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Citations de René Bazin (116)


La maison n'avait qu'un étage et une fenêtre, comme ses voisines. Toussaint Lumineau poussa la porte, et entra dans une salle de café meublée de tables de bois blanc, de tabourets de paille et d'une armoire vitrée, où étaient rangées des bouteilles de liqueurs entamées et, en bas, des assiettes de viandes froides entre deux boites de gâteaux secs. Il n'y avait là personne. Lumineau se planta droit au milieu de l'appartement. Une sonnette, mise en mouvement par l'entrée du métayer, continuait de s'agiter, fêlée, de plus en plus faible. Avant que le carillon eût cessé, une seconde porte s'ouvrit en face de la première, le long du buffet ; un coup de vent souffla des odeurs de cuisine , et une femme coiffée en cheveux s'avança, clignant des yeux et se balançant sur ses hanches. Bien qu'il se trouvât à contre-jour, elle reconnut aussitôt le visiteur, rougit beaucoup, laissa tomber le coin de son tablier qu'elle tenait de ses deux mains croisées, appliqué sur son ventre, et s'arrêta net.

-Oh ! dit-elle, le père ! En voilà une surprise ! Depuis le temps qu'on ne s'est vu !
-Oui, c'est vrai : il y a longtemps.
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Il ne faut jamais hésiter à demander les postes où le danger, le sacrifice, le dévouement sont plus grands : l’honneur, laissons-le à qui le voudra, mais le danger, la peine, réclamons-les toujours. Chrétiens, nous devons donner l’exemple du sacrifice et du dévouement. C’est un principe auquel il faut être fidèle toute la vie, en simplicité, sans nous demander s’il n’entre pas de l’orgueil dans cette conduite : c’est le devoir, faisons-le, et demandons au Bien-Aimé Époux de notre âme de le faire en toute humilité, en tout amour de Dieu et du prochain…
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Cette douceur de la solitude, je l'ai éprouvée à tout âge, depuis l'âge de vingt ans, chaque fois que j'en ai joui. Même sans être chrétien, j'aimais la solitude en face de la belle nature, avec des livres, à plus forte raison quand le monde invisible et si doux fait que, dans la solitude, on n'est jamais seul. L'âme n'est pas faite pour le bruit, mais pour le recueillement, et la vie doit être une préparation du ciel, non seulement par les oeuvres méritoires, mais par la paix et le recueillement en Dieu. Mais l'homme s'est jeté dans des discussions infinies : le peu de bonheur qu'il trouve dans le bruit suffirait à prouver combien il s'y égare loin de sa vocation.
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Si vous saviez combien je désire finir ma pauvre et misérable vie, si mal commencée et si vide, de cette façon dont Jésus a dit, le soir de la Cène, "qu'il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ce qu'on aime" ! J'en suis indigne, mais je le désire tant ! Les bruits de guerre reprennent... c'est un état très doux pour l'âme : se sentir toujours si près, si au seuil de l'éternité, c'est une douceur extrême et en même temps cela est bon pour l'âme.
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Un parfum de forêt mouillée s'élevait vers le ciel calme et laiteux. Il ne faisait pas de brise ;aucun oiseau ne chantait ; la campagne semblait uniquement attentive aux dernières gouttes, formées pendant la nuit , et qui s'écrasaient au pied des arbres avec des vibrations de métal. Quelque chose avait dû mourir , dont le monde demeurait accablé. Et , en effet, sur les collines de Challans, au large de la Fromentière, le grincement lointain d'une charrue, les appels d'un toucheur de boeufs, disaient le commencement des labours d'automne.
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Rien ne caractérise mieux cette manière que ces duos d’amour, dansés tantôt par un homme et une femme, tantôt par deux gitanes, et qui succèdent aux figures d’ensemble. Les amoureux s’écartent, se rapprochent, passent avec une œillade, s’évitent d’un tour de rein, ne se touchent jamais, et se parlent tout le temps, font un dialogue avec des attitudes, des regards, des sons de castagnettes, – mâles et femelles d’après le timbre, – avec le geste du pied, de la main, et l’arc changeant des lèvres. La guitare et la mandore pleurent langoureusement. Un tambour de basque se démène endiablé, et toutes les bohémiennes qui ne dansent pas, celles aussi venues en curieuses et qui assiègent la porte, ponctuent le fandango de cris aigus. Les olé ! pleuvent. Des phrases entières partent dans un éclat de rire. Bah ! les étrangers ne comprennent pas. J’ai saisi au vol deux ou trois de ces exclamations, que chacune lance au hasard. Elles disaient : « Vive la mère qui t’a enfanté ! », ou bien « Bobadilla, trois minutes d’arrêt ! », ou bien « Voyez cette belle Encarnacion, monsieur, monsieur ! » C’est à la fois burlesque, truqué, naïf et d’un art indéniable.
J’ai dit que ces bohémiens de l’Albaycin étaient très apprivoisés. Avec quelques bravos, un compliment, plusieurs bouteilles de vin blanc discrètement demandées, et que les bohémiennes, d’ailleurs, avaient bues « à la France », j’avais cru comprendre que nous jouissions d’un commencement de réputation auprès de la troupe de D. Juan Amaya. J’en fus assuré par lui-même, au moment des adieux. Une Française et son mari étaient entrés dans la salle, pendant les danses. Quand ils se levèrent pour partir, le capitaine s’approcha de moi, et me dit, avec une dignité affectueuse :
– Monsieur, les gitanos et les gitanas sont touchés de vos bons procédés. Ils vous proposent, pour vous marquer leur gratitude, d’exécuter devant vous quelques pas qui ne se dansent pas devant les dames.
Je remerciai D. Juan Amaya, et je rentrai dans Grenade.
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Parvenu au point culminant du chemin, et près de descendre vers la Genivière, Pierre Noellet arrête un instant la Huasse, et se dresse, les yeux tournés à droite, vers une masse sombre comme une tache noire dans le crépuscule. C’est le château de la Landehue dans l’ombre de ses grands arbres. Un point ardent brille à l’une des fenêtres : « Ils sont arrivés ! » pense le jeune gars. Ses yeux s’animent, il sourit. Pourquoi ? une joie d’enfant, des souvenirs qui lui reviennent. Ç’a été si triste, tout l’été, de voir cette maison fermée, sans maître, sans vie. Pour la première fois, M. Hubert Laubriet a passé la belle saison loin de la Landehue. Dès lors, plus de train de voitures et d’invités, plus de chasse, plus de fanfares, plus rien. Mais les hôtes du château sont revenus, et la preuve en est sûre.
Pierre Noellet est content, et, talonnant la Huasse, il se met, pour s’annoncer, à siffler une chanson du pays.
Au même moment, M. Laubriet entrait dans la cour de la Genivière, formée par trois bâtiments : la grange le long du chemin ; puis, perpendiculaires à cette première construction, et séparées d’elle par un large passage, l’habitation du fermier d’un côté, l’étable et l’écurie de l’autre. Du dernier côté, rien ne fermait la vue : c’étaient des cimes d’arbres descendant le ravin de l’Èvre, et, par-dessus, la vallée ouverte.
Le châtelain aimait le site de la Genivière, métairie qui avait jadis appartenu à la famille de sa femme, il aimait surtout le métayer, un des hommes les meilleurs et les plus riches du pays. Il allongea son visage maigre et fin, encadré de favoris gris, au-dessus de la demi-porte d’une pièce, tout à l’extrémité de la maison.
– Bonjour, métayère ! dit-il.
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Il n'est pas douteux que la foi à l’Église et à la morale chrétienne avait été rejetée. Avait-elle disparu? C'est une autre question, et je crois plutôt qu'elle se tenait très loin, invisible, comme une terre qu'un navigateur a abandonnée, où il a la ferme intention de ne pas revenir, mais dont il sait qu'elle existe, dont il aime encore, sinon les jours qu'il y a passés, du moins plusieurs des habitants qui vivent là, et qui sont de cette patrie ancienne. Tant qu'on aime un chrétien, on aime encore un peu le Christ qui l'a formé.
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- Je serai bientôt débarrassée de ma jeunesse... Je suis contente. Il faut que je ne compte plus...
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Des mots qu'on avait point entendu depuis un siècle montaient sous les taillis ou entre les haies. Quelques très vieux arbres avaient frémi, jadis, au passage de mots semblables. On disait : « Les intérêts communs des ouvriers... plus d'isolement... les individus sont faibles;... groupons-nous pour soutenir nos droits; … formons une caisse, nous abandonnerons chacun une part de nos salaires. » On disait : « L'avenir est au peuple. La démocratie va créer un monde nouveau... Le droit au pain, le droit à la retraite, le droit de partager... 
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Comment n'es-tu pas devenu Allemand?
- Je le suis moins que vous.
- Ce n'est guère.
- Moins que vous, parce que je les connais mieux. Je les ai jugés par comparaison.
- Eh bien?
- Ils nous sont inférieurs.
- Sapristi, tu me fais plaisir! On n'entend jamais répéter que le contraire. En France surtout, ils ne tarissent pas d'éloges sur leurs vainqueurs de 1870!"
Le jeune homme, que l'émotion de M. Ulrich avait gagné, cessa de s'appuyer au dossier du canapé, et, penché en avant, le visage illuminé par la lampe qui rendait plus ardents ses yeux verts :
"Ne vous méprenez pas, oncle Ulrich : je ne déteste pas les Allemands, et en cela, je diffère de vous. Je les admire même, car ils ont des côtés admirables. J'ai parmi eux des camarades, pour lesquels j'ai beaucoup d'estime. J'en aurai d'autres. Je suis d'une génération qui n'a pas vu ce que vous avez vu, et qui a vécu autrement. Je n'ai pas été vaincu, moi!
- Heureux, va!
- Seulement, plus je les ai connus, plus je me suis senti autre, d'une autre race, d'une catégorie d'idéal où ils n'entraient pas, et que je trouve supérieure, et que, sans trop savoir pourquoi, j'appelle la France.
- Bravo, mon Jean! Bravo!" Le vieil officier de dragons s'était penché, lui aussi, tout pâle, et les deux hommes n'étaient plus séparés que par la largeur de la table.
"Ce que j'appelle la France, mon oncle, ce que j'ai dans le coeur comme un rêve, c'est un pays où il y a une plus grande facilité de penser...
- Oui!
- De dire...
- C'est cela!
- De rire...
- Comme tu devines!
- Où les âmes ont des nuances infinies, quelque chose comme une Alsace encore plus belle!"
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Une nouvelle année commença. L’hiver était pluvieux, mais il gelait toutes les nuits. On voyait, au matin, les fils d’araignée, tendus d’une motte à l’autre et couverts de brume glacée, remuer au vent comme des ailes blanches. La glèbe fumait au soleil tardif, et les ailes blanches devenaient grises. Les plus gros travaux de la campagne étaient suspendus. Les hommes des terres hautes abattaient quelques souches ou remplaçaient des barrières. Ceux du Marais ne faisaient plus rien. Pour eux, les vacances étaient venues. Les fossés et les étiers débordaient. la plupart des fermes, enveloppées par les eaux et comme flottantes au-dessus d’elles, n’avaient de communication avec les bourgs ou entre elles qu’au moyen des yoles remises à neuf, qui couraient en tous sens sur les prés inondés. C’était le temps joyeux des veillées et des chasses.
Le sol n’était cependant pas si dur qu’on ne pût le défoncer, et Toussaint Lumineau avait résolu, selon le conseil donné par Mathurin, d’arracher la vigne qui dépendait de la Fromentière, et que le phylloxéra avait détruite.
Le métayer et André montèrent donc jusqu’au petit champ bien exposé au midi, sur la hauteur dénudée que coupe la route de Challans à Fromentine. Ils avaient devant eux, et ne voyaient pas autre chose, sept planches de vieille vigne entre quatre haies d’ajonc, un sol caillouteux, et les ailes de deux moulins qui tournaient.
- Attaque une des planches, dit le métayer; moi, j’attaquerai celle d’à côté.
Et enlevant leur veste, malgré le froid, car le travail allait être rude, ils se mirent à arracher la vigne. L’un et l’autre, ils avaient causé d’assez belle humeur en faisant la route. Mais, dès qu’ils eurent commencé à bêcher, ils devinrent tristes et ils se turent pour ne pas se communiquer les idées que leur inspiraient leur œuvre de mort et cette fin de la vigne.
Lorsqu’une racine résistait par trop, le père essaya deux ou trois fois de plaisanter et de dire : « Elle se trouvait bien là, vois-tu; elle a du mal à s’en aller », ou quelque chose d’approchant. Il y renonça bientôt. Il ne réussissait point à écarter de lui-même, ni de l’enfant qui travaillait près de lui, la pensée pénible du temps où la vigne prospérait, où elle donnait abondamment un vin blanc, aigrelet et mousseux, qu’on buvait dans la joie les jours de fête passés. La comparaison de l’état ancien de ses affaires avec la médiocre fortune d’aujourd’hui l’importunait. Elle pesait plus lourdement encore, et il s’en doutait bien, sur l’esprit de son fils André. Silencieux, ils levaient donc et ils abattaient sur le sol leur pioche d’ancien modèle, forgée pour des géants. La terre volait en éclats; la souche frémissait; quelques feuilles recroquevillées, restées sur les sarments, tombaient et fuyaient au vent, avec des craquements de verre brisé; le pied de l’arbuste apparaissait tout entier, vigoureux et difforme, vêtu en haut de la mousse verte où l’eau des rosées et des pluies s’était conservée pendant les étés lointains, tordu en bas et mince comme une vrille. Les cicatrices des branches coupées par les vignerons ne se comptaient plus. Cette vigne avait un âge dont nul ne se souvenait. Chaque année, depuis qu’il avait conscience des choses, Driot avait taillé la vigne, biné la vigne, cueilli le raisin de la vigne, bu le vin de la vigne. et elle mourait. Chaque fois que, sur le pivot d’une racine, il donnait le coup de grâce, qui tranchait la vie définitivement, il éprouvait une peine; chaque fois que, par la chevelure depuis deux ans inculte, il empoignait ce bois inutile et le jetait sur le tas que formaient les autres souches arrachées, il haussait les épaules, de dépit et de rage. Mortes les veines cachées par où montait pour tous la joie du vin nouveau ! Mortes les branches mères que le poids des grappes inclinait, dont le pampre ruisselait à terre et traînait comme une robe d’or ! Jamais plus la fleur de la vigne, avec ses étoiles pâles et ses gouttes de miel, n’attirerait les moucherons d’été, et ne répandrait dans la campagne et jusqu’à la Fromentière son parfum de réséda ! Jamais les enfants de la métairie, ceux qui viendraient, ne passeraient la main par les trous de la haie pour saisir les grappes du bord ! Jamais plus les femmes n’emporteraient les hottées de vendange ! Le vin, d’ici longtemps, serait plus rare à la ferme, et ne serait plus de « chez nous ». Quelque chose de familial, une richesse héréditaire et sacrée, périssait avec la vigne, servante ancienne et fidèle des Lumineau.
Ils avaient, l’un et l’autre, le sentiment si profond de cette perte, que le père ne put s’empêcher de dire, à la nuit tombante, en relevant une dernière fois sa pioche pour la mettre sur son épaule :
- Vilain métier, Driot, que nous avons fait aujourd’hui !
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Elle ne comprenait pas qu'un insuccès prévu, comme celui de la démarche de l'après-midi contristât l'ouvrier à pareil point, et elle attribuait la rancune tenace du vieil oncle aux paroles de haine qu'Antoine avait dû lui souffler.
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"...Le reste serait vite résolu, si l'on s'aimait..."
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[Joseph Oberlé à son fils Jean] :
(...) Il faut que nous nous entendions bien, n'est-ce pas ? Je ne pense pas que tu aies, pour toi-même, une ambition politique; tu n'as pas l'âge, ni peut-être l'étoffe. Et ce n'est pas cela que je t'interdis. Je t'interdis de faire du chauvinisme alsacien ; de t'en aller en répétant, comme d'autres, à tout propos : "La France ! La France !", de porter sous ton gilet une ceinture tricolore ; d'imiter les étudiants alsaciens, qui, pour se reconnaître et pour se rallier, sifflent, aux oreilles de la police, les six notes de la Marseillaise : "Formez vos bataillons !" Je ne veux pas de ces petits procédés, de ces petites bravades et de ces grands périls, mon cher ! Ce sont des manifestations qui nous sont défendues, à nous autres industriels, qui travaillons en pays allemand. Elles sont en contradiction avec notre effort et notre intérêt, car ce n'est pas la France qui achète. Elle est très loin, la France, mon cher ; elle est à plus de deux cents lieues d'ici, tout au moins on le dirait, au peu de bruit, de mouvement et d'argent qui nous en vient. N'oublie pas cela ! Tu es, par ta volonté, industriel allemand : si tu tournes le dos aux Allemands, tu es perdu. Pense ce que tu voudras de l'histoire de ton pays, de son passé et de son présent. J'ignore là-dessus tes opinions. Je ne veux pas essayer de deviner ce qu'elles seront ! dans un milieu aussi arriéré que le nôtre, à Alsheim, mais, quoi que tu penses, sache te taire, ou bien fais ton avenir ailleurs !
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René Bazin
N'ayez pas peur des échecs. Le premier est nécessaire, car il exerce la volonté.
Le second peut être utile.
Si vous vous relevez du troisième, vous êtes un homme.
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René Bazin
Il faut faire le sacrifice de ses préférences mais pas celui de ses convictions.


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La lumière est une voyageuse. Elle ne s'arrête pas. Quand elle revient au même point de l'espace, ou à peu près, vingt-quatre heures plus tard, elle ne retrouve jamais les heures plus tard, elle ne retrouve jamais les choses tout à fait dans le même ordre. Si ce sont des feuilles, que de vie en un jour, et que de mort, et que d'attitudes changées ! Si c'est une plaine de sable, elle a remué. Si c'est la mer, où sont les vagues de la veille ? Et, puisqu'il y a du ciel au-dessus de tous les horizons, qui peut parler d'immobilité dans ce champ de course prodigieux, où se précipitent et se mêlent tous les maîtres de la vitesse et de vol, le rayon, le vent, le nuage, la poussière, et tant d'autres puissance inconnues, qui renouvellent le sang et la sève et, plus haut que nous, la couleur de l'espace ?
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– Ma sœur Pascale, vous avez les yeux rouges.
– Pas d’avoir pleuré... C’est l’air qui est vif, ce soir.
– Oui, et puis la fatigue de la classe, n’est-ce pas ? Vous vous tuerez, sœur Pascale !
Une voix jeune, inégale, avec des trous creusés par la fatigue, répondit :
– Elles sont si gentilles, mes petites !... Et au bout de huit jours, aucune ne penserait plus à moi,... ni peut-être personne au monde.
Et elle riait.
Un murmure de mots prononcés à peine, avec des hochements de tête, et qu’on sentait avoir été dits souvent, enveloppa de tendresse sœur Pascale : « Enfant !... Quand serez-vous raisonnable ? Vous voulez vous faire dire qu’on vous aime... Croirait-on qu’elle vient d’avoir vingt-trois ans aujourd’hui ?... Aujourd’hui même, 16 juin 1902. Vous le voyez, tout le monde sait votre âge. »
Un contentement d’être ensemble, d’être au calme, de s’aimer les unes les autres, leur vint à toutes. Et celle qui avait l’autorité, levant les yeux au-delà de la cour, vers les maisons distantes et leur bordure de ciel, dit :
– Il fait bon respirer. Comme on calomnie notre air lyonnais ! Ça sent la campagne, vous ne trouvez pas ?
Dans le silence de quelques secondes, tous les yeux se levèrent, les poitrines lasses ou malades aspirèrent la joie de l’été, que la ville n’avait pas toute bue et détruite. Et il y eut plusieurs de ces âmes, adoratrices et reconnaissantes pour le reste du monde, qui remercièrent secrètement.
Elles étaient cinq femmes, cinq religieuses, en costume gros bleu, voile noir et guimpe blanche, dans le préau de l’école, allée cimentée, protégée par un toit, et qui s’étendait, derrière la maison, tout le long de la cour de récréation.
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Les larmes sont comme les morts : elles obtiennent le respect de la foule, qui ne demande pas leur nom.
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