Citations de Roger Vercel (117)
A condition de ne jamais remuer, de s’être empaqueté dans les deux couvertures, d’avoir enfilé, l’une sur l’autre, cinq paires de chaussettes, de s’être calé les reins avec ses souliers, afin de pouvoir les remettre, le moment venu, on est bien !...
Je lis un livre. Toutes les dix pages, j'arrête ma lecture, j'arrache ces dix feuillets, je les tords et j'allume. Cela fait, pendant quelques secondes, une chaleur de four qui tombe tout de suite, mais permet quand même d'arriver au bout des dix pages suivantes.
45 – [Le Livre de poche n° 9, p. 9]
Il n'est plus là. Il s'est enfui, sans fermer la porte. [...]
Durant quelques instants, elle a l'idée de passer une robe, de descendre. Peut-être le rattraperait-elle dans le hall, ou sur le trottoir : il attend sans doute encore un taxi... Et après? Si elle le retrouve, dans la rue, qu'a-t-elle à offrir, à demander?... Elle a le malheur d'être d'un monde, d'une éducation, d'une pudeur, qui ne permettent ni d'injurier, ni de menacer, ni de supplier l'homme qui vous quitte, comme peuvent au moins le faire les femmes du peuple !
Peut-être ne parvenait-il pas à oublier qu'il s'appelait de Sévignac. J'en ai rencontré, qui avaient toujours l'air de sous-entendre, quand ils condescendaient à vous adresser la parole : "Rappelez-vous bien que vos ancêtres, quand les miens dormaient, battaient les fossés pour faire taire les grenouilles".
Ce n'est pas un voilier qui aurait accepté de tailler de la route avec un équipage de coiffeurs, de plombiers et de pédicures comme les Marie-Salope à charbon ! ...
La chaussée de Sein. Une chaussée, oui, une route d’écume, une avenue cahoteuse, large de quatre milles et hérissée de milliers de cailloux noirs. Et là-dedans, les entrelacs incohérents des courants et des remous, une sorte de foisonnement de l’eau, d’enchevêtrements absurdes, de retours, de repentirs. Sur les deux bords de cette route, deux rangées de geysers, des arbres d’écume sans cesse renaissants et retombés.
Et alors, maintenant que vous voilà sous l'uniforme des Monuments Historiques, vous sentez-vous devenu compétent en archéologie ?
C'est dans les abbayes que l'habit fait le moine !
Je sais ce que c’est que la frousse, mon vieux ! J’en avais un dans ma section avant d’aller au corps franc, un gros bouffi, quand ça tombait un peu trop pour son goût, il se couchait sur le ventre, au fond de la tranchée, et tu pouvais toujours lui masser les entre-côtes à coup de talon pendant des heures, (…) lui chatouiller le dedans de l’oreille avec le canon de ton revolver, il ne bougeait pas, le frère ! T’aurais appuyé sur la gâchette, il n’aurait ni plus ni moins bougé ! Quand tu vois ça, c’est la bonne preuve, ça ne dépend pas de lui !
Sa question me rend tout à coup sensible un bonheur dont je ne me doutais point : j'en ai peut-être tué, mais je ne le saurai jamais !... Pour moi, la guerre, ainsi que pour tant d'autres, ç'a été une période où l'on marchait courbé, comme des gens trop grands qui craignent de rencontrer une porte trop basse. A certains jours, ça devenait une fuite en avant, coupée de chutes à plat ventre.
Et l'on s'en va sur cet échec, on s'en va sans trouver en soi le goût d'être heureux comme il le faudrait, on s'en va, tête basse, derrière la musique déshonorée... Après cinquante-deux mois, être vivant, avoir eu le bon bout, et rater la joie que ça devait vous donner !...
Quatrième de couverture
Cinq romans, deux longues nouvelles (La Clandestine, Rafales), la trilogie de La Fosse aux Vents (qui réunit Ceux de la Galatée, La Peau du Diable et Atalante) font revivre ici un monde disparu et révèlent la puissance et l'authenticité de l'oeuvre maritime de Roger Vercel (1894-1957), prix Goncourt 1934 pour Capitaine Conan. Vercel avait fait l'expérience de l'extrême pendant la guerre. La mer lui fournit le cadre de récits magnifiques où des personnages hors du commun sont confrontés à leur propre faiblesse.
La prison était située près des quais de la Dimbevitza, ce fossé d'eau jaunâtre qui ne traverse que les quartiers râpés de Bucarest, entre deux talus de gazon. Ils grouillaient, ces quais, sous le soleil blanc, de loqueteux, vêtus de toisons sales et de cojocs en parchemin. Beaucoup avaient des faces de moutons, longues, sans lèvres, où somnolaient des yeux jaunes et bons.
Tous, après une vieillesse de quatre ans, s'émerveillaient de se retrouver jeunes, de sentir un tel appétit de jouissance... Certains qui s'étaient défendus contre leurs désirs pendant des semaines et qui, parce qu'ils se souvenaient trop de la guerre ou redoutaient la paix, s'isolaient farouchement dans les épaisses maisons, feutrées de tapis, où ils avaient leur domicile somptueux, ceux-là même, cédaient à l'appel de la nuit roumaine...
"Mer énorme" C'était la plus grosse épithète de ses rapports, mais il lui arrivait, comme à un écrivain, de regretter que les mots ne fussent point à la taille des choses.
Louis d'Anjou, fils du roi Jean le Bon, un des quatre princes des "fleurs de lys" séjourne à Calais comme otage du roi d'Angleterre. Son père, le Roi de France, l'a livré, ainsi que ses frères, tandis qu'il essaie de réunir son énorme rançon. C'est d'ailleurs, pour les princes, la plus douce des captivités. Ils ont fait venir à Calais leurs harnais de joutes, leurs lévriers, leurs clercs et leurs valets.Tenez pour assuré qu'il n'y eût point eu de guerre de Cent ans si les mots "prisonniers de guerre" avaient présenté, alors, leur sens moderne. Mais en ces temps barbares, ils ne signifient pas comme hier, faim, dénuement, vermine et morne ennui. Pour un prince, un noble, l'emprisonnement, c'est un séjour plus ou moins prolongé dans une cour étrangère où l'on s'ingénie à le fêter, à le distraire ; au départ, il est vrai, on lui présente la note.
l'esquimau, après vingt heures de mort, était redevenu étonnamment asiatique. Dans la face de cire jaune, les yeux s'étaient réduits à deux entailles longues, les pommettes saillaient, le nez s'était encore écrasé sur le visage plat
C'était un ancien du long cours, qui, parce que l'argent est fait pour être bu et non pour payer un propriétaire, habitait l'épave des Trois-Frères, une bisquine à la retraite. Il s'était installé dans la chambre où il avait trouvé le moyen de mettre debout sur deux pattes un poêle fendu. Les beaux jours d'été ou les après-midi ensoleillés de septembre, il cuisait, allongé sur le pont.
L'ouragan cernait la chambre. On l'eut dite hissée au sommet d'une tour carrée, tant le vent appuyait sur ses quatre faces. Il lançait, par poignées, contre les vitres, une pluie dure, et en même temps, il secouait la porte, rebroussait les ardoises claquantes du toit, emplissait la maison de chocs et de rumeurs, si bien que l'on suivait sa course tout le long des murs, au dessus du plafond, sous le plancher.
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-Où as-tu tué ton premier, toi?
Sa question me rend tout à coup sensible un bonheur dont je ne me doutais point: j'en ai peut-être tué, mais je ne le saurai jamais!...Pour moi, la guerre, ainsi que pour tant d'autres, ça a été une période où on marchait courbé, comme des gens trop grands qui craignent de rencontrer une porte trop basse.
Devant lui, le Mont s'enlevait, sur le fond de la nuit criblée d'étoiles, avec un relief vivant d'apparition. Sa base baignait, dans une clarté vague, mais toute l'abbaye restait noire, d'un noir prodigieux, où se ciselait chaque détail. Les dentelures des cyprès se continuaient par les dentelures de la Merveille. La flèche finissait dans les astres.
Ainsi dressé dans la nuit, gardant malgré le poids de ses ombres une légèreté aérienne, un inflexible élan, le Mont imposait le sentiment écrasant et exaltant à la fois, de sa vigilance attentive et de sa présence vivante.
C'étaient les mirages qui commençaient, ces formes fugitives, inquiétantes, que les pêcheurs perdus dans la brume ne manquaient jamais de croiser sur les grèves, et qui parfois précisaient assez leurs ombres pour que l'un d'eux identifiât un mort.
Il l'affirmait avec obstination quand il se retrouvait en sûreté : il avait reconnu l'habit, le visage du défunt, un défunt toujours pressé et distrait, qui ne s'arrêtait point et ne reconnaissait, lui, aucun de ses anciens familiers ...