Citations de René Grousset (81)
Un des facteurs qui périodiquement ont permis le rassemblement des terres chinoises est à coup sûr l’unité de l’écriture, des « caractères », d’abord, là comme ailleurs, purement pictographiques, puis idéographiques, finalement uniformisés dès le règne du premier empereur, Ts’in Che Houang -ti, à la fin du IIIe siècle avant Jésus-Christ.
Bien que confucéisme et taoïsme se rattachent l’un et l’autre à des conceptions sans doute originellement assez semblables (d’immémoriales recettes de sorciers et de devins), il est impossible d’imaginer divergence plus totale. Résignons-nous à ces contradictions dont, en dépit des théoriciens, l’histoire est toute semée : la société confucianiste, parachevée dans le mandarinat classique, nous a donné le plus typique exemple à la fois de positivisme intellectuel et de traditionalisme social. Et les Pères taoïstes dans l’antiquité, les poètes t’ang ou les peintres song au moyen âge nous ont valu les messages les plus désintéressés d’affranchissement spirituel et de communion cosmique...
La plupart de nos malheurs viennent de ce que les peuples, ne vivant pas à la même époque, n'obéissent ni à la même logique ni à la même morale. Combien de guerres a causés ce dénivellement culturel ! Les camps de concentration allemands nous ont même, à cet égard, révélé le plus effroyable secret : sur de nombreux secteurs nous sommes restés contemporains de l'humanité primitive.
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L'histoire de la Chine a ses lois auxquelles nul, fût-il le Conquérant du monde, ne saurait, au bout de quelques générations, échapper. Ses conquérants, toujours, à la longue, la Chine les conquiert. Elles les apaise, les fixe, les amollit, les désarme, puis insensiblement les absorbe ou, le moment venu, sans difficulté, les élimine.
Reconnaissons ici une des lois les plus constantes de l'histoire. Aucune conquête de quelque durée et de quelque ampleur ne saurait rester impunie. Ce n'est pas impunément, en effet, qu'entre peuples restés jusque-là à des étages de civilisation différentes, le conquérant provoque cette brusque réduction à un niveau commun qu'entraîne la conquête. Si le peuple vaincu est profondément perturbé dans son organisation politique, dans ses coutumes les plus chères, le vainqueur ne l'est pas moins dans sa sécurité mentale. C'est la contre-invasion des idées, des mœurs, des tendances du vaincu chez le vainqueur, contre laquelle celui-ci, à moins d'un rideau de fer impitoyablement baissé , ne peut à peu près rien. Nous avons vu le cas dans la société romaine qui, pour avoir absorbé l'Orient hellénistique, s'était finalement hellénisée jusqu'à la dé-romanisation.
l'empire Ouïghour se substitua ainsi à l'empire des T'ou-kiue orientaux. Il devait durer un siècle (744-840). Il s'agissait d'ailleurs que du remplacement, dans l'hégémonie de la Mongolie, d'un peuple Turc par un autre peuple Turc, étroitement apparenté à lui. Toutefois, à l'inverse des T'ou-kiu, qui avaient été si souvent des voisins dangereux pour la Chine, les Ouïghours devaient se montrer d'abord les clients assez fidèles, puis les utiles alliés et enfin les protecteurs précieux, encore que parfois bien exigeants, de la dynastie des T'ang.
la capitale des qaghan Ouïghour était situé à Qarabalgassoum, ville alors appelée Ordou-baligh >
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L’art de Ngan-yang est d’une grande importance. La céramique peinte de
l’époque néolithique a disparu. Elle est remplacée par une belle céramique blanche dont le décor, aux nervures en légère saillie (masques de t’ao-t’ié et motifs géométriques), est identique à celui des bronzes de même époque. On peut, par exemple, comparer à cet égard les motifs en losange d’un vase ting du musée Guimet et le décor analogue d’un fragment de céramique blanche du musée Cernuschi ; et surtout, à la Freer Gallery de Washington, tel admirable grand vase en céramique blanche, intact et complet, et tel bronze également chang, l’un et l’autre décorés des mêmes thèmes.
Bien que déjà parvenue à une étonnante maîtrise dans l’art du bronze, la civilisation des Chang, telle que la révèlent les fouilles de Ngan-yang, n’avait pas entièrement renoncé à l’outillage néolithique. On trouve à Ngan-yang des couteaux, des haches, même des fragments de vases en pierre polie, aussi des vases de marbre. Il y a lieu de rattacher à cette industrie le travail du jade, matière noble qui sera toujours, chez les Chinois, l’objet d’une prédilection particulière, par la « vertu » qui s’en dégage.
Le paléolithique le mieux représenté de l’Asie Antérieure est jus-qu’ici celui de Palestine. La Palestine possède aussi une culture méso-lithique locale, le natoufien (vers 12000 av. J.-C. ?), et une culture énéolithique propre, le tahounien.
Ce regroupement des tribus, que devait réaliser un jour Gengis-khan, fut plusieurs fois ébauché par ses aïeux. Plusieurs fois, il parut même accompli pour se rompre bientôt et refaire place à l’émiettement des clans, à leurs âpres vendettas, à l’anarchie et à l’impuissance. Il n’était pas alors de situation plus misérable que celle des descendants du Loup et de la Biche.
Bodountchar le Simple a fini par s’apercevoir que pour sa famille il ne compte pas. Il décide de s’en séparer, de tenter fortune par ses propres moyens. Il prend un mauvais cheval, « un cheval blanc à raie noire, à la queue à moitié pelée, avec une écorchure sur le dos », et gagne la lande. Il ne se dissimulait pas qu’avec une telle haridelle, perdu dans la steppe, son sort était précaire : « Si mon cheval tient, je sub-sisterai. S’il succombe, je périrai ».
Ces traditions sont intéressantes parce qu’elles nous confirment qu’à l’exemple du grand loup ancestral, les Mongols primitifs étaient bien des chasseurs forestiers, tout au plus des gens de la lisière entre bois et prairie. Il est d’ailleurs remarquable que, pour les temps mythiques, le barde mongol ne nous parle que de chasse, jamais d’élevage.
Mais si le chiffre des victimes musulmanes a été fort exagéré, les fureurs inhérentes à toute prise d’assaut se prolongèrent ici beaucoup trop longtemps. « La ville présentait en spectacle un tel carnage d’ennemis, une telle effusion de sang que les vainqueurs eux-mêmes en furent frappés d’horreur et de dégoût. » Celui qui parle ainsi n’est autre que le grand archevêque Guillaume de Tyr, incapable de dissimuler sa réprobation de chrétien, son blâme aussi d’homme D’État. Car, à ce dernier point de vue, les excès du 15 juillet constituèrent une faute grave.
Cependant, sous les terribles vainqueurs du 15 juillet, les chrétiens enfin se retrouvaient. Le soir même de ce jour, ils montèrent au Saint-Sépulcre. « Ils lavèrent leurs mains et leurs pieds, quittèrent leurs vêtements ensanglantés pour des robes neuves et, pieds nus, se rendirent aux Lieux Saints ». La fureur du combat était tombée. Chez ces hommes rudes, après tant d’épreuves et de périls, rien ne subsistait plus qu’une immense émotion religieuse. Ils se pressaient, en versant des larmes, le long de la voie douloureuse « et baisaient doucement la place où le Sauveur du monde avait posé ses pas ».
L’homme (Bohémond de Tarente), d’ailleurs, se présente à nous avec une verdeur exceptionnelle. Certains de ses stratagèmes de guerre ont l’allure de plaisanteries énormes, encore qu’un peu rudes. Des espions musulmans, déguisés en Arméniens, infestaient l’armée franque. On ne savait comment s’en débarrasser. Bohémond s’en chargea. Un soir, à l’heure du dîner, il pria ses cuisiniers de lui accommoder pour sa table un lot de prisonniers turcs. « On leur coupa la gueule, dit le chroniqueur, on les embrocha et on se prépara à les faire rôtir. » A qui l’interrogeait sur ces étranges préparatifs, Bohémond, le plus naturellement du monde, répondit qu’on améliorait l’ordinaire de l’état-major en mettant les espions à la broche. Tout le camp accourut pour s’assurer du fait. Rien de plus exact : les Turcs, dûment lardés, cuisaient à grand feu. Le lendemain tous les espions, horrifiés, avaient disparus sans demander leur reste.
On a découvert depuis 1921 dans l’Inde du Nord-Ouest, à Harappa (au Pendjab) et à Mohenjo-daro (dans le Sind), une puissante civilisation urbaine protohistorique, de caractère énéolithique et dont les synchronismes attestés avec la Mésopotamie permettent de placer l’apogée entre 2800 et 2500 avant J.-C. Cette civilisation semble en effet se relier par le Béloutchistan à celles de la Susiane et du monde sumérien. Elle nous a livré des cachets avec une écriture pictographique particulière et avec des représentations d’animaux indigènes dont le naturalisme rappelle l’art suméro-akkadien.
L’Asie qui est le plus étendu et le plus massif des continents (44.500.000 km2) n’a été constituée dans ses grandes lignes que vers l’ère tertiaire. Aux époques antérieures nous ne voyons s’affirmer encore qu’un certain nombre de« faîtes » ou « môles » apparus sur la périphérie du tracé actuel : au nord le « faîte sibérien » ou de 1’Angara, attesté dès l’époque algonkienne et qui pendant l’ère secondaire s’élargit en un vaste continent sino-sibérien, charpente de la future Asie ; au sud, le « continent de Gondwana » qui réunit longtemps l’Inde péninsulaire à Madagascar. Entre ces deux masses émergées s’étendait une Méditerranée asiatique, la « Thétys » des géologues qui, largement étalée pendant toute l’ère secondaire, couvrait encore à l’oligocène l’Asie Mineure, l’Iran, l’emplacement de l’Himalaya, la Birmanie et l’Insulinde. Au miocène la régression de cette mer et la surrection des chaînes alphimalayennes, courant en Asie du Caucase aux arcs malais, soudèrent le môle sino-sibérien à l’Inde péninsulaire, créant ainsi le continent actuel.
Pour paradoxal qu’il paraisse, s’il fallait comparer l’histoire de la Chine à celle de quelque autre grande collectivité humaine, c’est à l’histoire du Canada ou des États-Unis qu’il faudrait songer. Dans les deux cas, il s’agit essentiellement et par-delà les vicissitudes politiques, de la conquête d’immenses territoires vierges par un peuple de laboureurs qui ne trouvèrent devant eux que de pauvres populations semi-nomades. Le plus dur de la lutte dut être mené contre la nature elle-même en défrichant le sol, en abattant la forêt primitive, en domptant les fleuves, en faisant partout de la terre arable. Seulement il n’a fallu que trois siècles aux Franco -Canadiens et aux Anglo-Saxons pour soumettre à la charrue le continent nord-américain, tandis que la conquête agricole du continent chinois a exigé près de quatre millénaires.
Au demeurant, pas de vie plus laborieuse que celle de ces paysans chinois. En dépit de leur patience acharnée et sans nerfs, malgré la virtuelle fertilité des plateaux de loess comme de la Grande Plaine, les terres de loess sont menacées, par temps de sécheresse, d’effroyables famines. Dans la Grande Plaine le danger de sécheresse, bien que moindre par suite des pluies de mousson, se combine avec celui de l’inondation, sans parler des divagations terribles du Fleuve Jaune : la crainte superstitieuse des anciens Chinois pour la divinité des eaux, « le Comte du fleuve », comme ils l’appelaient, montre bien la terreur qu’en temps de crue inspirait aux riverains ce voisin indompté : pour se le propitier, ils lui sacrifiaient périodiquement des garçons et des filles. En ces immenses étendues plates et sans défense contre les eaux ou contre la sécheresse parce que sans réserves forestières, le paysan dépendait plus étroitement que partout ailleurs de la terre. Le rythme de sa vie se modelait strictement sur le rythme des saisons.
Ce fut la vie agricole et sédentaire ainsi pratiquée par les ancêtres des Chinois aux confins du loess et de la Grande Plaine qui les différencia d’avec les tribus — sans doute de même race — restées au stade des chasseurs nomades dans les steppes du Chen-si et du Chan-si septentrionaux d’une part, dans les forêts marécageuses du Houai-ho et du Yang-tseu d’autre part. Il n’y a pas lieu de supposer ici d’opposition ethnique, encore moins d’imaginer une immigration des Proto-Chinois soi-disant venus de l’Asie centrale.