Umm Salem est entrée dans la pièce en balançant sa graisse, un demi-kilo d'or attaché à son cou et portant une demi-douzaine de bracelets à l'avant-bras. Elle nous a accueillis avec beaucoup de générosité et d'inquiétude. La situation était en effet troublante et des émotions contradictoires étaient en jeu. Elle était mortifiée parce qu'Abou Salem avait pris une seconde épouse, mais elle était fière du soutien tyrannique de ses fils. Mais l’élément le plus important dans cette situation spécifique était la prise de conscience qu’elle était devenue le centre d’attention de toutes ces femmes qui ne lui avaient jamais rendu visite auparavant. Elle était malheureusement analphabète et ne savait pas comment s’habiller, parler ou se montrer. Elle ne savait pas comment faire semblant et se vanter de sa famille et de ses exploits . Elle venait d'une famille de paysans. Au lieu de quelques moutons et d’un poulailler, elle s’est retrouvée dans une maison remplie de tables et de canapés importés d’Italie et polis par Abu Mas’ud, le menuisier du quartier, pour les mettre à la hauteur du statut d’Abu Salem. Il y ajouta un cordon doré et des coussins en satin et velours. Il y avait des bibelots en nacre et en or, ainsi qu'une boîte à cigarettes musicale posée sur la table d'appoint. Il y avait un piano et une horloge avec un oiseau en bois qui chantait toutes les cinq ou dix minutes. Les rideaux étaient en satin rose vif plissé, avec des franges et des pompons dorés…..
Il avait envie de lui donner une leçon pour l'ébranler et lui rappeler que leur beau pays avait disparu, qu'on l'avait détruit, réduisant les trois-quarts de la population à vendre du chewing-gum, à faire la queue devant les bureaux de l'UNRWA pour recevoir des rations alimentaires comme les mendiants, et à vivre la vie des chiens dans les décharges publiques.
le soleil rougeoyait au dessus des oliviers. Les paysannes apeurées rejoignirent leurs sacs... Nouzha regardait les jeunes sauter de partout, attaquer d'un côté, bondir de l'autre, courir, s'élancer d'un rocher à un autre... Quelques minutes plus tard un premier jeune trébucha.
Mon coeur est anéanti. Je suis en même temps près d'elle et loin d'elle. Je l'ai vue voguer sur les fleuves, les routes et les collines de l'Ouest. Des milliers de lumières scintillaient dans le lointain, et moi qui continuais à croire qu'elle était mon pays et ma terre, mais elle n'était ni l'un ni l'autre; je croyais qu'elle était lumière, mais elle était feu. J'errais partout, ruminant mon chagrin ; j'appelais le vent, et mon coeur me brûlait tel une enclume. Je me disais : elle était là, et maintenant elle est ici. Pourquoi change-t-elle d'endroit ? Qui est perdu ? Moi ou mon chemin ? Mon chemin est long et oubliés aux confins de la terre. Je suis l'abandonné et celui qui abandonne. Je suis l'aimé et l'amant. Le mirage de Sahab m'entraîne sur un tapis volant. C'est la révolution qui part à vau-l'eau, l'Intifada qui est rattrapée par la peur. J'ai peur de me perdre avec elle. J'ai peur de rester, de fuir ; je crains que la nuit m'emporte, que j'oublie mes promesses. Mais si tu me promets, je n'oublierai pas.
C'étaient des jours dorés, telles des fêtes d'anniversaire. Dans une révolution, on naît cent fois et on meurt des milliers de fois. La révolution n'est pas une fusée, mais un fleuve qui coule. Parfois les secours n'arrivent pas, la pluie se fait rare, le fleuve connaît alors des moments difficiles et semble aussi fin, aussi ténu qu'un fil de soie. D'autres fois, il se déchaîne, comme un volcan en éruption, ravage tout sur son passage et provoque d'énormes dégâts. Ô ciel généreux, ô colère de la terre, qui choisit son heure comme la tempête ! Puis le cycle arrive à son terme; les choses retrouvent leur état initial : le fleuve redevient un fil qui oscille, la révolution retourne à la réalité, le rocher dégringole au fond du fleuve, et Sisyphe reprend son fardeau.
Il arrive qu'on se relâche et qu'on se mette à méditer, on perd alors la tête et l'on devient comme un animal blessé. Qu'avons-nous obtenu ? Qu'avons-nous perdu ? Où étions-nous et où sommes-nous maintenant ? Jusqu'où irons-nous ? Y aura-t-il une fin, un espoir ? Assez de divagation ! Tout cela n'est que divagations et jeux de l'esprit. Le doute, l'ennui, la solitude, nous n'avons pas de temps pour ces futilités. Galope, fuis, cogne, avertis, appelle, siffle, grave des mots d'ordre, prévois, expédie des messages, enterre, creuse, subis, supporte, ris, ris encore au plus haut de ton chagrin, tu es le bâtisseur et le destructeur, tu es l monde et l'immortalité du monde.
Qu'arrivera-t-il s'il me fait une promesse et ne la tient pas, s'il m'offre un amour qui s'évaporera au nom du changement ? Si je me perds dans les détails de sa vie et oublie mon nom pour le changement ? Si une tempête souffle et arrache son coeur au mien ? Que me restera-t-il ? Devrais-je attendre la mort, la peur, ou ne plus exister ? La peur est un bouclier qui ne protège même pas les sages. C'est ça la solution, le bouclier : mourir vivante, cesser de vivre, marcher les yeux bandés, fermer ta porte, vivre ta ruine et t'envelopper dans les couvertures de la mort.
Dépiuille-toi de ton corps comme d'un vêtement, lui avait dit Samih. Seul ton corps est en prison, ton esprit ne peut être prisonnier, on ne peut pas attraper le vent.
Qu'est-ce qui est plus sincère : revenir sur une position à laquelle je ne crois plus, parce qu'elle a changé, ou rester attaché à un vieil édifice qui m'a abrité quand j'étais plus jeune ? Les positions changent, les visages, l'histoire, les sentiments, les engagements, tout change. C'est la vie qui ne cesse de tourner, devons-nous nous arrêter ? Devons-nous nier et défier les lois du changement alors que nous luttons pour le changement ?
C'est plutôt l'idée qui est courte. Regarde, mon grand : dans le premier poème, j'étais la mère ; maintenant, je suis la terre ; demain je serai certainement le symbole. Réveille-toi, mon grand. Je ne suis ni la mère, ni la terre, ni le symbole ; je suis un être humain : je mange, je bois, je rêve, je me trompe, je m'égare, je souffre, je parle au vent. Je ne suis pas le symbole, je suis la femme.