Citations de René Bazin (116)
C'était la plénitude de l'été, la saison ivre, où la vie, nuit et jour, roule sous les étoiles, afin que l'homme la boive.
Les filles comme moi, mademoiselle Henriette, ça épouse le malheur, et c'est des noces qui tiennent dur.
Pauvre femme ! Elle avait déjà perdu en mer son père et son mari : son père, simple pêcheur de sardines, sombré comme tant d'autres, pour un petit tourbillon de vent passant sur la flottille ; son mari, capitaine d'un sloop caboteur, qui s'en allait acheter des homards sur la côte d'Espagne. Tous ils vivaient de la mer, tous ils sont morts par elle.
S'il meurt, il ne saura pas,du moins, qu'il a perdu .La gloire avant le glas ! Il vit encore,Gérard. Il survivra peut être.Mais s'il s'en va ,Yveline, bravant l'idée qui la déchire, se doit de protester:
Non , Francine ! Il aura gagné ! Il n'a jamais été vieux!
Les ténèbres cependant n’étaient pas entières. Il y avait là-haut, dans le gris du ciel, des traînées plus pâles, des mailles claires continuellement déformées et brisées par le mouvement des nuées, et que reflétait au passage la surface des eaux : non plus seulement celle des fossés, mais la nappe elle-même des prés, inondés par les pluies d’hiver, changés en autant de lacs, d’où émergeait à peine le dos rond des talus. Toute lueur était multipliée. L’ombre avait des remous de clarté. Et cela permettait à André de ne pas se tromper de route. La yole suivait les canaux qui se coupent à angle droit. Elle n’avançait que lentement, contrariée par les aiguilles de glace, que le froid formait et lançait en gerbes autour des herbes et des cailloux du bord.
L’après-midi de ce dimanche d’automne fut marqué par une paix plus profonde encore qu’à l’ordinaire. L’air était tiède ; la lumière voilée ; le vent, qui s’était levé avec la mer et poussait plus loin qu’elle sa marée, en traversant l’immense plaine herbeuse, ne récoltait pas un bruit de travail, pas une plainte de charrue, pas un heurt de pelle, de marteau ou de hache. Les cloches seules parlaient haut. Elles se répondaient les unes aux autres, celles de Sallertaine, du Perrier, de Saint-Gervais, de Challans, qui a une église neuve pareille à une cathédrale, de Soullans caché dans les arbres des terres montantes.
Le vent les poussait d’un même mouvement, vers les côtes prochaines. Avec la lenteur d’un vaisseau chargé, il emportait, vers la mer vivante, le baiser de la vie terrestre, le parfum et le tressaillement des végétations, les graines envolées, les germes mêlés de poussière, qui tombaient çà et là en pluie mystérieuse, le cri d’innombrables bêtes, qui n’ont guère d’autre témoin que lui et qui chantent dans les forêts de l’herbe. Un contentement passait, une marée tranquille et féconde, qui allait rejoindre l’autre, et courir sur elle, et répandre jusque dans les solitudes du large l’odeur des moissons de France.
Les semaines les plus sombres de l’année étaient venues. Tout le jour et toute la nuit, les nuages de grande pluie passaient, se succédant presque sans intervalle. La mer avait mis en eux la vie et la nourriture pour des milliards d’épis, et de fleurs, et d’arbres, et d’hommes, pour plus de plantes et d’êtres vivants qu’il n’y en avait sur la terre. Elle avait commandé au vent : « Distribue les forces, et ce qu’il y a de trop reviendra dans l’abîme pour en sortir de nouveau ». Et le vent mouillait les pays du Nord.
Bientôt les pluies commencèrent à tomber. Les grands labours, pendant des semaines, occupèrent et lassèrent les hommes, les chevaux, les boeufs. Le jour se leva plus tard et s’abîma plus vite dans des brouillards qui se tenaient, tout l’après-midi, roulés à petite distance des champs où l’on travaillait, et qui déferlaient, dès que le soleil faiblissait. Puis l’époque vint de récolter les betteraves. Dans les terres détrempées, Gilbert et ses camarades conduisaient maintenant les chariots à quatre roues, remplis de betteraves, jusqu’à la sucrerie d’Onnaing. Les six boeufs nivernais n’étaient pas de trop pour arracher la voiture aux ornières que l’énorme poids creusait sous le cercle de fer des roues. Il fallait s’arrêter pour faire souffler les bêtes.
Du bout des doigts, il effaça la buée qui s’était amassée sur la vitre de la fenêtre, et regarda du côté de l’avenue, comme si une voiture arrivait. Mais la solitude était complète. L’ombre confondait les prairies, les champs, les limites, et il n’y avait plus que deux royaumes, où elle régnait inégalement, la terre toute soumise à son pouvoir, et le ciel où un peu de lumière la combattait encore.
Et moi, je ne commande pas une école, je commande des soldats. Je ne leur demande pas d’être des saints ni d’être de mon avis, attendu que je ne leur dis pas ce que je pense. Je leur demande d’obéir, de bien marcher, de n’avoir pas peur. Le reste ne me regarde pas. Je suis de l’ancienne armée, moi, de l’armée qui allait au feu parce que c’était le devoir, qui avait faim, soif, chaud, parce que c’était le devoir, le devoir, entendez-vous ?... Et ça suffit.
« Aux travailleurs de la terre !
Camarades, depuis des années et des années, depuis des siècles et des siècles, nous sommes courbés du matin au soir, sur la terre, sans réfléchir à notre sort, sans regarder autour de nous, persuadés, d’ailleurs, qu’on ne peut faire autrement que de se donner une peine immense pour manger un morceau de pain. »
L’auditoire laissa passer l’exorde sans manifester aucun sentiment. Il connaissait le début ; il en était las déjà. Ravoux reprit :
« Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire ! Posons-nous donc ensemble cette question, et répondons-y franchement :
Qui produit le blé, c’est-à-dire le pain pour tous ? Le paysan !
Qui fait venir l’avoine, l’orge, toutes les céréales ? Le paysan !
Qui élève le bétail pour procurer la viande ? Le paysan !
Qui produit le vin, le cidre ? Le paysan !
Qui nourrit le gibier ? Le paysan ! »
Voilà qui est vrai ! Le gibier ! oui le gibier !
Tais-toi, Lamprière. N’y en a plus, de gibier, grâce à toi et à Supiat.
Laisse le président continuer !
« En un mot, vous produisez tout ! Que produit votre fermier général ou votre propriétaire ? Rien ! »
10 mars 1916. Le caractère apocalyptique, le trait satanique de cette guerre se dévoile de plus en plus.
30 juillet 1918. Je reviens de visiter la mère Hamelin. Elle nous a parlé de ses deux gars, un cavalier, un infirmier, qui n’en peuvent plus.
Ô mon Dieu, cette victoire, quand nous n’avons plus de forces, donnez-la vite ! Il n’y aura bientôt plus que des mères, des veuves en deuil, des vieux, des enfants et des étrangers sur le sol.
12 mars 1916. Castelnau réunit un conseil de guerre, prend sur lui de remplacer le général en pleine bataille. Il appelle Pétain, se rend compte des positions, ordonne de tenir. C’est par un homme de grande piété que Dieu devait rétablir nos affaires.
La lumière est une voyageuse. Elle ne s'arrête pas. Quand elle revient au même point de l'espace, ou à peu près, vingt-quatre heures plus tard, elle ne retrouve jamais les heures plus tard, elle ne retrouve jamais les choses tout à fait dans le même ordre. Si ce sont des feuilles, que de vie en un jour, et que de mort, et que d'attitudes changées ! Si c'est une plaine de sable, elle a remué. Si c'est la mer, où sont les vagues de la veille ? Et, puisqu'il y a du ciel au-dessus de tous les horizons, qui peut parler d'immobilité dans ce champ de course prodigieux, où se précipitent et se mêlent tous les maîtres de la vitesse et de vol, le rayon, le vent, le nuage, la poussière, et tant d'autres puissance inconnues, qui renouvellent le sang et la sève et, plus haut que nous, la couleur de l'espace ?
Il était nivernais, du pays où les volontés sont fortes, violentes même, mais où le visage est froid et la langue souvent muette
Nous accourons. L'un après l'autre, nous apparaissons sur les marches du petit escalier du Pullman: mille, deux mille personnes peut-être se pressent sur le quai de la gare; hommes, femmes, enfants, tous nous tendent les mains; tous essayent d'approcher; tous crient: «Vive la France! Vivent les Français! Parlez-nous! Parlez-nous! Vive la France!» Je ne sais plus ce que j'ai dit. J'ai crié: «Vive le Canada!» Je crois que j'ai promis de revenir! Déjà! Les visages étaient de ceux que j'ai toujours connus. Les yeux brillaient d'une amitié sans étonnement, qui est celle de la race.
Quand j'ai demandé:
—Où sommes-nous?
—Saint-Jean! Et vive la France! m'ont-ils répondu.
« Le monde change d'aspect quand on arrive à ne plus considérer les hommes que comme des âmes en route vers leur destinée éternelle »
Jamais la paix de la campagne d'Alsace n'avait été si grande qu'en cette fin de jour, ni dans cette vallée; jamais les coeurs ne s'étaient ainsi refusés à la recevoir; jamais non plus, depuis qu'il commandait au Baerenhof, c'est-à-dire depuis huit années que son père était mort, on n'avait vu le maître des plus beaux blés de la vallée, qui en produit peu, Victor Reinhardt, laisser les travailleurs, ses voisins, ses amis, achever seuls de couper la moisson.
Le matin, une petite fille venait de naître, dans cette ferme aux longs toits, encapuchonnée contre la neige et le vent, et qui est bâtie sur un plateau de terres de labour, au sud de la ville de Massevaux. Elle naissait pour être éprouvée, comme les autres créatures, par la peine et le travail, mais aussi pour louer Dieu.