Pierre Chatillon

Alors il lui revint en mémoire qu'il était lui-même un homme de soixante -neuf ans , plus jeune certes de dix ou quinze ans que les vieillards qu'il venait d'apercevoir , mais un homme en sursis , en sursis seulement et pour bien peu de temps. Il refusa la mort et se remit à courir parmi l'écume et les coquillages d'ossements. Puis il se mit à rire parmi les mouettes rieuses , à rire, à rire follement, puis nia les vieux , ne les vit plus , en nettoyant la plage d'un grand coup, et puis il se nia lui-même , secouant la poussière accumulée en lui par l'âge et la jetant dans l'air où elle tourbillonna comme des volées de pluviers blancs.

Les Anglais, eux, et les riches Canadiens qui n'ont pas voulu perdre leurs privilèges, habitent des maisons somptueuses dans ce qu'on appelle la Haute-Ville. Tout de suite après la conquête, ils se sont empressés de créer des liens d'affaires et d'amitié avec l'occupant. C'est la raison pour laquelle leurs compatriotes les ont baptisés " les vendus" .

Je pense au long silence d'après vie
Et pour continuer un peu
Les musiques de notre monde
Je demande qu'on me mette en terre
Dans un cercueil en forme de violon,

Je fixe les yeux de la mer
Qui m’hypnotisent
Je sombre dans un songe bleu
Où je nage à rebours
Vers l’enfance du monde
Vers la première mélodie d’exil
Modulée par les houles
À peine séparées du ciel
Et quand les vagues me rejettent sur la plage
Où je retrouve les angoisses de mon âge
La mer ferme ses paupières d’ombre

j'eus dix-sept ans jadis
mes yeux les queues rouges de comètes folles
déchirant les cieux dans un fracas de feu
j'ai bondi de planètes en abîmes
tout mon corps balafré déchiqueté
après la lutte corps à corps
contre les araignées pourries de l'Infini
mes mains pleines d'étoiles frémissantes
comme tisons incrustés dans mes chairs
mais aujourd'hui je suis guéri
du mal de vivre de mon pays
j'ambitionne d'écrire
un hymne à la splendeur du monde.

On entre en hiver
comme étaient contraints jadis
d'entrer au cloître
des jeunes qui n'avaient pas la vocation
la règle nous force à renoncer
aux feuilles aux rivières
aux fleurs et aux oiseaux
on doit fermer nos sens
aux plaisirs de l'été

Les flocons qui descendent du ciel
sont des lettres de soie
qui composent sur le sol
les mots d'une langue inconnue
faite de nuances de blancheur
de modulations de silence
un message de pureté
venu de l'espace
les parcelles d'un monde secret
très loin de la Terre
où règne encore l'innocence originelle

MÉLODIE

Né de l'horizon
apparu soudain dans l'espace
un vaste oiseau
d'une pureté translucide
plane au-dessus de l'onde
rêve de beauté qui s'irise
recueillant sur lui
toutes les nuances du jour
il s'élève puis plonge
en flèche dans la mer
soulevant des gerbes de gouttelettes
radieuses comme une poussière d'harmonie
qui luit et se dissémine
après les modulations sublimes
d'une mélodie.

JEUX DE VAGUES

Ce soir, je m'ennuie de la mer. Dans trois semaines, je vais filer vers Anna Maria , l'île de Floride où je passe les mois d'hiver, mais en ce moment , un vent boréal secoue ma maison aux fenêtres criblées de verglas . Les branches des arbres ploient sous la gangue de glace qui les alourdit ; je sens le froid pénétrer en moi et resserrer son étau de mort sur le réseau de veines, d'artères et d'os qui évoque dans mon corps la forme d'un arbre.

Le vieil homme , ivre, toujours assis sur les sables de l'île d'Edisto, en pleine lumière d'après-midi , ne pensait plus qu'à celle qui avait été le soleil de sa vie.Il ferma les yeux pour oublier le spectacle de la beauté du monde et ne plus écouter en lui que les houles du destin, houles qui pendant si peu de jours de sa longue vie avaient été empanachées des crêtes d'écume éblouissantes de la joie.

Le vieil homme regarda descendre à l'horizon rose le soleil blanc de février. Il le regarda descendre par la fenêtre à petits carreaux de bois peints en noir de sa maison du " Bas de la rivière " , à proximité de Nicolet , dont l'extérieur était également peint en noir et qu'il habitait depuis l'âge de trente ans.
Lorsque, par les grands froids d'hiver, la mort, d'une invisible main, enlumine de fleurs le givre des vitres, il faut l'expérience d'un homme qui la hait depuis toujours pour refuser de la suivre, de séduction en séduction , par les allées translucides de ces jardins.
C'est à travers ces fleurs de givre dessinées sur chacun des carreaux de verre de sa fenêtre que le vieil homme regardait descendre à l'horizon rose le soleil blanc de février.

Ah ! qui nous donnera jamais l'étreinte du soleil pour la neige fondante.

POSTFACE

Dans mon livre, Frédérick-Yvon, au lieu d'être un individu, devient un prototype du Canadien d'après la conquête. Un homme menacé dans son identité, déchiré entre de nombreuses opinions, obligé de se redéfinir pour continuer à vivre sur cette d'Amérique .

Rien ne leur était naturel que de se baigner nus dans un tel paradis d'harmonie. Yvon avait compris pour la première fois à quel point l'amour n'avait rien en commun avec la morale et la religion . À quel point l'esprit tordu des humains avait tout compliqué, tout souillé avec ses inventions de culpabilité. de péché. Jamais il n'avait connu une telle béatitude ni un tel sentiment de liberté.

Je m'accroupis sur le rivage.
Une fumée s'élève d'un pipeau crasseux.

La mer.

Je fume.

Je ne demande rien.

Je fume.

La mer.

Les cours lui permettaient de faire découvrir et de faire aimer les oeuvres de Musset , Nerval, Baudelaire, Rimbaud . C'était une dimension qu'il ne connaissait pas et à laquelle il ne tarda pas à s'attacher . Lire un poème de Verlaine et voir s'allumer l'intérêt dans les yeux de certains étudiants constituait une joie qui donnait du sens à son existence. Il avait maintenant une raison d'être , il jouait un rôle dans la société. (p.145 )

J'écoute la musique de la lumière
parfois c'est la voix douce du matin qui chante
et les notes qui brillent
se déposent avec grâce
sur les feuilles comme gouttes de rosée
parfois tous les reflets de la rivière scintillent
comme les cuivres et les bois d'un grand orchestre
une petite branche que le vent balance
est la baguette d'un invisible chef
caché parmi les arbres de la rive
j'écoute debout ...

Au crépuscule
la mer tourne comme un disque
sur un phonographe ancien
quand la boule rouge du soleil
munie d'une aiguille s'y pose
on entend remonter du fond des âges
la musique symphonique de l'eau

J’ai rêvé ce matin
tant le ciel était pur
d’écrire sur l’amour avec du feu
et le poème qui me jaillit du cœur
prit la forme d’un cardinal
pour tracer avec ses ailes
les mots rouges de mon chant de joie

Qui donc se soucie
du destin d'un flocon ?
Il est si petit
que tout de suite il fond.
Qui donc se soucie
du destin d'une étoile
flocon de lumière
qui fond dans l'infini ?