Citations de Roberto Arlt (82)
Je me souviens (et ceci à l'attention des amateurs de théosophie et de métaphysique) que depuis ma tendre enfance les contrefaits ont retenu mon attention. Je les haïssais et, en même temps, ils m'attiraient, comme je déteste autant que je suis aimanté par la profondeur ouverte sous le balcon d'un neuvième étage, à laquelle je me suis approché plus d'une fois, le cœur tremblant de précaution et de délicieux effroi. Et ainsi, comme face au vide je ne puis échapper à la terreur de m'imaginer tombant dans les airs avec l'estomac noué dans l'asphyxie de la déchéance, en présence d'un difforme je ne puis échapper à la nauséabonde pensée de m'imaginer bossu, grotesque, effrayant, abandonné de tous, hébergé dans un chenil, poursuivi par les railleries de garçons féroces qui me planteraient des aiguilles dans la bosse.
Tordre le cou du petit bossu a été de ma part une action plus ruineuse et imprudente pour mes intérêts qu'attenter à l'existence d'un bienfaiteur de l'humanité.
L’homme est un animal triste que seuls les prodiges peuvent émouvoir. Ou les boucheries.
Il y a des gens à qui ça fait mal de voir que leurs proches ont des chances de réussite. Il y en a même qui sont jaloux au point de ne pas vous pardonner de vous faire des illusions
Il a parcouru la gamme des possibilités humaines et il sait, textuellement il sait, qu’il ne lui reste plus rien à faire
Vous ne croyez pas que l’heure est venue ? Vous avez vu dans quel état se trouve le monde ?
Tu dois comprendre que la vie a perfectionné l’angoisse, comme un fabriquant perfectionne son moteur à explosion
J’ai le cœur dur, remarque, mais il y a des moments où le premier malheureux venu me réduit en petits morceaux !
Vous me direz que je fais du Jules Verne. Non, Jules Verne a manqué d’imagination. Moi, je pose des problèmes terriblement positifs. Il faudrait être idiot pour hausser les épaules et prétendre que je fais du fantastique. Il suffit qu’une demi-douzaine d’hommes avec dix-mille pesos de capital se réunissent et se mettent à fabriquer du phosgène pour que… Hé oui, pensez-y, avec dix mille pesos… pour qu’ils puissent détruire la population totale de la ville de Buenos Aires.
Je voudrais savoir si vous êtes un comédien, un cynique ou un aventurier
A quoi peut croire l’Astrologue ? A rien. Par contre, la Cieguita croit en moi. Quand elle me dit qu’elle m’aime, ça me donne envie de rire, mais des qu’elle joue du violon et scie le ciel avec sa musique, ma chienne de vie est placée devant une alternative : être heureux ou ne pas être heureux
Vous savez, vous, que si les gens connaissaient votre faute ils vous repousseraient avec horreur. Alors, quand vous entrez en contact avec quelqu’un, inconsciemment vous savez que si cette personne vous montre de l’affection c’est que vous abusez de sa confiance, parce que si elle connaissait votre crime elle vous rejetterait, horrifiée
En lui respirent les poumons de l'angoisse
Quand un homme a le démon au corps, il cherche Dieu à travers d'horribles péchés : son remords en sera plus intense et plus effroyable
Et bien, moi si. J'ai voyagé. Des voyages de luxe ! Des wagons en acier, avec des plaques d'émail bleu. Des transatlantiques qui étaient de vrais palaces. (Il lui jeta un coup d'oeil de côté.) Et on va afire encore plus luxueux ! des bateaux encore plus fantastiques. Des avions plus rapides. On appuiera sur un bouton, et hop, on entendra des musiques venues de partout à la fois, on verra sous l'eau, au centre de la terre, mais on ne sera pas plus heureux pour ça, vous le comprennez bien...
Pourtant, ils sont tous comme ça. Les faibles, intelligents et inutiles ; les autres, des brutes ennuyeuses.
Croyez-moi, nous vivons une époque terrible. Celui qui trouvera le mensonge dont la multitude a besoin sera le Roi du monde.
Je les regardais. C'est une chose extraordinairement curieuse que le regard d'un homme coincé entre une furie aimable et une autre déchaînée. Je me dis que Charlie Chaplin est né de la conjonction de ces deux regards. Il aurait été assis sur un petit banc, la belle-mère d'un côté, regard furieux, la fiancée de l'autre, regard passionné, et c'est ainsi qu'a dû naître Charlot, l'homme au sourire tordu et douloureux.
Il y a un refrain qui dit : "On ne saurait faire boire un âne qui n'a pas soif." Parodiant le proverbe, on pourrait dire : "On ne saurait faire entendre raison à une femme qui ne veut rien entendre. C'est plus facile de faire boire toute une rivière à un âne qui n'a pas soif."
Le pavé est une sorte de salut pour ces gens. C'est la civilisation, c'est le progrès, c'est la ville qui se rapproche de la pampa, c'est la pampa qui se déguise en ville, car voilà ce qu'est Buenos Aires. Le pavé, c'est l'espoir d'avoir une ligne de tramway ou d'omnibus, c'est la valorisation du terrain et de la petite maison ; le pavé, c'est l'obligation prochaine du trottoir en dalles, du muret de soixante centimètres ; le pavé implique le ravalement des façades, le développement des commerces ... le pavé, pour les miséreux des faubourgs, c'est le comble du confort ... ni plus ni moins, le comble du confort.