Citations de Sandro Veronesi (156)
Tout propos d'ailleurs, même le plus ridicule, prononcé peu avant la mort de quelqu'un, frôle la frontière obscure de la prophetie, mais il ne faut jamais oublier que le temps ne s'écoule que dans un sens, et que ce qu'on voit en le remontant est trompeur. Le temps n'est pas un palindrome : en partant de la fin et en le parcourant à l'envers dans son entier, il semble prendre d'autres significations, inquiétantes, toujours, et il ne faut pas se laisser impressionner.
C'est un calme chaos, ce qui m'habite. Un calme chaos.
Le portrait de cet Italie est bien réel et juste, l'église omniprésente et omnisciente dans les villages au point d'engendrer des gosses abîmés et rendre des hommes de foi possédé par leur mission. Il y a de bonnes choses mais assez peu de rebondissements, on attend qu'il se passe quelque chose en vain, ces gamins virent mal sans surprises et au final c'est la solitude qui prime dans ce monde de requins.
"Chaos calme" était bien plus réussi.
[il] proposa ensuite de participer, joua, se défoula et se donna en spectacle, renouant ainsi à taper dans le ballon, avec le plaisir inégalable de se sentir supérieur - seule véritable satisfaction qu'il eût jamais connue; et il lui sembla possible, mais oui, de continuer sa vie de résidu sans être obligé de renoncer à ces petits triomphes.
tu sais ce qui m'avait le plus troublée dans toute ma vie? c'est quand j'ai découvert que ma mamie était aussi ta maman
San Giuda est un petit hameau de 42 âmes perdu dans les montagnes du nord de l'Italie. Chaque matin, à 10 heures, le traineau de Beppe Formento, qui tient un centre équestre de l'autre côté du bois, arrive avec ses quelques touristes, pour une visite éclair du village avant de repartir d'où il est venu. Tous les jours, sans exception. Imaginez donc la consternation des habitants lorsque, par un matin de novembre, le traineau se présente vide sur la place du village, tiré par un seul des deux chevaux, terrorisé et les yeux révulsés.
Les lieux où nous vivions, non plus seulement San Giuda mais aussi désormais les vallées environnantes, le Trentin tout entier, peut-être l’Italie elle-même, étaient baignés par le sentiment de mort et d’impuissance que le carnage avait comme diffusé dans l’air que l’on respirait. Il s’avéra plus tard que les six mois suivant le carnage avaient enregistré un envol historique des départs d’Italie, alors que le nombre d’enfants conçus ce même semestre accusait une chute sans précédent
... c'est le jour zéro et en conclusion soit on est le voyageur que j'ai toujours été qui accuse le paysan de ne rien savoir soit on est le paysan que je serai dorénavant et qui gentiment et en continuant à piocher lui répond oui monsieur c'est vrai monsieur moi je ne sais rien monsieur mais celui qui s'est perdu c'est vous.
Les jours qui ont suivi le massacre ont été les pires de ma vie, et je m'en souviens à peine. Du moins comme jours, comme succession d'heures qui scandent le temps, je m'en souviens à peine : je me souviens plutôt de tout un ensemble d'angoisse, de déplacements, d'attentes, de peurs, de questions, de froid, de silence, de lassitude, de stupeur, d'impuissance, tout cela comme renversé pêle-mêle dans ma vie, sans ordre, sans un véritable écoulement. Dévider cette pelote, faire la distinction entre l'avant et l'après et raconter ces jours-là en suivant un fil chronologique, ça m'est impossible : dans ma mémoire il ne s'agit désormais plus que d'un encombrement unique, comme si le temps s'était arrêté, voilà, à l'instant où j'étais descendu de cette motoneige, et qu'à partir de là, ensuite, tout eût commencé à arriver simultanément.
Je suis l'homme à la mémoire formidable , en train de perdre la mémoire.
Je suis aussi l'époux qui s'est efforcé de ne pas trahir sa femme ,comme si son mariage ne pouvait être qu'ainsi, et qui ne s'est pas aperçu que sa femme le trompait.
Cet homme,c'est moi. Mais je suis aussi le fils qui n'était pas d'accord avec son père. Par la faute du père,naturellement, et qui ne s'est jamais demandé qui était réellement son père.
Puis le jour de la désillusion arriva,vite,tout de suite presque-comme si les illusions aussi étaient un luxe que Pampa ne pouvait pas s'offrir
Le seul ami des clandestins est l'instinct.
Tu sais pourquoi il faut qu'on s'invente des fistons,nous? Parce qu'on n'a pas de femme pour nous en pondre.
Il s'aperçut qu'une grande part de colère disparaît quand on la raconte à quelqu'un.
Rase-Mèche savait qu'on ne pouvait pas ne pas exister,il fallait peu ou prou être quelqu'un:l'avenir était déjà assez sombre en soi,entre la vieillesse aux aguets et les portes de la prison toujours ouvertes,pas question de lui donner un atout supplémentaire.
Non mais c’est écrit où qu’on ne sourit plus à un enfant de quatre ans? Ou alors vous ne lui souriez pas avant non plus, ça vaudrait mieux, non? Même quand il est dans son landau, nom de Dieu. Toi, la mère, tu te crèves la paillasse avec ton gosse, tu t’occupes de lui jour et nuit, tu te sacrifies, tu lui prodigues tous les soins, et tu ne demandes rien en échange, tu le fais, c’est tout. Puis tu sors, tu l’accompagnes chez le médecin, tu l’accompagnes à la crèche, tu retournes le chercher, tu l’emmènes avec toi au supermarché, et tous les gens que tu rencontres, tous, même ces connards de touristes, quand ils te rencontrent avec lui, ils te sourient. Ils sourient à l’enfant, à cause de l’enfant, mais ils te sourient aussi à toi, ils sourient à ce que vous êtes ensemble. [...] Ces sourires sont de l’énergie qu’on met à ta disposition, et tu t’habitues à en disposer, tu penses qu’en dépit de tout ce qui déconne dans ta vie, quand tu es avec lui, il y a de grands sourires pour toi.[...]
Mais soudain, d’un jour à l’autre, vous arrêtez : ça s’est passé avec Giovanni, quand il avait quatre ans et ça m’a sacrément secouée. J’allais dans les magasins, je me promenais dans la rue, je venais vous voir, et personne ne me souriait plus. Alors quoi, avais-je envie de vous demander, il est trop grand? A quatre ans?
Dès que tu sens que tu n'y arrives pas, laisse tomber. Toujours, en toute situation, lâche prise. Ne résiste à rien, jamais.
Tout propos d'ailleurs, même le plus ridicule, prononcé peu avant la mort de quelqu'un, frôle la frontière obscure de la prophétie, mais il ne faut jamais oublier que le temps ne s'écoule que dans un sens, et que ce qu'on voit en le remontant est trompeur. (p.128)