un grand coup de coeur pour cette deuxième oeuvre incroyablement riche! Que lire après? J'ai de la tendresse pour les écrivains Irlandais et j'attendrai le troisième opus de cet écrivain décidément bien prometteur , avec curiosité , un ouvrage où les pages chanteront aussi?





















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Grace

Les dieux les ont abandonnés, il est temps que chacun devienne son propre dieu. Les règles ont cessé d'exister. La récolte est perdue, partout c'est la misère noire, seul le souffle de la mort balaye les champs. Sarah ne voit pas d'autres solutions que de couper les cheveux de sa fille Grace pour qu'elle parte chercher un emploi et trimer comme un homme et aussi qu'elle échapper à Boggs leur propriétaire une brute imbécile. Les chemins pullulent de mendiants qui s'ils trouvaient preneurs vendraient leurs bras et leurs jambes contre de quoi manger.



Ce roman raconte donc le cheminement dans la campagne irlandaise d'une jeune fille accompagné par le fantôme de son frère mort noyé pour survivre entre solitude, misère et superstitions. Elle va être de plus en plus téméraire et n'hésitera pas à voler, au fil des ses rencontres elle deviendra petit à petit une femme.



Ce roman est superbement bien écrit et les descriptions des ravages de la famine sont portées par la poésie et le lyrisme de la plume de Paul Lynch. Mais je n'ai pas été transporté par cette histoire, où morts et vivants se confondent. le parcours de Grace à travers un pays ravagé m'a semblé bien long et un peu ennuyeux, car l'intrigue est vraiment légère et le propos sinistre.

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La neige noire

Comme ce roman est sombre ! Il prend place dans le Donegal, une région isolée à l'extrême nord de l'Irlande. Un paysage de prés boueux et de tourbières, une mer agitée couleur d'étain, un ciel souvent lourd de menaces, un climat froid et pluvieux. Les événements se produisent pendant la seconde guerre mondiale. Si l'on n'y perçoit guère l'écho des combats, l'on en ressent les restrictions dans la vie de tous les jours.



Dans La neige noire et son univers de fin du monde régi par des traditions immémoriales, vivent des fermiers pauvres, arriérés. Des rustauds, des taiseux, dont on ne peut déchiffrer les pensées. Absorbés par les nécessités de leur survie quotidienne, peut-être même ne pensent-ils pas.



Un soir, vers la fin de l'hiver, un incendie ravage l'étable d'une ferme. La toiture et la charpente de la vieille bâtisse s'effondrent dans une explosion de matières calcinées, dont les cendres retombent lentement comme des flocons de neige noire. Quarante trois vaches périssent carbonisées ou asphyxiées sous les yeux horrifiés et impuissants de leur propriétaire, Barnabas Kane, de sa femme Eskra et de leur fils Billy, quatorze ans. Essayant d'intervenir avec son ouvrier Matthew Peoples, Barnabas lui-même manque d'y laisser sa peau... le gros Matty aura eu moins de chance.



L'incendie s'est-il déclenché accidentellement ou résulte-t-il d'un acte de malveillance ? Comment vont réagir les assurances ? Quelle est la part de responsabilité de Barnabas dans la mort du pauvre Matthew ? Quoi qu'il en soit, il en faudrait plus pour que Barnabas s'abandonne au désespoir. Les dents serrées, il a bien l'intention de montrer à tous ceux qui l'observent depuis leurs fermes voisines, guettant sa chute, qu'aucune embûche ne l'empêchera de rebâtir son outil de travail.



Dès les premières pages et tout au long du livre, pendant que le quotidien suit son cours, on apprend, qu'autrefois jeune orphelin laissé pour compte, Barnabas avait émigré à New York, où il avait travaillé comme charpentier sur la construction de gratte-ciel, un métier acrobatique et dangereux qui lui avait façonné le caractère et permis d'amasser un petit pécule. C'est là-bas qu'il avait épousé Eskra, une Américaine d'origine irlandaise, et que Billy était né. Revenu au pays avec une mentalité de pionnier, Barnabas a acheté des terres, une ferme et des bovins. En quelques années, il est devenu un éleveur relativement prospère. de quoi susciter jalousie et ressentiment, d'autant plus qu'Eskra, apicultrice, cultivée, pianiste, n'a pas vraiment le profil d'une paysanne du coin.



Mais peut-être les sinistres événements qui frapperont Barnabas et sa famille sont-ils le produit d'une rancoeur plus profonde, d'une suite d'erreurs de jugement et de décisions maladroites d'un homme aveuglé par une ambition obsessionnelle et une obstination cynique, qui l'entraîneront dans une descente aux enfers prévisible. Jusqu'à l'Enfer lui-même, dont j'ai cru voir dans les dernières pages s'ouvrir la porte, où un fantôme n'ayant rien d'un Commandeur, mais qui n'avait pas voulu mourir, prenait la main d'un homme à l'agonie, n'ayant rien d'un séducteur, mais qui ne savait pas se repentir.



Une interprétation personnelle que chacun est libre de contester, de même que chacun peut ressentir à sa manière le symbole du massacre des abeilles d'Eskra par un gang de guêpes criminelles.



La neige noire est le deuxième roman de Paul Lynch, un Irlandais natif du Donegal. Son écriture est empreinte d'un lyrisme sombre, en harmonie avec le climat tourmenté et la beauté sauvage des lieux. Son vocabulaire, foisonnant, évoque à la perfection les images qu'il transcrit.



Le rythme de la narration est très lent. L'ossature du texte se présente à l'état presque brut, comme de la poésie. D'un paragraphe à l'autre, on passe sans indication d'un moment à un autre, d'un personnage à un autre. Les dialogues sont directement insérés dans la narration. A chacun d'imaginer les connexions.



Un effet littéraire pleinement réussi, mais pas forcément accessible à tous les lecteurs.


Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Au-delà de la mer

Un des livres les plus attendus de cette rentrée littéraire n’est nul autre que le nouveau roman de l’auteur irlandais Paul Lynch, son quatrième roman pour un auteur unanimement salué par la critique pour ses trois précédentes œuvres. Nul doute que « Au-delà de la mer« , publié par les éditions Albin Michel, va encore renforcer ce capital sympathie auprès de la critique et du grand public. Un ouvrage saisissant, hanté, aux frontières du rêve et de la réalité, aux confins de la vie et de la mort. Un récit tel un cri déchirant sur l’âpreté de la vie, le poids de la culpabilité et un roman servi par une plume écorchée, qui nous ronge jusqu’à l’os, à l’image de ces deux êtres perdus en pleine mer. Bolivar est un pêcheur sud américain endurci, à la peau tanné et au cuir épais. Il en a vu d’autres. La vie n’est que satisfaction des besoins primaires pour lui. Sa compagne est d’une tristesse mais il ne veut pas le voir. Ainsi alors que le manque d’argent se fait criant, Bolivar va jouer au dé son destin et celui d’un adolescent, Hector, qui se décide à partir finalement avec celui-ci. Pourtant, la tempête s’annonce, elle rugit et menace au large. Mais je vous l’ai dit, Bolivar est un être comme un roc sur qui tout ruisselle, même le danger d’une tempête ne l’effraie nullement. Les voilà partis, Hector et Bolivar, deux êtres qui ne se connaissent pas. La mer est très agitée, les vagues déferlent contre l’embarcation. C’est la lutte venant du fond des âges, celle menée en face à face entre l’homme et la nature implacable et féroce. L’Hybris , la démesure de Bolivar confronté à ce que l’homme craint le plus, l’imprévisibilité de la mer, son basculement entre beauté et vagues gigantesques, creux de plusieurs mètres qui mettent en péril l’embarcation. Bientôt, le moteur et le système de communication ne fonctionnent plus et voilà Bolivar et Hector perdu en pleine océan. Ils vont devoir apprendre à s’apprivoiser mutuellement. Jusqu’où iront-ils pour survivre ? Hector, l’adolescent fragile et torturé, et Bolivar, l’homme revenu de tout. Chacun est ancré dans deux réalités totalement distinctes. La soif les ronge au bout de quelques jours..



« L’espoir ce n’est rien qu’une petite flamme, pense Bolivar. On le nourrit d’une petite chose et puis d’une autre. C’est ainsi que nous vivons.«



Dans ce tête à tête, alors qu’Hector recherche la rédemption, Bolivar lui continue d’être uniquement préoccupé par la survie, et ce à tout prix. Une plongée en apnée dans la psyché de Bolivar et Hector. Qui est Bolivar ? Que cache t’il derrière cette muraille infranchissable ? Ce roman est un questionnement sur le fil ténu entre la vie et la mort, la folie qui nous guette, une réflexion philosophique sur le sens de nos actes et le poids de la destinée, de la culpabilité. Bolivar et Hector sont les marionnettes de quelque chose de plus grand, qui les dépassent totalement. On songe à Hemingway bien évidemment et à Camus. Porté par un souffle certain, ce huis clos en pleine océan est d’une grande justesse et d’une beauté redoutable, de celle qui nous ensorcelle. On termine ce roman « Au-delà de la mer » la gorge sèche et le souffle court. Un roman inoubliable et qui fait partie des livres indispensables à lire en cette rentrée littéraire. Laissez vous tenter.

Je remercie très chaleureusement les Éditions Albin-Michel et sa collection « Terres d’Amérique » pour cette lecture et leur confiance !




Lien : https://thedude524.com/2021/..
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Au-delà de la mer

Paul Lynch , auteur irlandais change d'endroit pour son nouveau roman. Il campe l'histoire de son roman en Amérique du Sud, cette fois-ci, dans un pays indéterminé, le long de la côte.

Bolivar est un pêcheur, en manque d'argent et avec des dettes il se sent obligé de repartir en mer pour pêcher et gagner de l'argent, malgré la violente tempête qui s'annonce. Ne trouvant pas son coéquipier, il embauche le jeune Hector, pas tres motivé. Bolivar est une force de la nature, un pêcheur aguerri, il en a vu d'autres, des tempêtes depuis le temps qu'il bourlingue sur l'océan.

Mais cette tempête est vraiment terrible, quand elle s'achève, ils n'ont plus de moteur, plus de radio,plus de matériel de pêche, ils sont sans lien avec la terre ferme, coupés du monde. Les voilà condamnés à dériver jusqu'à ce que l'on vienne à leur secours. Bolivar est très optimiste, on va les rechercher et envoyer des secours. c'est une question d'heures. Mais les jours passent et personne ne vient....

Tandis que Bolivar s'agite pour pêcher ou attraper des oiseaux pour manger, mettre des récipients pour récupérer l'eau douce quand il pleut. Hector s'enfonce de plus en plus dans la léthargie et le mysticisme. Il refuse de manger cru de surcroît et n'accepte qu'un peu d'eau.

C'est un huis clos en pleine mer qui s'offre à nous, avec deux personnages diamétralement opposés , Bolivar, le battant qui choisit la vie et va se battre jusqu'au bout et Hector plus mystique qui pense que c'est son destin et qui l'accepte. Bolivar est en mode survie, dévorant des oiseaux crus, buvant leur sang, prêt à tout pour survivre. Hector se refugie dans la foi, se fabrique une petite statue de la vierge et prieet refuse de s'alimenter.

Paul Lynch s'est inspiré d'un fait divers en Amérique du Sud ou un pecheur emporté par la tempête, a derivé pendant 1 an avant de s'échouer sur la côte.

J’ai beaucoup aimé ce roman original où deux hommes dans un huis clos implacable vont affronter la nature et se retrouver face à face et face à eux même surtout, face à leur passé, à leurs regrets, à leurs rêves, à leurs cauchemars, aux fantômes de la mort qui hantent leurs nuits. Deux hommes minuscules sur une coquille de noix dans l'immensité de l'océan insensible à leur cas.
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Grace

Avant toute chose, il me semble indispensable de saluer la traduction de ce roman par Marina Boraso. Elle semble être entrée dans la tête de l’auteur avec facilité et élégance, reste que le travail est formidable.

Le troisième roman de P.Lynch,auteur irlandais de 40ans se passe donc en Irlande pendant la Grande Famine qui a crucifié ce pays de 1845 à 1851 .

Grace est une petite fille qui vit avec sa mère et ses trois frères et sœur dans un grand état de pauvreté, ils ne mangent que lors des visites du propriétaire qui se paie sur le corps de la mère, et l’engrosse régulièrement. Un jour ce sinistre individu louche sur la jolie Grace et sa longue chevelure, la mère se rend compte du danger , rase quasiment Grace , la dépouille ainsi de son sexe et l’oblige à partir pour ainsi la sauver croit-elle au moins de ce danger là.

Grace part avec un petit baluchon, son petit frère la rejoint, et la grande misère commence pour ces enfants ; d’une manière ou d’une autre (je ne veux pas révéler l’histoire)Colly accompagnera Grace pendant ce long périple qui parfois fait penser à « La Route » de Cormac Mc Carthy . C’est une épopée sauvage qui emmène cette enfant puis jeune fille à travers l’Irlande apocalyptique, plus de racines ni d’animaux à manger, reste la folie... certaines pages qui font froid dans le dos,que j’ai lues les yeux à demi fermés, tant elles étaient dures, la faim étant l’ennemie première devant les rôdeurs, les assassins, les maladies.

J’ai lu un roman terriblement beau, poétique souvent malgré la désolation, un roman plein de grâce.
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Un ciel rouge, le matin

Depuis sa sortie, j'étais impatiente de lire ce livre. Finalement, j'aurai commencé par le deuxième La Neige Noire, pour enchaîner avec celui-ci. Même densité, même épaisseur temporelle et à contretemps. Il n'y a pas à dire, Paul Lynch a un style vraiment personnel.

Ancien critique de cinéma, il écrit comme on filmerait tant son écriture est visuelle et rythmée. La fuite de Coll Coyle, jeune père de famille irlandais, après son meurtre, la chasse à l'homme qui s'ensuit, le trajet en bateau jusqu'au nouveau continent, la nature hostile et magnifique à la fois, la brutalité, tout cela est écrit comme le serait tout-à-la-fois un classique des années 50 et un bon western.

le récit est très noir et violent, tout comme La Neige Noire, mais je l'ai trouvé, par moments, moins maîtrisé. Ca n'en reste pas moins un grand roman d'une grande qualité.

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Au-delà de la mer

Quatrième roman en France pour l’irlandais Paul Lynch avec, cette fois, une escapade hors du continent pour Au-delà de la mer.

Après Grace, formidable récit sur la « Grande Famine irlandaise » en 1845, c’est d’une autre épreuve terrible que va nous parler l’auteur, une épreuve à taille humaine inspirée d’un fait divers qui voyait à propos de deux pêcheurs emportés par la tempête en 2013 et dont l’un a échoué sur les plages de l’île Marshall l’année suivante.

Prenez vos provisions et cramponnez-vous au bastingage, nous voici au large pour la rentrée littéraire d’Albin Michel !



Deux hommes à la mer

C’est sur une journée ordinaire dans un village côtier d’Amérique du Sud que s’ouvre Au-delà de la mer alors que Bolivar, pêcheur chevronné mais égoïste et paresseux, cherche son fidèle associé, Angel.

Mais voilà qu’Angel a disparu et qu’en l’absence de son complice habituel, c’est le jeune Hector qui doit faire équipe avec Bolivar.

Inexpérimenté et timide, Hector s’embarque pour une pêche à haut risque. En effet, au large, une tempête se prépare mais Bolivar, entêté et orgueilleux, s’obstine. Bientôt ballotés par les flots et fouettés par les vents, les deux hommes luttent pour ne pas finir noyés, écopant sans fin dans ce qui semble être la fin du monde. Perdu en plein milieu de l’océan, Hector et Bolivar vont devoir affronté la solitude, la faim, la soif et…eux-mêmes !

Une fois l’introduction passée et les premiers coups de serpes sur le personnage rude de Bolivar, Paul Lynch emmène son lecteur pour une confrontation à la Nature et, plus particulièrement, face à la colère de l’océan. Au-delà de la mer s’intéresse à l’homme confronté aux forces naturelles mais, surtout, à l’immensité et au vide. Bolivar et Hector comprennent rapidement que, perdus dans ce désert bleu qui n’en finit pas, leur existence même ne signifie plus rien, qu’ils ne sont eux-mêmes plus rien.

Cette révélation de l’insignifiance humaine va de pair avec un aspect survivaliste où chacun des deux personnages possède un approche différente de la situation. D’un côté, le vieux Bolivar pour qui le sauvetage ne fait aucune doute, qui pense pratique, qui s’occupe, pêche, se construit une routine face au néant. De l’autre, Hector, beaucoup plus faible psychologiquement, abattu (ou lucide ?) sur leur condition désespérée et qui se laisse lentement glisser vers le désespoir et la mort.

Deux approches, deux humanités, deux destins différents.



Vivre pour exister

Au-delà de la mer n’est cependant pas là pour nous expliquer par le menu la façon dont vont pouvoir survivre (ou pas) les deux pêcheurs. Paul Lynch n’écrit pas un roman de survie mais un roman sur la rédemption et sur l’homme mis face à lui-même. Coupés du monde, Hector et Bolivar n’ont plus grand chose d’autre à faire que de penser à leurs vies respectives et à leurs propres péchés. Il est d’ailleurs intéressant de voir que Paul Lynch utilise volontiers « pêcheur » dans ses deux sens du terme : le sens pratique et le sens spirituel/religieux. La survie des deux hommes prend rapidement une envergure mystique et philosophique, replongeant l’un dans sa jalousie exacerbée et l’autre dans sa lâcheté. Les deux sont rongés par des femmes, qu’ils les aient quitté de gré ou de force. L’auteur irlandais s’interroge et se questionne, sonde les âmes et les histoires, lui dont la plume offre encore une fois nombre d’envolées poétiques et une implacable précision pour saisir les turpitudes de l’esprit humain.

Le roman, pourtant, semble bien plus âpre que Grace, la faute à une unité de lieu et à un temps qui s’effiloche, devenant même une donnée secondaire puisque le lecteur ne sait rapidement plus combien de jours se sont écoulés depuis la tempête. Ce parti-pris narratif demande donc un surplus de concentration au lecteur et d’accepter de se perdre dans la psyché de deux hommes en pleine introspection, deux hommes qui frôlent dangereusement la folie et qui se soumettent au jugement du lecteur comme à celui de Dieu.



Avoir la foi

La foi occupe une place à part dans Au-delà de la mer. On sent le récit marqué par la chrétienté et le sens biblique, Hector et Bolivar se révélant pêcheurs et l’océan une sorte de purgatoire qui leur permet d’affirmer le meilleur et le pire d’eux-mêmes. Lentement, l’histoire dérive vers la noirceur et le désespoir et la foi des deux hommes est testée, une foi qui prend des formes différentes, littérale pour Hector qui prie la Vierge et le Seigneur, plus « réaliste » pour Bolivar, totalement convaincu qu’une équipe de sauvetage est en route, si convaincu qu’il en prépare Noël avec gaieté. Au fur et à mesure de cette longue épreuve, des éléments quasi-fantastiques viennent s’ajouter au chemin de croix des survivants et cet océan devient la métaphore d’une rédemption, celle de Bolivar, hanté par sa fille et son ex-femme, hanté par ce qu’il a vu dans les montagnes et par les péchés de sa vie d’antan. L’expiation flirte avec la mort, les regrets avec la douleur, le sel marin avec les hallucinations. Tout se brouille et se mêle, confrontant l’homme à sa véritable nature, faillible et insignifiante au milieu de l’immensité et de la Toute Puissance du Dieu Nature. C’est l’épreuve de la solitude qui finit par révéler l’âme des uns et des autres, c’est aussi, en filigrane, la pollution de notre planète par ces bouts de plastiques et déchets que recueillent nos naufragés sur l’océan et dans l’estomac des poissons et oiseaux qu’ils piègent. C’est enfin la cruauté du temps qui passe, de l’oubli par les siens et de l’infini de l’esprit humain capable de se tourmenter au moins autant qu’il se réconforte même en l’absence d’une seule lueur d’espoir à l’horizon.



Plus rude à aborder que Grace, Au-delà de la mer finit par emporter l’adhésion grâce à la plume toujours formidable de Paul Lynch et à son tableau sans concession de l’homme face à lui-même. Métaphore de la rédemption et de l’expiation, renaissance et mort, beauté et noirceur, voici donc les mots qui résonnent sur l’océan tandis que Bolivar et Hector s’accrochent désespérément à la vie. Une expérience fascinante.
Lien : https://justaword.fr/au-del%..
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