J’imagine une étendue blanche, de la neige en abondance, de la glace qui coule du nez. Même ma bière est gelée. Je me rabats sur un verre de rhum ou mieux, une bouteille de vodka glacée. A ces températures extrêmes, il faut savoir survivre en milieu extrême pour rentrer dans « l’hiver de force ». Mais comment tourner les pages à ces températures-là, lorsque mon majeur devient tout bleu. Voilà une question que je me pose, de force ? Mais ce n’est pas la seule. Qui est ce Réjean Ducharme que je découvre ici. Un récit alambiqué, sorti de son alambic, même en suçant la tire, j’ai pas tout compris. Je ne suis donc pas encore prêt à recevoir mon passeport québécois. En plus j’ai pas l’accent, et j’arrive même pas à comprendre Céline Dion quand elle braille.
J’ai pas tout compris, certes. La lecture fut parfois complexe, ardue même, face à tant d’élucubrations huluberluesques. Pourtant, j’ai aimé. J’ai été sous le charme de Ducharme. Cela doit faire partir d’une sorte de rite initiatique qu’ont les québécois, pour nous autres français, avant d’oser nous accepter. Il faut passer par Réjean Ducharme si tu veux faire partie de cette confrérie des buveurs de broue - et d’Unibroue. Comme celui d’écouter Robert Charlebois.
Le charme de la frette. Mais aussi celui de la plume – de lagopède à queue blanche – et de l’auteur. Il y a une telle musicalité dans sa prose, avec ces deux héros perdus dans ce monde trop civilisé capables d’écouter pendant des heures sur leur mange-disque l’album blanc des Beatles. Moi, pendant que je poursuis ma lecture, des mélodies trottent dans ma tête, genre « Je reviendrai à Montréal, Lindberg » ou « La complainte du phoque en Alaska ». Phoque, je serais bien sortie prendre l’air, la graine au vent, mais elle risque de geler… Alors, je me réchauffe des aventures d’André, d’après ce que j’ai compris, un double littéraire de Réjean, ce qui me fait penser que l’auteur est un doux rêveur, même en hiver, parce que quoi de plus beau que de regarder cette étendue presque vide d’homme mais chargée en âme.
« Hey poupée, t’irais pas me chercher une bière dans l’frigo ? » Tabarnak, ça serait quand même sympa de ta part… le temps que je finisse cet extravagant roman du terroir de Montréal avant que finisse le cul gelé sur la banquise avec le gosier asséché. C’est que je ne voudrais pas manquer le char de ces deux aventuriers, correcteurs de métier, dans ce monument de la littérature québécoise. Ils sont à la rue ou presque. Ils sont comme des losers, ou presque, pendant que leurs amis réussissent outrageusement leurs vies. Mais, je crois surtout qu’ils sont heureux comme ils sont, belle philosophie de la vie, le genre à apprécier le silence quand celui-ci s’impose, genre face à l’amour ou à la vue d’une banquise, dans le frette. Genre le fonne c’est platte. Et c’est en ça que j’ai apprécié cette lecture hivernale.
Lien :
https://memoiresdebison.blog..