Citations de Rémy Oudghiri (42)
Faisons une pause. Étendons-nous sur le sol et laissons nos pensées se mouvoir au rythme des métamorphoses des nuages.
Isolés, nous serons meilleurs, écrit Sénèque. Dans la solitude, nos idées gagnent en continuité, car nous prenons le temps de chasser les incohérences héritées du manque de concentration qui domine la vie affairée.
Intervenir dans le monde est peut-être inutile. L'individu n'a pas de prise sur l’enchevêtrement des petits et grands conflits qui opposent les hommes. Quoiqu’il fasse, il ne pourra rien changer. Dans ces conditions, la seule alternative consiste à vivre paisiblement à l’écart de l'agitation mondaine et de jouir de ces instants de beauté simple qui viennent, de temps en temps, s'offrir à lui.
Accepter de fuir le monde et résider dans ses marges, en s'effaçant, peu à peu dans le paysage.
Ce temps que nous cherchions sans le savoir, c'est celui qui nous manquait, celui qui donne un sens à ce que nous faisons le reste de nos jours, celui sans lequel notre vie n'aurait pas la même saveur, celui que nous renonçons à connaître, par négligence ou par habitude, alors même qu'il pourrait nous rendre plus heureux. Grâce aux microfugues, cet autre temps est là, tout près, à notre portée.
La microfugue est l'art de créer et d'accueillir cet imprévu. Plutôt que de nous acharner à supprimer les imperfections du système - les pannes, les retards, les interruptions, les bifurcations, les chemins qui ne mènent nulle part - nous ferions mieux de modifier notre regard et d'envisager celles-ci comme des ouvertures. Une panne est peut-être l'occasion d'une échappée, et une annulation, la promesse d'un temps pour soi. Un contretemps n'est pas toujours un obstacle mais une possibilité de voir les choses autrement.
C’est que, contrairement à l’opinion commune, la fréquentation des cimetières ne renvoie pas à la mort, mais à la vie. Tel est le secret bien gardé de ces nécropoles négligées : on s’y sent plus vivant que nulle part ailleurs.
Un verre de vin pour commencer et me voilà déjà sur d'autres rives, seul sur mon île. Dehors, il fait gris et pluvieux. Derrière la vitre, les passants se bousculent. Je regarde ces vies passer au hasard, et, songeur, j'imagine des débuts d'histoires. Au bout d'un certain temps, les histoires s'enchevêtrent, dans mon imagination et, flottant comme une barque sur l'eau, je pars à la dérive.
Au milieu des rares clients, je me laisse peu à peu bercer par la musique de fond et les conversations. Mon esprit aidé par le vin ou l'inspiration, se met à vagabonder (...) j'ignore ma destination et cette pensée me fait du bien. Je laisse une délicieuse euphorie m'envahir : le plaisir de déjouer les règles.
Nous sommes devenus un pays de barrières, de clôtures. On ne peut pas s'empêcher d'essayer de les franchir.Si vous voulez vous débarrasser de vos téléphones portables, des panneaux publicitaires, des autoroutes, alors je pense que l' Alaska est probablement la dernière frontière.
- Sean Penn
Quand je sors de chez moi, c’est ce qui me procure d’emblée une folle énergie : ne pas savoir où je vais. Une fois dans la rue, je ne porte plus de prénom ni de nom, je ne suis plus l’élève, le copain ou le fils, juste un promeneur anonyme qui se fond dans le paysage. Mes premiers pas sont fabuleux. Tout est ouvert. La magie à cet instant, c’est ce chemin que j’emprunte sans me poser de questions. Parce qu’une direction semble m’avoir appelé, très vite le désir d’aller dans le sens contraire s’impose à moi. Je ne le sais pas encore, mais là réside mon plus grand plaisir : me dérober à mon destin.
Le questionnaire
Vous arrive-t-il de marcher au hasard, sans itinéraire précis ?
Si oui, que recherchez-vous quand vous marchez au hasard ? Que ressentez-vous ?
Qu'est-ce que vous aimez quand vous marchez au hasard ?
Vous arrive-t-il de sortir de chez vous ou de votre lieu de travail exprès pour marcher au hasard ?
Dans quelle situation, le plus souvent, cette envie naît-elle en vous ?
À quand remonte cette envie chez vous ? Êtes-vous capable de dire quand et comment cela a commencé ?
Dans quels lieux aimez-vous marcher au hasard ?
Aimez-vous le faire dans un cimetière ? Pourquoi ?
Vous est-il déjà arrivé de le faire avec quelqu'un ?
Parlez-vous aux autres de cette pratique qui est la vôtre ?
Si oui, comment la considèrent-ils ?
Avez-vous rencontré des personnes qui, comme vous, aiment marcher au hasard ? Si oui, savez-vous pourquoi elles le font ?
Pensez-vous qu'il existe beaucoup de gens qui, comme vous, marchent au hasard ?
À quoi ressemble pour vous la promenade au hasard idéale ? Pourriez-vous la décrire en quelques phrases ?
Pour moi, « marcher » est un verbe intransitif. Ce qui est important, c'est l'acte de marcher ; le but, je n'y pense pas. C'est comme les sportifs qui disent qu'ils veulent courir. Leur but n'est pas d’aller quelque part, c'est juste de courir.
- Pensez-vous que nous sommes nombreux à aimer marcher au hasard ?
- Oh, c'est très difficile à savoir. Je pense qu'il y a beaucoup de gens qui flânent. Mais de personnes qui marchent vraiment au hasard, je ne crois pas. Dans la société actuelle, on ne fait rien sans avoir un but. Faire des choses sans but, c'est un peu bizarre, non ? Et les gens bizarres, d'après moi, il y en a peu.
Au Père-Lachaise, il aimait s'établir sous les tilleuls, dans la partie la plus haute, où l'on voit tout Paris. Les families, m'assura-t-il, ne venaient jamais jusque-là. C'était un endroit silencieux où il venait souvent lire toute une matinée.
- La vie m'intéresse assez peu. La mort, elle, ne me fait pas peur. Dans un cimetière, je me sens chez moi. Je suis en compagnie d'hommes et de femmes qui ne peuvent plus parler. Autour de moi, les gens m'ennuient. Jusqu'à mes propres amis ; je les supporte de moins en moins.
- Mais pourquoi donc ? lui demandai-je.
- Ils disent de plus en plus de conneries.
Dans Ies cimetières, au moins, cela ne cause pas. Les cimetières, c'est très apaisant.
Un jour, je lis dans un livre de poche, trouvé par hasard dans la bibliothèque de mes parents, les contes du vide parfait de Lie-Tseu. L'un de ces contes évoque la promenade et affirme qu'il existe deux sortes de promeneurs : ceux qui se promènent pour se distraire et ceux qui se promènent pour méditer. Les uns se concentrent sur les paysages qu'ils traversent et tentent de ne faire plus qu'un avec eux ; les autres se tournent vers eux-mêmes, oublieux du monde extérieur, dans un effort de concentration maximum.
Mais il existe une troisième voie, précise le conteur taoïste : « Le promeneur parfait marche sans savoir où il va, regarde sans se rendre compte de ce qu'il voit. Aller partout et regarder tout dans cette disposition mentale, voilà la promenade et la contemplation parfaites. »
En lisant ce conte, je pense que c'est peut-être cela que je cherche dans les petites rues anonymes de l'0asis. Marcher sans but, regarder sans vraiment voir, être nulle part en particulier et cependant atteindre une forme de plénitude. Est-ce donc cela la « vie parfaite » : errer, se laisser porter au hasard sans se perdre, atteindre un rythme - celui qu'évoque Lie-Tseu - et le préserver le plus longtemps possible ?
Ai-je eu si tôt l'intuition qu'il ne sert à rien d'aller très loin pour mener à bien l'étrange exploration qui est la mienne ? Ce n'est en tout cas ni l'exotisme, ni l’aventure, ni la surprise, que mes pas poursuivent avec obstination.
En somme, rien d'autre ne compte que le mouvement. Le mouvement à l'état pur : aller par-ci, par-là, sans me poser aucune question. Comme les arômes d'une plante au printemps, tous mes sens se libèrent dans l'élan de mes pas : mon corps progresse à un rythme qu'il apprend peu à peu à maîtriser, mon imagination s’évade où la conduisent ses désirs et ses rêves, mes yeux s’enrichissent des détails les plus insolites et les plus insignifiants, mon odorat s'imprègne des parfums mêlés du bitume et des fleurs, mes oreilles s’exercent à reconnaître le bourdonnement incessant de la vie.
Je ne suis pas sûr de chercher la sortie. Qu'il est bon d'errer sans motif! Qu'il est doux de se faufiler comme un chat dans ces rues noyées d'ombre! Qu'il est galvanisant de longer ces foyers invisibles qui enflamment l'imagination! J'aimerais être un oiseau pour me poser aux rebords des fenêtres. Ecouter la rumeur de chaque villa. Changer de voisinage. Pénétrer d'autres vies. Saisir des bribes des conversations dans les jardins. Ouvrir une porte vers l'inconnu. Voir se croiser tous les destins. Et faire durer, le plus longtemps possible cette sensation.
C'est mon défi.
Pour toutes ces raisons, une phrase d'André Breton a toujours fait mon bonheur : "Le jour ne devrait jamais faire que pointer." (p. 77)
On ne saurait plus sûrement échapper au monde que par l'art et l'on ne saurait plus sûrement s'unir à lui que par l'art.
Goethe
La déconnexion vécue par Thoreau dans les bois de Walden marque une étape fondatrice dans la vie d'un individu. Elle a une fonction régénératrice. À nous, contemporains, elle enseigne à se méfier des modes de vie dominants. Elle nous incite à les regarder sous un angle critique et à nous poser une simple question : Suis-je vraiment certain que ces modes de vie contribuent à mon épanouissement ?
La déconnexion est la condition d'un processus de renaissance à la vie réelle.
Le sentiment qui prédomine, lorsqu'on déconnecte, est que l'on reprend le contrôle. Tout redevient à échelle humaine. L'impression d'être dépassé, la sensation de perdre le fil, l'intuition que nous n'avons plus de prise sur la réalité, toutes ces idées qui nous habitent d'ordinaire s'atténuent. On y voit "plus clair". La déconnexion est une étape indispensable pour ceux qui cherchent à retrouver la maîtrise de leur existence. A ceux qui vient stressés, sous la pression de l'urgence, bousculés par l'accélération, la déconnexion apparaît comme une idée d'avenir.