Citations de Sarane Alexandrian (63)
Mon principe initial est que l'histoire de la philosophie occulte ne commence qu'avec le début du christianisme : j'étaye ce postulat de nombreux exemples, et d'une analyse des rapports entre le sacré, le religieux et le magique. Ordinairement, on ne fait pas la différence entre la magie des Orientaux et des Occidentaux, comme si, depuis les temps antiques jusqu'aux temps modernes, elles appartenaient au même système. Or, on ne peut les mettre en balance, pour la simple raison que dans l'Orient ancien et dans l'Antiquité gréco-romaine, le sacré dépendait d'un ensemble où la magie et la religion se confondaient. (...) Un Égyptien du Nouvel Empire attachant à son poignet quelque amulette, soit un « oeil d'Horus » ou un « pilier djed », n'encourait pas le blâme des prêtres de Karnak. (...) Tandis qu'un chrétien des premiers siècles usant de talismans, d'incantations, de procédés divinatoires, agissait à l'encontre des constitutions apostoliques, des interdits contre l'astrologie et les charmes décrétés en 366 par le concile de Laodicée, puis par les conciles ultérieurs d'Agde, d'Orléans, d'Auxerre, de Narbonne. Les pères de l'Église veillèrent à montrer que le sacré ne s'identifiait pas au magique, mais qu'il était exclusivement le fait du religieux ; si bien que la magie, dissociée de la religion, rejetée à part, tenta de s'allier avec la philosophie pour justifier de son importance et se muer en idéologie d'opposition.
... La manie de l'exotisme est devenue telle qu'on croit tirer plus d'enseignement de l'autobiographie d'un sorcier Hopi, Don Tayalesva, que de celle d'un mage de la Renaissance, Jérôme Cardan. Même les essais d'hérésiologie sur les sectes européennes négligent l'apport des doctrines occultistes du XIX° siècle, et ne citent guère Fabre d'Olivet et Papus. Il y a là, partout, une lacune persistante dans l'appréciation des fondements de l'esprit occidental, qui justifie ma tentative pour la combler.
Les auteurs rationalistes tiennent le domaine occulte pour un ensemble d'errements idéologiques dont on s'est délivré à force de raison discursive et de science ; (...) Mon point de vue admet, au contraire, qu'on n'est pas entièrement sorti des des croyances magiques, et qu'on n'en sortira probablement jamais : l'homme le plus raisonnable du monde les conserve affaiblies et travesties en lui. Elles ne tendent pas à s'effacer, mais à se dissimuler de plus en plus profondément sous des apparences logico-pragmatiques. Au lieu de considérer ces croyances magiques comme lettres mortes, on doit y voir les signes vivants d'un état d'esprit en perpétuelle évolution au cours des âges. Elles correspondent à des ressources psychiques permanentes de l'humanité, que la philosophie occulte prétend définir, augmenter, utiliser pour le mieux de l'individu, ce qui rend son étude indispensable, parmi d'autres, à une bonne appréciation du devenir de l'être humain.
... Pour moi - et c'est là une des lignes directrices de mon étude -, la philosophie occulte est nécessité par la constitution de l'esprit humain comportant inévitablement la pensée magique et la pensée pragmatique. La pensée magique est inhérente à l'inconscient, la pensée pragmatique résulte du conscient. La philosophie occulte est de tous les temps parce qu'elle systématise la pensée magique que chacun porte en soi, qu'il l'accepte ou la nie, qu'il la cultive ou la réprime. Cette pensée magique apparaît sans entraves dans la fabulation enfantine, dans le rêve et dans la névrose. Tout homme a été enfant, tout homme rêve la nuit, tout homme peut traverser une névrose d'angoisse relative à un traumatisme moral ; tout homme est donc susceptible, à chaque instant de sa vie, d'assister à l'émergence en lui des paradigmes de la magie ancestrale.
Au début du XXe siècle, Aleister Crowley, écrivain ayant le génie du scandale, d'un dandysme pervers dépassant celui d'Oscar Wilde, entreprit de combiner la magie noire et la magie rouge. (...)
L’œuvre d'Aleister Crowley, comptant des recueils de poèmes, des récits et des rituels magiques, fut un mélange de notions tirées du Livre des Morts égyptien, de l'enseignement de John Dee, du yoga tantrique et du grimoire attribué à Abramelin le Mage. Il employa la sexualité avec frénésie, cherchant à jouir dangereusement, à travers un paroxysme faisant craquer les nerfs de ses partenaires ; on peut lui reprocher d'avoir utilisé des adjuvants artificiels (alcool, drogue), alors que Randolph se limitait aux excitants naturels (couleurs, parfums). Ce personnage prodigieux reste celui qui a le mieux réalisé l'hypnose sexuelle permettant à un couple d'explorer le monde invisible, l'amant servant d'opérateur et l'aimée de médium.
La thaumaturgie, art d'accomplir des guérisons miraculeuses, est apparue en Occident avec les christianisme. Dans l'Antiquité, il n'existait que des philiastres (médecins amateurs), comme l'étaient les philosophes, de Démocrite à Aristote, voulant prouver que leur philosophie englobait toute science. Asclépios (Esculape), le demi-dieu de la médecine, avait été foudroyé par Zeus parce qu'il s'ingérait de ressusciter les morts. Les Grecs consultant les Asclépiades, qui desservaient le culte d'Asclépios à Épidaure, ou les Égyptiens s'adressant aux prêtres de la déesse-lionne Sekhmet, ne croyaient pas plus faire un acte inhabituel que quelqu'un se rendant aujourd'hui dans une station thermale pour une cure.
Dès que ce magister ouvrit la bouche, la surprise fut à son comble : il parlait en allemand et non en latin (Paracelse fut ainsi le premier professeur de médecine à faire son cours en langue vulgaire). Et ce qu'il disait était extraordinaire : il s'opposait aux traités médicaux d'Aristote et des Arabes, rejetaient les prescriptions de l'école galénique, et affirmait qu'il y avait plus de sagesse dans les remèdes de bonne femme que dans les drogues des apothicaires.
(...) le tarot est originaire d'Italie, et le plus ancien, le tarot de Venise, à la fin du XIVe siècle, est le jeu traditionnel de soixante-dix-huit lames, dont vingt-deux servant de triomphes (...).
Marie la prophétesse fut tellement révérée des alchimistes qu'ils nommèrent "bain-marie" (terme resté usité) leur mode de cuisson consistant à placer un vase de substance à distiller dans un chaudron d'eau chaude, ce qu’auparavant ils qualifiaient de "bain marin" "parce que le vaisseau qu'on met dedans y baigne comme dans une mer".
En France, Jules Doinel fonda l'Église gnostique universelle en l'an 1890, qui fut décrété "l'an I de la Restauration de la Gnose". (...) Cette initiative eut un certain succès, car à la fin du XIXe siècle il y avait des églises gnostiques dans seize villes de France dont Paris, et d'autres en Italie et en Pologne, notamment à Milan, à Concorezzo et à Varsovie. (...) Le XXe siècle a opéré la consécration de la Gnose. Non seulement on y a vu des humanistes chrétiens, comme le père François Sagnard, glorifier la gnose valentinienne à laquelle Renan se montra moins incompréhensif, mais aussi des écrivains originaux y purent passer pour des homologues des gnostiques.
La mauvaise réputation des orgies antiques date de l'affaire des bacchanales de Tome en l'an 186 avant J.-C., racontée par Tite-Live au livre 38 de son Histoire romaine. Sous le prétexte du culte de Bacchus, des réunions homosexuelles avaient lieu la nuit cinq fois par mois, où l'on débauchait des jeunes gens en molestant ceux qui résistaient. Le Sénat fit châtier les coupables, au nombre de sept mille, et voter une loi contre les assemblées nocturnes.
Une des originalités les plus séduisantes de la Gnose fut l'importance exceptionnelle qu'elle accorda à l'élément féminin en métaphysique et en morale. On a vu que, pour la plupart des gnostiques, le Saint-Esprit s'identifie à une femme immatérielle, sœur et épouse de Christos ; l'âme est comme une jeune fille emprisonnée dans le corps de l'homme (...) ; la "Vierge de lumière" joue le rôle de juge suprême de l'au-delà ; les souffrances de Sophia incitent Jésus à la soulager et, à travers elle, à délivrer l'humanité toute entière. Ce féminisme ardent est la différence essentielle de la Gnose avec la Kabbale, foncièrement misogyne, comme l'a noté Scholem : "C'est une doctrine masculine, faite par des hommes et pour des hommes. La longue histoire de la mystique juive ne montre aucune trace d'une influence féminine. Il n'y a pas eu de femmes kabbalistes."
Éliphas Lévi a défini l’occultisme comme une philosophie combinant trois sciences : la Kabbale, ou "mathématiques de la pensée humaine", la magie "connaissance des lois secrètes et particulières de la nature qui produisent des fores cachées", et l'hermétisme, "science de la nature cachée dans les hiéroglyphes et les symboles de l'ancien monde".
Une fugue est un suicide blanc. C'est une corrida sans mise à mort, un rêve sans sommeil, un jeu de hasard dont on est le cornet à dés. Le fugueur souvent ne fuit rien, n'espère rien trouver : il mime dans l'espace et le temps une impossibilité qui le tourmente, il est le chorégraphe de son indécision.
« ... Et ça, dans le cohue des sons, des odeurs, comme chose trrrrrrrrrrès importante ! C’était (là-bas maintenant, ici une autre fois, pourquoi toujours jamais ?) c’était (niveau de bulles) c’était (bulles de mémoire ?) c’était (univers de transe lucidité) c’était (murmure grossissant, horizon embués qui se clarifient) c’était le jour du renouvellement des rites dans la ville d’Iddenlo, capitale de la Gondwanie. L’année commençait, et selon la coutume, la population célébrait avec faste le début du cycle des deux saisons. Après huit mois d’absence, le soleil était glorieusement apparu, annonçant le retour de la saison claire pour un temps de moitié moins long, durant lequel resplendissaient les bienfaits conjugués du printemps et de l’été. L’allégresse avait soulevé la foule qui s’était répandue en chants, en actions de grâce et en congratulations réciproques par les rues dès le matin. A cette joie exubérante et naïve succédait à présent le sentiment des responsabilités incombant au peuple en ce grand jour : il s’agissait d’approuver le choix qui allait être fait du Maître de l’An. »
Les Terres fortunées du songe, p. 11
En fait, si la littérature érotique est dangereuse pour les mœurs, elle ne l’est pas plus que toutes les autres espèces de littérature qu’on lit en renonçant à son sens critique. On l’accuse d’encourager à la débauche. La littérature policière peut inciter au vol et au meurtre, et même la littérature religieuse à la persécution fanatique des non-croyants, quand elles sont la nourriture d’un esprit faible se persuadant que le texte imprimé indique infailliblement ce qu’il faut faire. Les livres nous renseignent sur ce que d’autres hommes pensent ou imaginent, voilà tout. On garde toute liberté d’adopter ou de rejeter leurs principes. Cette littérature présente l’érotisme non tel qu’il est en réalité, mais tel qu’il se déploierait si les désirs s’affranchissaient totalement des convenances et des inhibitions. [...] L’idéal de la culture est de rendre l’homme capable de tout lire et de tout voir.
À Rome, on nommait un sorcier un veneficus, c'est-à-dire, le préparateur d'un veneficum, ou potion pour l'amour
Maria de Naglowska, (...), fonda en 1932 à Paris la Confrérie de la Flèche d'or, dont le but premier était de réparer le règne de la Mère (succédant au règne du Père et du Fils établi par l'ère chrétienne), en formant des "prêtresses d'amour" capables de la fécondation morale des hommes. Son mouvement d'un féminisme superbe, au rituel codifié dans son livre La Lumière du sexe (1933), prétendait neutraliser le Mal en lui opposant des actes sexuels religieux, exécutés sous la direction de prostituées sacrées comparables aux hiérodules de Byblos.
En s'inspirant de l'hindouisme et de l'ascétisme chinois, les occultistes modernes voulurent revaloriser la hiérogamie, union sacrée où l'homme et la femme se considèrent comme le prêtre et la prêtresse d'une religion primordiale, et cherchent dans l'accouplement un effet encore plus sublime que le plaisir.
La croyance aux incubes et aux succubes fut une croyance savante, et non une superstition populaire.