Les aventures de Gwendy sont une sucrerie dans la bibliographie de Stephen King. Tout a commencé quand il s’est lancé dans une aventure à quatre mains, et un projet plutôt singulier, aux côtés de Richard Chizmar. La dernière mission de Gwendy en est l’apothéose.
Petit retour en arrière. En 2018 sortait en français une novella de 160 pages mettant en scène Gwendy Peterson alors jeune adolescente, et qui voyait débarquer un étrange bonhomme lui confiant une tout aussi étrange boîte à boutons.
Un objet capable d’offrir des chocolats qui revitalisent, mais dont il faut payer le prix, ou encore présentant des boutons dangereux, capables de déclencher des cataclysmes. Une grande responsabilité confiée à une gamine de 12 ans qui veillait à ne pas tomber sous le charme de cet étrange « gadget ».
Une première incursion dans cette histoire qui s’est avérée formidable, pleine de surprises et mettant en scène un personnage particulièrement touchant.
Le second épisode, La plume magique de Gwendy, avait vu Chizmar prendre le lead seul pour une intrigue qui ne poussait pas assez loin le concept, malgré plus de 300 pages de récit. Retour à l’exercice à deux, avec le King rejoignant à nouveau Chizmar pour ce troisième tome qui clôture cette trilogie. À la taille d’un roman cette fois encore, 340 pages.
Une histoire en trois volets, sortie directement en poche.
Gwendy s’y envoie en l’air. Au sens propre, et tout en haut. La voilà sénatrice du Maine, venant de dépasser la soixantaine. La gamine est loin, tout comme sa perception initiale de la boîte à bouton, que l’étrange homme au chapeau melon lui a confié pour la troisième fois durant son existence. Pour une dernière mission qui s’annonce périlleuse pour elle comme pour la terre toute entière. Rien que ça.
Direction l’espace, en 2026, dans un vol habité à destination de la station spatiale internationale. L’occasion pour Stephen King de se frotter à un environnement assez nouveau pour lui, mais toujours avec la même sensibilité et manière de raconter. En se permettant même de se lâcher, à coup de pics bien sentis envers la politique de Trump et de ses successeurs.
Cette histoire n’est pas banale, elle n’est pas qu’un énième récit d’une adolescente ordinaire qui va vivre un destin extraordinaire. Ce dernier épisode contextualise autant qu’il s’inscrit directement dans la cosmogonie des romans mythes du King.
Ce récit qui paraissait simplement ludique, et qui l’est formidablement !, prend une autre dimension, s’inscrivant directement dans le grand Monde construit par l’auteur. Avec des liens forts qui se tissent autour de la ville de Derry, et de plusieurs de ses romans, dont Ça et La tour sombre (c’est inscrit sur la quatrième de couverture, je ne dévoile rien, et vous allez être surpris si vous connaissez les romans du Roi de l’Imaginaire).
« Ce qu’elle savait de Derry n’était pas bon. C’était une ville sombre, sinistre, avec un passé violent un nombre troublant de meurtres, des disparitions d’enfants, ainsi que d’étranges visions et de curieuses activités dûment documentées. Ajoutez à cela une suite d’inondations meurtrières et l’une des communautés anti-LGBT les plus extrémistes de l’État, vous obtenez un lieu que la plupart des non-autochtones évitaient comme la peste ».
Ou encore : « Une femme dont Gwendy était devenue proche pendant une lointaine campagne de levée de fonds, prétendait que, lors de son adolescence à Derry, elle avait été poursuivie le long d’une rue obscure par un homme hilare, habillé en clown. Il avait des rasoirs à la place des dents et d’immenses yeux ronds argentés… du moins l’affirmait-elle ».
De quoi faire sourire et faire fantasmer les fans, croyez-moi. Mais pas que, ce triptyque reste tout de même centré sur la vie de Gwendy, complètement chamboulée, devenant héroïne malgré elle depuis qu’on lui a mis une boîte de Pandore dans les mains.
Plusieurs niveaux de lecture, qu’on soit lecteur assidu de Stephen King ou non. Cette histoire fonctionne aussi très bien si ce n’est pas le cas.
L’écriture à quatre mains est un exercice d’équilibriste, sauf qu’on n’est pas seul à tenter de rester d’aplomb sur le fil du récit. La maîtrise est parfaite, il n’est absolument pas évident de discerner qui a écrit quoi dans ce roman, ni de qui viennent les idées.
On y retrouve cependant clairement la sensibilité du King, son amour des personnages. Avec une histoire prenante, de moments forts, et des passages touchants. Avec quelques thématiques telles que l’âge et Alzheimer, qui semblent le travailler du haut de ses 76 ans.
Je reste convaincu que cette idée de boîte aurait mérité davantage de développement, qu’il y avait matière à aller bien plus loin encore. Mais ça ne gâche pas le plaisir vivace de cette lecture.
La dernière mission de Gwendy clôt une trilogie atypique et pourtant fortement intégrée dans l’univers de Stephen King. Une lecture à plusieurs niveaux, ludique et inspirante, menée avec brio à quatre mains avec son compère Richard Chizmar.
A noter que le roman est à nouveau illustrée par Keith Minnion, avec plusieurs dessins marquants les points clés de l’intrigue.
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