Contrairement au
Clèves de
Marie Darrieussecq que j'avais étiqueté :"Une ironie vitriolée qui fait mal", pensant, encore aujourd'hui, que cette agrégée surdouée, spécialiste de la princesse de
Clèves, avait simplement dénigré un milieu pitoyable incapable d'accéder à ses (le ses de l'auteur bien sûr) propres capacités d'abstraction;
Terrain Vague de
Sandro Veronesi me paraît, lui, un vrai livre sur la délinquance, c'est pourquoi, revenue sur ma première note, je n'ai pas voulu sanctionner l'univers noir et désespéré décrit mais diffuser le message en filigrane qui devrait être lu par tous les parents ou enseignants perdus ou aveugles et bien sûr les futurs élus des futures élections (puisque statistiquement parlant, voir internet, 33,5/ de lycéens touchent à la drogue, qui pour moi est une forme de violence même s'il n'en est pas question dans ce livre): La violence entraîne la violence et plus on veut mâter une forte tête plus elle se renforce dans ses instincts les plus primaires ne craignant pas la mort, mieux vaut comprendre que contraindre et humilier car deux solutions aussi mauvaises l'une que l'autre:ou le gagnant est la victime de l'arène qui part avec un grand bras d'honneur démontrant par là même aux bons penseurs qu'ils sont des cons ou bien la victime devient bourreau à son tour devenant un méchant ce qui est l'inverse du but recherché.
L'histoire: dans l'Italie des années 60, dans ces quartiers plus pauvres que riches, tout est pourri. Contamination,engrenage, le virus passe de l'un à l'autre et dissémine tout ce qu'il touche.
D'un côté,"l'orphelinat des Chérubins"mené à la baguette, si ce n'est au cachot par le père Spartacus, "à la réputation de sainteté", dont le délire mystique va s'aggraver au fil du temps poussant les soeurs "dépassées par les évènements" à employer de pareilles méthodes (sinon pires), de l'autre les bas-fonds d'où viennent les bébés abandonnés recueillis dont les mères se prostituent, les pères boivent ou sont incestueux ou travaillent à l'usine et se retrouvent au chômage lorsque l'usine brûle pour que leur patron puisse toucher les indemnités incendie.
Terrain vague conte l'histoire de Salvatore, "chérubin", "monté sur un ressort", qui s'évade loin des sévices, devient "bon cambrioleur", se retrouve embrigadé dans des trafics par un Calabrais en mal de fils; l'histoire de Pampa éduqué par Salvatore qu'il admire, puis soumis à la tentation du feu et l'histoire de Gaetano,l'enfant débile, qui dessine sur les murs.
Trois exemples entre ruse, destruction et crétinisme qui crachent à la face du monde les ravages qu'entraînent le manque d'amour et l'obscurantisme.
La délinquance, manque d'amour,de père et de repères,
Terrain vague dont toutes les figures parentales sont des exemples à ne pas suivre:
C'est un sujet qui m'a intéressée car, ayant travaillé dans une cité identique (à l'italienne décrite) je pourrais témoigner qu'il existe des enfants en manque d'amour capables de taper les murs de leurs poings,des femmes battues aux cheveux arrachés que l'enfant impuissant essaye de sauver à l'aide d'un canif ou des grands-pères appelant leur petite fille de cinq ans ma petite pute.
Ces enfants là, auxquels sont parfois confrontés les psychiatres lorsque les assistantes sociales signalent leurs cas, ne s'en sortent qu'en retrouvant les repères qui leur font défaut comme l'explique si bien le pédopsychiatre
Marcel Rufo dont le futur pôle psychiatrique à Marseille permettra (par exemple) de les mettre en contact avec leurs vedettes de foot préférées et de s'identifier à leurs idoles.
Sandro Veronesi, écrivain italien contemporain, a obtenu le prix Campellio et le prix Viareggio 2000 pour
La force du passé; le prix Strega 2006 et en France le Fémina et le prix Méditerranée 2008 pour
Chaos calme (adapté au cinéma).
Il a mis, confie-t-il en prologue, vingt ans pour accoucher de
Terrain vague,dont les personnages qui l'ont si longtemps habité sont à présent libres. Bravo, c'est souvent ça l'écriture:une levée de verrous!