Sebastian Fitzek

Il se prit à douter de sa foi, qu'il n'avait malgré tout jamais complètement abandonnée. Martin était certain qu'après la mort, autre chose l'attendait qu'un long sommeil sans rêve. Mais il espérait ne jamais devoir rencontrer son Créateur; dans le cas contraire, face au responsable qui, assis au guichet des tickets pour la vie, distribuait à des enfants innocents des allers simples pour la chambre des tortures de psychopathes sexuels, il n'en resterait pas à une petite discussion amicale.

La mort n’est pas abonnée aux lieux hideux.

Au contraire. Je commençais à croire que la souffrance et le malheur aimaient le décalage. Souvent, en sillonnant les allées des beaux quartiers berlinois bordés de magnifiques jardins, de villas majestueuses et d’extravagantes maisons d’architectes, je me prenais à penser que la peine et le désespoir étaient aux aguets derrière ces façades de bien-être et de bonheur. J’avais parfois envie d’aller y sonner juste pour m’assurer que tel ou tel bâtiment de luxe discrètement éclairé n’hébergeait pas un monstre tortionnaire de femmes ou violeurs d’enfants.

Soit on rencontrait une jolie femme alors qu'on avait déjà la bague au doigt, soit la bague n'était plus là, et chaque jolie femme éveillait le souvenir de ce qu'on avait perdu.

Une prison était mieux organisée qu'un supermarché, avec un choix de marchandises plus vaste et des horaires d'ouverture mieux adaptés à la clientèle. Y compris le dimanche et les jours fériés.

Il avait beaucoup maigri ces dernières années, beaucoup trop. Seul son nez n'avait pas rétréci - une caractéristique commune à tous les membres masculins de la famille Schwartz depuis des générations. Le fait que sa défunte femme l'ai un jour trouvé sexy était selon lui la preuve définitive que l'amour rend aveugle.

- J'ai besoin d'un avocat. Je suis un assassin.
[...]
- OK. Tu crois que tu as tué quelqu'un ? dit-il après un nouveau silence.
- Oui.
- Je peux te demander qui ?
- Je ne sais pas.
- Ah bon, tu ne sais pas. (Stern eut un bref éclat de rire.) Et tu ne sais pas non plus, sans doute, comment, pourquoi et où ça s'est passé, parce que tout ça, c'est une blague de petit con et que...
- Avec une hache, chuchota Simon.
[...]
- Pardon ?
- Avec une hache. Sur la tête d'un homme. Je n'en sais pas beaucoup plus. Ca fait longtemps déjà.
Robert cligna nerveusement des yeux.
- Qu'entends-tu par longtemps ? C'était quand ?
[...]
- Ah, voilà, c'était ici, confirma Simon sur un ton satisfait en prenant Carina par la main. C'est là que j'ai tué un homme. Le 28 octobre. Il y a quinze ans.

On dit souvent qu’il n’y a pire blessure qu’un mensonge. C’est faux. Les séquelles les plus profondes sont celles ouvertes par une vérité proclamée sans fard, dévoilant une erreur fatale et impossible à réparer.

C'était la seconde fois qu'elle avait recours à ses services, après l'affaire de harcèlement. Depuis cette nuit là, à l'hôtel. La nuit où elle avait été victime d'un fou. Un récidiviste qui, avant elle, avait déjà surpris trois autres femmes dans leurs chambres d'hôtel pour leur tondre la tête au rasoir électrique. Après les avoir sauvagement violéees...

Je me demandai à quoi ressemblerait le monde dans quelques années, quand tous les gens dont la jeune âme avait été harcelée par la haine et le harcèlement deviendraient adultes. A condition même qu'ils y parviennent.

Le sort se fiche que l’on se croie soi-même arrivé au bord du gouffre.

Elle ne devait pas avoir plus de quarante ans, bien que la douleur dans voix faussât sans doute mon estimation. On aurait dit que la peine avait creusé de profondes ornières dans ses cordes vocales, ce qui renforça mon soupçon quant à son identité.

– La Emilia Jagow ?

Il a changé, oui. Évidemment, depuis la disparition de Feline, il n’est plus le même. Nous avons tous changé. Mais ce soir-là, il a enlevé toutes les photos de notre fille de l’étagère, et depuis, il refuse de parler d’elle. J’ai l’impression qu’il l’a complètement abandonnée, du jour au lendemain.

L'espoir, c'est comme un éclat de verre planté dans ton pied. Tant qu'il reste enfoncé dans ta chair, il te fait souffrir à chaque pas.
Tandis que si on te l'enlève, ça saignera pendant un moment, ça prendra un bout de temps avant que la plaie soit guérie, mais, au bout du compte, tu pourras réapprendre à marcher normalement. C'est ce qu'on appelle le deuil. Et je crois que tu devrais finir par t'y mettre.

Il commit l'erreur de jeter un bref coup d'œil vers le plafonnier, et soudain il eut l'impression d'être frappé par la foudre. Une publicité prétend qu'il existe trente-sept sortes de maux de tête qu'on peut combattre avec des médicaments disponibles en vente libre. Ce qu'il ressentit à ce moment n'en faisait manifestement pas partie. Il lui semblait qu'on lui transperçait les globes oculaires depuis l'intérieur avec de très fines aiguilles chauffées à blanc. Il cru même, en clignant des yeux, sentir la pointe de ces aiguilles lui déchirer jusqu'au sang l'intérieur des paupières.

Yegor ne saisirait jamais pourquoi un homme qui enfonçait un éclat de verre dans la gorge d'une femme sans défense se considérait comme plus honorable qu'un pédophile, mais heureusement pour lui, il n'avait jamais eu à se préoccuper des rapports de force en vigueur en prison.

Le problème des maladies mentales, c'est l'impossibilité de l'autodiagnostic. Vouloir comprendre son cerveau à l'aide de son propre cerveau revient à peu près aux efforts d'un chirurgien manchot pour se recoudre la main. Ça ne peut pas fonctionner.

Au lieu de cela, Larenz épuisait toutes les forces qui lui restaient à empêcher que l'insupportable certitude qu'il portait en lui remontât jusqu'à sa conscience. La vérité était déjà évidente. Elle était là, devant lui, tel un noyé qui n'aurait été séparé de ses sauveteurs que par une fine couche de glace. Mais cette glace, Viktor Larenz n'était pas prêt à la briser.
Du moins, pas encore.

Il se rassit derrière une grande table en chêne et ouvrit une sacoche en cuir aussi élimée qu’un arbre à chat.

Elle pourrait peut-être supporter la présence de l'objet étranger dans sa maison. Il changerait le cours de sa journée et bouleverserait son état affectif, mais le problème n'était pas le colis lui-même.
C'était son nom.

A part Juliane Koepcke. Le miracle de Noël. La jeune fille de dix sept ans avait été éjectée de l'appareil pour faire une chute de 3200 mètres, toujours attachée à son siège. Elle seule avait survécu à la catastrophe, s'en tirant avec une clavicule cassée, une entaille au bras droit et un œil tumefie.