Citations de Pierre Siniac (197)
Sur un banc, deux vieux se chauffaient au soleil, paisibles, canne en main et pantoufles aux pieds, regardant passer les fuyards. Quelques valises, certaines ouvertes et aux trois quarts vidées, traînaient à l’abandon sur les trottoirs. Un troupeau de vaches et de chevaux apparut, plus discipliné, eût-on dit, que la piétaille, suivi par deux tracteurs écrasés de meubles et de valises. Le spectacle frôlait par moments le dantesque. Le pas lourd du troupeau gigantesque montait de minute en minute, c’était comme la sortie précipitée d’une ville en feu.
Même Aberschweiller ne saurait où s’adresser, il se casserait les dents. Paris-malfrat déguerpissait comme tout le monde. L’ami Ménard était une sorte de nouillard, pas très malin ; mais comme il avait commis naguère, dans une poussée de courage, un petit cambriolage et rêvait toujours de s’extraire de sa misérable condition prolétarienne, ma foi, autant essayer…
Maigoual ajustait toujours son uniforme de douanier devant la glace:
–Il avait tout à fait ma carrure, ton régulier...
–Justin était un très bel homme, fit Sidonie, un peu nostalgique.
–Ça ne le gênait pas lui, un douanier, que tu tiennes un bordel?
–Pas du tout! Au contraire, il m'envoyait souvent des collègues à lui, des gabelous du pont de Kehl...
–Cette idée de vendre vos diamants à un officier américain? fit Maigoual. On aura tout vu?
Meisinger soupira puis dit :
–Je pensais qu'il s'agissait d'un acheteur sûr... Les diamants pris aux gaullistes et aux youpins iront donc au Reichsmarschall. Il me paiera... Moins cher mais gros tout de même. Une fortune... Hermann Goering est un homme qui sait vivre.
PROLOGUE
Le hauptsturmführer S.S. Stoll posa une botte conquérante sur la caisse d'acier.
Les quatre boîtes métalliques contenaient pour environ un milliard de francs d'or en barres.
Il surveillait les estivants bizarres, les jeunes, les étrangers du bidonville… Les Portugais, les Noirs, les fellouzes… L’œil à tout, l’ami Hennoque. Un gars sérieux. Grâce à son désir sincère de servir la police, il a pu monter son petit commerce.
En raison d’impérieuses questions politico-économiques, la police doit coûte que coûte mettre la main sur un coupable, et rapidement, car des accords bilatéraux très importants sur une question de matériel de guerre lourd doivent être incessamment signés par les deux ministres des Affaires étrangères. L’enquête sera menée tambour battant. Une certaine police – plus précisément un organisme para-policier plus ou moins occulte – s’en mêle et veut trouver son coupable dans certains milieux révolutionnaires du pays.
Pour un œil averti, la main n’avait pas vraiment touché le visage de la fille, se contentant de l’effleurer. Un trucage savant. Du chiqué bien léché. Il y eut cependant le claquement bref, et pour quelqu’un se trouvant à plus de trois mètres de la fille, il y avait de quoi s’y tromper. L’effet était assez saisissant.
Et il n’avait pas l’intention de se laisser marcher sur les pieds. On lui devait le respect. Asie du Sud-Est. Afrique du Nord. Congo. Biafra. Angola. Mozambique. Sans parler des amuse-gueule : une saison en Corée, deux ou trois mois au Burundi, quelques journées au Yémen – où il avait vraiment perdu son temps, car ça payait très mal –, un passage chez les Bururis puis chez les Rugurus, peuplades batailleuses de l’Afrique orientale, et une petite vadrouille au Tibesti, en 74, en quête d’embauche. U
Une vraie guerre, quoi. Que ça s’étende un peu dans la campagne. Côté Syriens ? Côté Israéliens ? Il ne savait pas trop. Ça lui était égal. L’essentiel c’était de se trouver en pleine castagne et, surtout, de toucher une bonne paie. Seulement, voilà : est-ce que ces gens-là (les Orientaux sont toujours un peu bizarres) s’offraient des soldats de location ? Pas sûr du tout. Étudier la question de près. Le Biafra, le Viêt-nam… Tout ça était terminé… Paradis perdus… Dans le petit groupe de soiffards, on n’aimait guère Kissinger. Quel emmerdeur, ce type !
Pauvre mec ! Un butin de cinq ou six briques à tout casser ! Avec ça t’iras pas bien loin. Moi, ce que je t’offre c’est un quart du magot à prendre : pas loin d’un milliard. Tes mains de pauvre en attraperont des brûlures. Mais pour fourguer les diams faudra pas attendre cent sept ans. On a un mois maximum pour agir. Prendre les cailloux, les monnayer – je sais où – et quitter à jamais ce joli pays qui, pour nous, n’aura jamais été que d’immenses gogues. Faut donc pas traîner.
Il était seul. Il savait qu’on l’arrêterait au moindre pépin. Il n’avait guère le choix, il s’efforçait de remplir sa difficile tâche correctement tout en gardant dans la mesure du possible de discrets contacts avec ses camarades de Résistance-Fer, mais la surveillance serrée dont il était l’objet de la part de la Feldgendarmerie lui interdisait de commettre le moindre sabotage.
L’argent… Dollars, marks ou francs, je m’en fous. Le fric, ça pue vraiment trop pour qu’on y plante un drapeau.
Nul n’avait été spectateur de nos ébats. Ici, pas de rôdeurs, pas de voyeurs. La saine campagne française, pas le Bois de Boulogne. Juste d’innocents oiseaux, témoins discrets et je-m’en-fichistes de maintes étreintes de bouseux et desquels nous n’avions strictement rien à craindre.