Citations de Raymond Queneau (831)
Lorsque Icare reviendra, je l'orienterai vers la poésie décadente pour qu'il soit de son temps et je lui donnerai un professeur de prosodie impaire et de vers-librisme, M. Maitretout que j'ai conçu ces jours-ci.
On ira au Havre en cinq heures, à Marseille en une journée. Je vois dans l’avenir des bornes électriques le long des routes où l’on rechargera les accus. Car je suis pour l’Electricité et le Progrès. Ne me parlez pas du pétrole.
(…)
Cela fait du boucan, ça empeste, ça explose – jamais le client n’en voudra. Et puis si le nombre de voitures automobiles augmentait, il n’y aurait pas assez de pétrole dans le monde, c’est moi qui vous le dis.
(…)
Non, croyez-moi, la voiture électrique c’est l’avenir.
(écrit en 1968)
(Hubert Lubert, romancier, à Morcol, détective privé)
Voici donc. Je me présente : Hubert Lubert, romancier de profession, de vocation même et j’ajouterai d’un certain renom. Etant romancier, j’écris donc des romans. Ecrivant des romans, j’ai affaire à des personnages. Or voici que l’un d’eux vient de s’éclipser. Textuellement. Un roman que je venais de commencer, une dizaine de pages environ, quinze au plus, et dans lequel je mettais les plus grands espoirs, et voilà que le personnage principal, à peine esquissé, disparaît. Comme je ne puis évidemment continuer sans lui, je viens vous demander de me le retrouver.
_ Vous y arrivez, vous, à penser aux autres ?
_ Meussieu !
_. Et à soi-même, continue Valentin. Ça n'est pas commode non plus. Moi, voyez-vous, meussieu, je pense au temps, pas au temps qu'il fait, je crois que c'est inutile quand on vit dans une région tempérée. non, je pense au temos qui passe et, comme il est identique à lui-même, je pense toujours à la même chose, c'est-à-dire que je finis par ne plus penser à rien.
L'autre le regardait surpris. Valentin ajoute aimablement :
_ Ça élève l'âme.
_ Tant va l'autruche à l'eau qu'à la fin elle se palme, repliqua Valentin.
Couché sur le dos, il essayait maintenant de découvrir la différence qu'il y a entre penser à rien les yeux fermés et dormir sans rêve. Comme d'habitude, cet effort l'amène a se réveiller aussitôt, neuf heures plus tard,....
... Valentin, est-ce que par hasard tu n'aimerais pas les huitres ?
_Pas trop, répondit lâchement Valentin.
_ Tu veux dire que tu détestes ça.
_ Je n'en mange pas.
_ Et pourquoi ?
Parce que c'est vivant.
Les trois autres s'immobilisèrent, tenant en l'air leur trident transpercé d'un glaviusque molleux.
_Qu'est-ce que tu dis ? demanda Julia d'une voix détrempée.
_ Je dis que c'est vivant. Je bouffe pas des bêtes vivantes, moi.
Un fossoyeur vint leur demander s'ils allaient encore rester longtemps là. C'etait pas qu'elle les gênait, la famille les fossoyeurs, mais c'était l'heure d'aller déjeuner et ils finiraient de le remplir seulement après la soupe, les fossoyeurs le trou.
_ Prenez votre temps, mes braves, dit Paul. C'est très bien comme ça ! y en a suffisamment pour qu'il re-sorte pas.
Tout le monde rit poliment de cette bien-bonne.
_ Parait qu'elle aimait un type et qu'il a été tué à la guerre.
_ Laquelle ?
_ Celle des monuments aux morts.
Je me couchai sur un divan
et me mis à raconter ma vie,
ce que je croyais être ma vie. (…)
Je suis incapable de travailler
bref, dans notre société
je suis un désadapté inadapté
né-
vrosé
un impuissant (…)
Je raconte un rêve:
un homme et une femme
se promènent près d’une rivière,
un crocodile derrière
eux
les suit comme un chien.
Ce crocodile, c’est moi-même
Qui suis docile comme un chien (…)
Moi, docile ? mais plus tard ne me suis-je pas révolté ?
Moi ? docile ? un rebelle ?
J’ai cru me révolter et je me suis puni.
CHENE ET CHIEN II (p. 63-65)
Mes chers mes bons parents, combien je vous aimais,
Pensant à votre mort oh combien je pleurais,
Peut-être désirais-je alors votre décès,
Mes chers mes bons parents, combien je vous aimais.
De nos jours lorsque quelqu'un dit "c'est de la littérature", il n'entend pas par là faire un éloge et cela va tellement de soi que l'expression est devenue courante chez les "littérateurs" eux-mêmes. Pourtant, devant un tableau, personne n'exprimera son mépris en disant "c'est de la peinture", devant une statue "c'est de la sculpture", devant un maison "c'est de l'architecture". On voit par ce dernier exemple qu'il doit y avoir, à l'origine de ce jugement péjoratif "c'est de la littérature", quelque contradiction cachée.
A vrai dire, ce sont les littérateurs eux-mêmes qui saisis par je ne sais quel orgueil masochiste, par je ne sais quel appétit d'autopunition, ont commencé à déblatérer contre leur art. Cela commença avec la fin du romantisme, lorsque le "bourgeois" devint roi et que le savant devint prince. Les littérateurs comprirent bien alors que le romantisme et la poésie n'inspiraient plus que dégoût ; ils en convinrent ; et ne trouvèrent rien de mieux, pour gagner les suffrages du public, que de se déguiser en "savants". Le roman devint un document sociologique, une observation médicopsychologique, et les romanciers entrèrent à l'Académie de Médecine. Zola écrivit "Le roman expérimental". La poésie devait disparaître et le théâtre devenir soutenance de thèse.
En face des scientifiques, les postromantiques, poussés à bout, inventèrent l'art pour l'art qui, isolant définitivement la littérature, la réduisit à des jeux d'oisifs et aux amertumes des génies méconnus (cette singulière invention des temps modernes). Cependant là, la forme survécut, bien parfois privée de tout contenu ; l'estime pour le métier subsista et le goût pour la véritable littérature, mais le tout à la fois un peu fade et un peu faisandé.
Dans l'S, à une heure d'affluence.
Onomatopées
Sur la plate-forme, pla pla pla, d'un autobus, teuff teuff teuff, de la ligne S (pour qui sont ces serpents qui sifflent sur), il était environ midi, ding din don, ding din don, un ridicule éphèbe, proüt, proüt, qui avait un de ces couvre-chefs, phui, se tourna (virevolte, virevolte) soudain vers son voisin d'un air de colère, rreuh, rreuh, et lui dit, hm hm : « Vous faites exprès de me bousculer, monsieur. » Et toc. Là-dessus, vroutt, il se jette sur une place libre et s'y assoit, boum.
Ce même jour, un peu plus tard, ding din don, ding din don, je le revis en compagnie d'un autre éphèbe, proüt, proüt, qui lui causait bouton de pardessus (brr, brr, brr, il ne faisait donc pas si chaud que ça...).
Et toc.
Homéotéleutes
Un jour de canicule sur un véhicule où je circule, gesticule un funambule au bulbe minuscule, à la mandibule en virgule et au capitule ridicule. Un somnambule l'accule et l'annule, l'autre articule : « crapule », mais dissimule ses scrupules, recule, capitule et va poser ailleurs son cul.
Une hule aprule, devant la gule Saint-Lazule je l'aperçule qui discule à propos de boutules, de boutules de pardessule.
Il avait l'air stupide d'un bouc égaré dans une plantation de pois chiches.
UN ENFANT A DIT
Un enfant a dit
je sais des poèmes
un enfant a dit
chsais des poaisies
un enfant a dit
mon cœur est plein d'elles
un enfant a dit
par cœur ça suffit
un enfant a dit
ils en sav' des choses
un enfant a dit
et tout par écrit
si lpoète pouvait
s'enfuir à tir-d'aile
les enfants voudraient
partir avec lui
Bon dieu de bon dieu que j'ai envie d'écrire un petit poème
Tiens en voilà justement un qui passe
Petit petit petit
viens ici que je t'enfile
sur le fil du collier de mes autres poèmes
viens ici que je t'entube
dans le comprimé de mes œuvres
viens ici que je t'enpapouète
et que je t'enrime
et que je t'enrythme
et que je t'enlyre
et que je t'enpégase
et que je t'enverse et que je t'enprose
la vache
il a foutu le camp
Injurieux
Après une attente infecte sous un soleil ignoble, je finis par monter dans un autobus immonde où se serrait une bande de cons. Le plus con d'entre ces cons était un boutonneux au sifflet démesuré qui exhibait un galurin grotesque avec un cordonnet au lieu de ruban. Ce prétentiard se mit à râler parce qu'un vieux con lui piétinait les panards avec une fureur sénile ; mais il ne tarda pas à se dégonfler et se débina dans la direction d'une place vide encore humide de la sueur des fesses du précédent occupant.
Deux heures plus tard, pas de chance, je retombe sur le même con en train de pérorer avec un autre con devant ce monument dégueulasse qu'on appelle la gare Saint-Lazare. Ils bavardochaient à propos d'un bouton. Je me dis : qu'il le fasse monter ou descendre son furoncle, il sera toujours aussi moche, ce sale con.