Citations de Roland Topor (200)
Chez les jeunes gens, la révolte se traduit par des vomissements. Ils refusent de digérer, sinon d’avaler. Le système digestif, révulsé par l’aspect peu appétissant de la réalité nauséabonde qu’on lui destine, se met spontanément en grève et les force à régurgiter.
Si la vieillesse est un naufrage, l’inclinaison du navire donne de précieuses informations sur l’imminence du désastre.
Ma déprime est peut-être due à l’âge, à la crise économique ou à la mauvaise santé du marché de l’art, n’empêche que les difficultés des autres ne me consolent pas.
Pour gagner de quoi vivre, je ne dispose que des produits dérivés de ma peur.
J’écrivais des histoires absurdes ou je dessinais, j’inventais d’impérieuses raisons de salir du papier. Au bout d’un certain nombre de feuilles maculées, griffonnées, dactylographiées, raturées, chiffonnées, l’horreur imaginaire faisait pâlir la vraie.
Mon capital vie fond plus vite qu’un glaçon dans un verre de vin chaud : il suffit de remplacer un an par un franc pour évaluer le montant de l’addition : cinquante-huit ans, cinquante-huit francs. Les plus riches ont moins de cent francs, cent ans de vie en poche.
Trelkovsky maudit la panique qui le submergeait. Il entendait le bruit de son coeur qui faisait écho à celui qui provenait de la porte. Il fallait pourtant faire quelque chose. Un flot d'injures et d'imprécations étouffées jaillit de sa bouche.
Ainsi il allait encore être nécessaire de se justifier, s'expliquer, se faire pardonner de vivre !
"Il faut savoir supporter la vérité, à petite dise ce n'est pas mortel et ça immunise."
"La connaissance n'est que le premier stade. Le second est l'oubli."
"C'est un poème, vous comprenez. On peut dire n'importe quoi. C'est la Poésie qui compte."
[Certains Lecteurs] avaient envoyé des lettres ulcérées pour dire que j'étais une ordure d'une bassesse pas possible, et tout ça à cause de ce pauvre Peut-Mieux-Faire, parce qu'il avait raconté la vie du Christ de travers. Bon, je me dis, c'est de sa faute, c'est à lui de répondre à la critique. (...) Il lut attentivement les lettres, un étrange sourire aux lèvres. Quand il eut terminé, il vida sa Suze cul sec.
- Tu veux que je te dise, ces gens-là, moi, je les trouve pas très catholiques. (p.129)
J'ai connu un type qui était dompteur. Je n'ai jamais su comment il se nommait en réalité, mais nous, on l'appelait Pas-de-Bol parce qu'il collectionnait les tuiles. Le pauvre vieux avait des cicatrices partout. Je dis vieux, mais sa cinquantaine était encore toute neuve. Son truc favori consistait à fourrer la tête à l'intérieur de la gueule d'un lion, et crac ! régulièrement le lion éternuait, ou rotait, ou lui balançait un coup de queue, enfin bref, Pas-de-Bol se retrouvait à l'hôpital où bien entendu tout le monde l'accueillait à bras ouverts. (p.61)
Mon appétit n’est qu’un prétexte. En fait ma boulimie est provoquée par le manque d’affection. L’estomac compense le cœur. Puisque personne ne m’aime, je me juge exécrable. Alors j’essaie d’avaler le monde pour le supprimer et m’anéantir avec lui. Le schéma est d’une simplicité terrible.
Mon dieu, je suis trop gros ! Personne ne m’aime. Je suis encore jeune, pourtant. Mais il en a toujours été ainsi. A l’école, on me surnommait Bouboule, et plus tard Gros-Bide ou Gros-Lard, ou Gras-Double. Dieu, comme j’ai souffert ! Je suis seul à savoir quel trésor de pureté se trouve enfoui sous mes bourrelets de graisse. Les autres considèrent avec dégoût ce corps qu’ils croient être la représentation physique de mon état moral. Ainsi les visiteurs d’un zoo se figurent-ils souvent les animaux comme des types d’humanité coupable, condamnés à exposer au vu de tous leur dégradation. Le singe est un homme obscène et le tigre un homme fourbe, le serpent un homme vil et le lion un homme fier. Moi je suis un porc. Glouton et sale. L’esprit incapable de s’élever au-dessus du sol. La pesanteur divine me dicte sa loi : à ras de terre demeure mon corps, là doit croupir mon âme.
Je n’ai jamais tenté de trouver un sens à la vie, moral ou esthétique, ni essayé de faire évoluer l’humanité dans le bon sens. Le non-sens parait plus proche de la réalité. En général, je dessine pour me raccrocher à mon porte-plume comme un orang-outang se suspend aux branches. Il faut bien vivre, trouver de quoi payer l’ordinaire et s’offrir le luxe du vertige. Dessiner ne rapporte pas grand-chose mais ne coûte rien.
On se figurait que le manque d’argent faisait le pauvre et que l’accumulation de biens définissait le riche. Eh bien, c’est juste le contraire : la pauvreté produit le manque, la richesse créé l’illusion de l’argent.
Un court roman "panique" assez terrifiant et diabolique, que la superbe adaptation de Roman Polanski en 1976 n'a malheureusement pas réussi à sauver de l'oubli. Lisez-le !