Par le hasard de la vie, j'ai croisé sur mon chemin
Rémy Oudghiri qui a eu la gentillesse de m'offrir et dédicacer son essai sociologique sur les marcheurs solitaires.
Pour quelqu'un qui aime de manière obsessionnelle la lecture (que ce soit la littérature jusqu'au besoin de posséder l'objet livre), les moments solitaires ne sont pas angoissants, bien au contraire. Et marcher en solitaire va de pair, au gré de mes envies et de mon temps (en forêt, près de la mer, dans des petits quartiers parisiens ou loin de la capitale, avec -quel que soit le programme- un livre dans ma besace).
J'étais alors bien curieuse de découvrir le texte de ce sociologue (dans ces précédents livres, les moments solitaires n'étaient pas si loin (‘' habiter l'aube'', ‘'petite éloge de la fuite hors du monde''…)).
Pour avoir lu quelques essais sociologiques, j'étais un peu formatée à ce type d'essai. Ce fut donc une agréable surprise de voir, dès les premières pages, que l'auteur ne se limitait pas au style universitaire et savait (s'af)franchir (de) ce cadre. Il s'agit plus d'une ‘'exploration'' du monde des marcheurs solitaires, une sorte de pérégrination d'un marcheur à la rencontre des autres marcheurs, ceux qui partagent la même activité, les mêmes plaisirs, le même besoin.
Il introduit son étude en parlant de son cas personnel, de son goût des marches solitaires et, plus exactement, des marches ‘'au hasard'', où on finit par se perdre avec bonheur, par découvrir des rues, des quartiers inconnus, surprendre des épisodes inattendues de la vie, croiser les autres, ressentir des émotions intenses en observant les mouvements de la ville, l'atmosphère d'un lieu (comme celui des cimetières), et comme il l'a dit, découvrir « la poésie du quotidien ».
Et c'est de ce goût, ce besoin de flâner, d'errer, de marcher ‘'au hasard, sans itinéraire précis'' qu'il a eu l'envie de rencontrer d'autres marcheurs afin de répondre à son interrogation : était-il un des rares à pratiquer cette activité jugée peut-être étrange pour certains (pour ceux qui n'ont pas le temps, ceux dont toute la journée est programmée) ou étaient-ils plus nombreux qu'il ne le pensait ? Ce type de marcheurs constituent selon lui, une ‘'société secrète'' car ils pratiquent une activité dont on parle peu ou pas à son entourage (car trop intime, pouvant paraître ‘'anodine'' et sans importance pour les autres,…)
Ce texte est le récit de cette étude (sous forme d'entretiens qualitatifs), peut-être en germination intérieure depuis quelques années. Ces entretiens ont été réalisés auprès de marcheurs solitaires, découverts-pour la majorité- au gré du hasard dans la rue en leur demandant à brûle-pourpoint « Aimez-vous marcher au hasard ?».
Chacun des chapitres relate la rencontre et l'entretien avec ces marcheurs, chacun identifié par sa personnalité et son attitude vis-à-vis de la marche (‘le romantique', ‘l'émerveillée', ‘le fugitif', etc.).
Rémy Oudghiri ne se contente pas de relater les rencontres et d'analyser les caractéristiques des différents marcheurs. L'auteur ne reste pas neutre et montre ses diverses émotions, ce lien qu'il ressent lorsque l'autre marcheur mentionne une sensation, un état proche du sien, ou encore un livre, un écrivain dont il fait référence. Certains d'entre eux mettaient pour la première fois des mots sur leurs marches solitaires. Et c'est comme s'ils prenaient conscience de toute l'importance de ces marches dans leur vie.
Au fil de son enquête de terrain, comme des introductions à chaque rencontre, l'écrivain insère des passages plus personnels, des moments de sa vie adolescente, à Casablanca, où le goût de la marche ‘'errante'' est né, poursuivi à Paris. Dans ces passages plus intimes coule sans conteste la poésie du quotidien.
Ces différents moments ‘'émotionnels'' crée une sorte d'interaction avec le lecteur qui se projette dans ces entretiens et ces moments de marche solitaire. Etonnamment, la lectrice-marcheuse que je suis (même si je suis loin d'être une marcheuse « au hasard » comme ceux rencontrés par l'auteur), s'est identifiée à certains de ces marcheurs(ses) par un mot, une sensation, une image.
Comme il m'a paru étrange de découvrir tous ces personnes aux besoins, aux caractères, aux pratiques différents et d'avoir néanmoins l'impression de les comprendre, de faire un peu partie de leur monde, par les émotions que ces marcheurs ressentent, ce sentiment de liberté qu'ils éprouvent en marchant ‘'au hasard'', ces moments de connexion avec l'environnement, d'introspection ou d'oubli des tracas du quotidien, les évocations d'auteurs qu'ils lient avec leur pratique et que j'affectionne :
Aragon, Auster,
Eluard, etc. Peut-être aurais-je aimé que l'un d'entre eux cite
Frégni ou Bobin, ces auteurs qui chérissent également la beauté qui nous entourent, la nature, ces petits riens du quotidien et dont ils connaissent et nous montrent la valeur. La brise du vent dans les arbres, un chat se prélassant au soleil, l'odeur du premier café du matin, la lumière d'un soir couchant…
Pour ma part, je prends souvent mon appareil-photo (ou dégaine mon portable) pour capturer ‘'le beau'', ces instants qui font naitre une émotion ou encore d'autres plus ‘'insolites'', ces couleurs, ces bâtisses magnifiques, les arbres nus d'une forêt sous la neige. Ce sont ces moments qui nous transportent loin de notre quotidien fade et répétitif, comme un temps suspendu. A moins qu'ils ne réussissent à rendre ce quotidien plus lumineux.
J'ai dévoré ce texte en deux jours, happée par les balades et rencontres de
Rémy Oudghiri, happée par le plaisir évident de ces marcheurs à parler de ces moments si importants, si vitaux à leur vie… Comme si on entendait battre leur coeur tandis qu'ils évoquaient ces moments particuliers.
Et en refermant ce livre, je me suis également dit qu'il fallait que je remercie à nouveau Rémy car ce livre est un véritable cadeau à la vie. Il rappelle ces petits moments du quotidien qu'il faut savoir apprécier, rechercher, vivre. En refermant ce livre, j'avais une furieuse envie de profiter autrement de ces jours de congés pour déambuler dans les villes de mon programme estival en lâchant le plan et le GPS, quitte à sortir de mes habitudes rassurantes, et prendre des chemins de traverse, ceux qui peuvent révéler bien des trésors, nous faire éprouver une incroyable euphorie, ou encore une étrange quiétude, les pieds bien ancrés à la terre.