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Citations de Sabri Louatah (117)


La conférence de presse du procureur n'avait en effet donné aucun autre détail sur le tireur que son prénom déjà connu. Les grandes chaînes avaient mobilisé leurs meilleurs enquêteurs et trouvé le nom entier et l'adresse d'"Abdelkrim". Les images du 16, rue de l'Eternité étaient donc diffusées en boucle mais il ne s'y passait rien pour l'instant. Interrogés, les gens du quartier arboraient l'universel visage penaud et incrédule des voisins de gens sur lesquels la tragédie s'est abattue du jour au lendemain : ils parlaient de Krim comme d'un garçon timide, qui avait fait deux ou trois conneries mais qui rendait souvent service. Et la famille Nerrouche était naturellement devenue cette inévitable chimère, aussi fictive que les licornes et la sagesse horoscopique : une "famille sans histoires".
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- Fouad, tu es dans la merde. Ta famille est dans la merde. Ou bien tu fais confiance aux pouvoirs officiels, ou bien tu prends les choses en main. Les autorités ne veulent pas la vérité, contrairement à ce qu'elles prétendent ; elles veulent la paix. Pour elles, c'est Goethe, une injustice vaut mieux qu'un désordre. La victime de l'injustice, en l'occurrence, c'est les Nerrouche. Alors moi je te le dis comme je le pense : on sort de la merde en affrontant la vérité. En allant la chercher avec les dents. Tout seul tu pourrais pas le faire, alors je te propose de t'aider. Et moi tout ce qui m'intéresse, c'est la vérité.
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Le climat post-attentat poussait chacun dans sa tribu, l'époque était certes au repli identitaire, au grand bon en arrière, mais Raouf ne s'était-il pas montré, parmi les jeunes de la famille, le plus enthousiaste à l'idée d'une victoire de Chaouch ? Chaouch se munissait d'un sécateur et proposait de libérer la jeunesse des racines qui l'étouffaient. Plantez vos propres racines, disait Chaouch, et plantez-les dans l'horizon. Votre identité ? Définissez-la dans vos projets plutôt que par votre héritage. Ne vous laissez pas harponner par les rêves déçus de vos pères. Ayez foi dans l'avenir, votre avenir !
Fouad y avait cru, et il n'en concevait pas la moindre honte. Mais pour Raouf et tant d'autres, le vote Chaouch était un vote ethnique : "Enfin un homme politique qui nous ressemble."
Ce malentendu désespérait Fouad. On ne luttait pas à armes égales contre l'inertie et l'esprit de clocher. On ne luttait pas du tout d'ailleurs. On se racontait des histoires, on se payait de mots et de poèmes, et lorsque les choses devenaient sérieuses les Blancs étaient les Blancs, les Arabes étaient les Arabes et les juifs suspects de toutes les perfidies.
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Arabe, kabyle, chinois, peu importe. Je veux seulement vous faire mesurer la gravité de la chose. Dans ses rêves il est peut-être au pays du Matin calme, mais dans la réalité on est en France, le pays des gens tout le temps en colère.
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Un journaliste spécialisé dans le journalisme se gausse de la démarche en rappelant qu'il n'y a pas de réalité pure, qu'un cadre, c'est déjà un choix, une coupure opérée dans le réel. Un autre journaliste lui répond dans ses propres colonnes qu'à l'heure de l'intelligence artificielle montrer le coin du réel qu'on montre sans possibilité de l'altérer constitue déjà un progrès appréciable.
Le débat est lancé, Allia se frotte les mains.
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La preuve par l’image a cessé d’être une preuve, résume la polytechnicienne. On ne peut plus séparer le vrai du faux de façon décisive, la question c’est, n’a-t-on pas sous-estimé à quel point nous étions, collectivement, dépendants de l’image numérique comme source d’information privilégiée, mais une source manipulable à l’envi ? Ce n’était qu’une question de temps avant que la manipulation ne se généralise et ne devienne imperceptible. Nous nous sommes accoutumés à la fréquentation du faux, depuis très longtemps en fait, par les effets spéciaux au cinéma mais aussi par des petites choses plus insidieuses, les filtres des selfies, les photoshoppages, tout ce qu’on a inventé pour se bouffer la cervelle les uns les autres par images interposées…
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La preuve par l'image a cessé d'être une preuve, résume la polytechnicienne. On ne peut plus séparer le vrai du faux de façon décisive, la question c'est, n'a-t-on pas sous-estimé à quel point nous étions, collectivement, dépendants de l'image numérique comme source d'information privilégiée, mais une source manipulable à l'envi.
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La grand-mère d’Allia a vingt ans lorsqu’elle tombe amoureuse d’Ali, un moudjahid du même âge qu’elle. Il joue les coursiers pour les chefs du FLN exilés à Cologne. C’est lui qu’on choisit pour les convois délicats, grâce à son type ethnique, cheveux roux, peau blanche tirant sur le rose, on dirait un Belge. Arrivé en métropole, Ali le valeureux emmène la jeune Sarah voir les bidonvilles de Nanterre. Les ouvriers algériens vivent dans des cahutes, ils font les trois-huit, s’endorment sur la couche encore chaude des cauchemars de leur camarade qui vient de repartir au turbin. Ali a la chance d’habiter à Paris, dans ce qu’on appelle alors un « meublé ». Le père de Sarah essaie vaguement de la dissuader de s’impliquer, il n’insiste pas, ces événements en Algérie le révoltent autant qu’elle. Les descentes de police se multiplient dans les meublés, les contrôles au faciès sont permanents, systématiques.
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Croyez-moi, il y a quelque chose de sacré dans la civilisation française. L'énergie nationale... est irriguée par un courant mystique intarissable, par une colère sainte, qui prend sa source dans le fond des âges. Cette colère, vous la verrez se déchainer dans les jours qui viennent, et vos "preuves" seront aussi utiles qu'un carnet de chèques au milieu du désert de Gobi.
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Il en va des pérégrinations sur Facebook comme du bon vieux zapping télévisuel: des heures peuvent passer sans qu'on s'en soit rendu compte.
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Ceux qui savent faire parler les autres se reconnaissent à ce qu’ils n’en font jamais trop, ne forcent pas la main de ceux qu’ils interrogent, sachant très bien que l’erreur la plus répandue parmi les criminels n’est pas tant de revenir physiquement sur les lieux de leur crime que d’y retourner constamment en pensée, de le ressasser, de l’évoquer sans cesse,dans une sous-conversation que l’oreille instruite sait deviner sous les propos les plus triviaux ou les mieux déguisés.
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Salle des jetés, 15 h 30

Il allait bientôt falloir décider : qui resterait «tranquille» à la salle des fêtes et qui partirait pour la mairie. La famille de la mariée était trop nombreuse et tout le monde ne pourrait pas tenir dans l'hôtel de ville, surtout que monsieur le maire n'était pas réputé pour sa patience dans ce genre de situations. Son prédécesseur (divers gauche) avait tout bonnement interdit les mariages le samedi pour épargner aux paisibles habitants du centre-ville les klaxons, le raï et les bolides flanqués de drapeaux vert et blanc. Le maire Fayolle, quoique UMP, avait levé l'interdiction, mais il n'hésitait pas à en brandir la menace à chaque fois qu'une smala survoltée semait le boxon dans la maison de la République.
Parmi ceux qui ne comptaient plus bouger figurait en bonne place, assise sur sa couscoussière, la tante Zoulikha qui s'éventait avec le 20 minutes du jour, celui auquel Ferhat avait arraché la première page qui titrait : «L'ÉLECTION DU SIÈCLE». Le vieux Ferhat portait une invraisemblable ouchanka vert-de-gris qui le faisait suer des oreilles. Son petit-neveu Toufïk avait essayé de le ramener à la raison mais dès qu'on abordait le sujet, Ferhat esquivait d'un plissement de menton avant de baragouiner des analyses sur les derniers sondages, d'une voix douce et presque professorale qu'on ne lui connaissait pas.
Tout le monde était un peu bizarre cet après-midi-là : la rumeur courait que les invités de la famille de la mariée se comptaient par centaines, et puis il faisait trop chaud pour un 5 mai. Les résultats du premier tour avaient transformé le pays en cocotte-minute, et il semblait que le cousin Raouf était la seule vis qui empêchait son couvercle d'exploser. Il s'aspergeait au brumisateur en pianotant sur son iPhone. La mémé le regardait sans comprendre, sans comprendre cette nouvelle race d'hommes qui vivaient par écrans interposés. Branché sur le twitter d'une obsédée des sondages et sur le fil continu d'un site politique, Raouf allumait cigarette sur cigarette en commentant les pronostics électoraux qu'un collègue, gérant comme lui d'un restaurant halal à Londres, postait sur son Facebook.
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En public il apparaissait sûr de lui, conquérant : il n'était pas beau avec ses yeux jaunes, ses épaules trop larges et sa peau sombre et mal entretenue, mais avec le genre d'hommes dont il chassait le regard ça ne servait pas à grand-chose d'être beau, il suffisait d'être jeune, bien maquillé, d'avoir la taille fine et le torse imberbe et de dégager une chaleur de bête, une odeur d'étable et de péché.

Après avoir acheté des chewing-gums il se promena sur la place de la cathédrale où des enfants s'ébattaient sur un vieux tourniquet. Zoran crut soudain être suivi par un homme en blouson beige : il se dirigea au centre du parvis, là où rien ne pouvait lui arriver. Trois séries de quatre jets d'eau surgissaient d'une source invisible entre les dalles.
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Zoran erra dans le centre-ville en espérant y trouver l'homme qui devait le rendre riche. À peu près toutes les personnes qui le virent cet après-midi-là se retournèrent sur son passage et se fendirent d'un commentaire désobligeant, tantôt mimé tantôt dit à voix basse.

Il y eut aussi quelques personnes qui parlèrent suffisamment haut pour qu'il entende : un épicier barbichu, une mère de famille qui clopait sur sa poussette, des adolescents arabes en survêtement, deux ouvriers du bâtiment pendant leur pause, une petite bonne femme qui travaillait sans doute à la préfecture et un électricien qui avait du poil sur les épaules.

Tous le haïssaient instantanément en comprenant que ce n'était pas une fille, mais leur haine se nourrissait surtout de ce qu'il n'était pas une non-fille de façon sûre et définitive, de ce qu'il personnifiait l'ambiguïté sexuelle longtemps après la première impression, depuis son déhanchement provocateur et caricatural jusqu'à la plus insignifiante de ses mimiques
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Quand le soleil brille enfin dans ce ciel délavé, sans poussières, sans pollution, les couleurs éclatent, le vert des prés, le rose des prunus en fleur, le violet des glycines qui chamarrent les portillons des villas habitées. Des arbres aux floraisons plus lentes font des taches argentées et floues dans le paysage. De nombreuses maisons laissent voir leurs briques bicolores et losangées typiques de la région, qui se retrouvent aussi dans les encadrements des portes et des fenêtres.
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Ces gens avaient besoin de lui, on l'appelait et il entendait l'appel, il se sentait responsable. Une fois qu'on s'est senti responsable on le devient, c'est comme ça, on ne peut plus faire comme avant.
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Propulsée du bocage bourdonnais à l'une des meilleures classes préparatoires de la grande ville la plus proche, elle caracole en tête des classements dans toutes les matières. On murmure sur son passage. On cherche des explications à son extraordinaire aisance. Elle n'a pas de martingale, simplement une compréhension affinée du goût des examinateurs. C'est le secret bien connu des bons élèves, secret qu'ils perdent, en général, lorsqu'il leur faut quitter les parois molletonnées de la vie académique.
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Sabri Louatah
Rien n’est irréversible selon lui, les idées changent le monde, les abstractions peuvent libérer les masses, des enfants travaillaient au fond des mines avant que le Progrès avec un grand P ne déferle dans les pages des livres, les colonnes des journaux et les pensées des gens.
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Allia fait partie d’un club de pionniers à cet égard. Tous les soirs, après les cours, ils font de la programmation. C’est sa passion la plus précoce : on lui a offert son premier ordinateur à douze ans, un IBM PS1. Le code et la littérature, ajouterait-elle. Les grands romans pour comprendre la nature humaine, les algorithmes pour la transformer.
Elle a les cheveux frisés, c’est un petit drame, pour elle, ses cheveux frisés. Elle s’est taillé un corps de sportive toute seule, longues cuisses, hanches fines, cambrure de nageuse et bonnes épaules, le corps des bourgeoises de la très bonne bourgeoisie, qui en héritent et qu’elles conservent en faisant de l’équitation en Normandie, Ali a compris comment ça marchait en arrivant à Lyon, une ville bourgeoise : des hommes riches épousent des femmes belles pour faire des enfants qui seront les deux, riches et beaux, prêts pour conquérir ce monde qui leur est déjà réservé.
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Page 227

Les vidéos virales projettent une lumière vive mais qui s’éteint d’un coup, nous obligeant à appeler en renfort des lumières artificielles de plus en plus éblouissantes pour supporter la nuit de nos solitudes juxtaposées sur les réseaux sociaux. Au contraire, Allia veut faire naître des lueurs, à l’éclat modeste et à la dimension humaine.
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