Citations de Sébastien Rutés (109)
Je savais tout ça, mon intérêt professionnel pour l'argot m'ayant mené depuis longtemps à Villon. Son jargon mettait truands et linguistes sur un pied d'égalité: personne n'y comprenait rien.
Il a rarement regardé Vieux en face. Les autres fois, c’était pour le mettre en joue. Vieux n’a toujours été qu’un profil. Comme les sacs en plastique noir, Vieux et Gros ont été deux hommes parallèles, bien alignés. À vivre la vie de côté. À pisser parfois ensemble
Je connais la nature animale. J'ai trop souvent vu la peur dans nos yeux pour ne pas la reconnaître. Elle nous accompagne : un collet, un piège, une piqûre, une flèche, un hameçon, une nasse, du poison, un fusil...La peur !
Notre destin s'appelle l'Humain : nous avons peur !
...Partons du principe que l'écrivain ne dit jamais la vérité sur lui-même. Il y a les circonstances et des intentions qu'on ne connaît pas toujours. Villon écrivait sans doute pour se disculper des accusations portées contre lui ou pour justifier ses écarts. Pas étonnant qu'il joue les victimes. Il se montre tel qu'il voudrait qu'on le voie.Tous les écrivains font ça. Un texte est un masque qu'on présente au lecteur pour de bonnes raisons. (..)
On dit: l'oeuvre c'est l'homme, comme si l'homme était une chose très cohérente et qui ne change pas.Est-ce qu'on n'a pas le droit de changer, quand on est écrivain ou voyou ?
(p.173)
Mais notre règne arrivera
Quand votre règne finira:
Nous tisserons le linceul du vieux monde,
Car on entend déjà la révolte qui gronde.
Aristide Bruant, Les Canuts
[...]la valeur de la mort est facile à comprendre : un mort c’est tant d’argent viré sur ton compte en banque, mais la valeur de la vie, c’est difficile à évaluer[...]
L'inspecteur Rossignol, bien connu du grand public depuis la mésaventure qui lui valut, alors qu'il n'était que brigadier, un coup de couteau de l'anarchiste Duval, lequel avait répondu au réglementaire "au nom de la loi, je vous arrête" de l'inspecteur par un terrifiant mais mémorable, "au nom de la liberté, je te casse la tête", l'inspecteur Rossignol, donc, tenait jusqu'ici l'hypothèse du sadique solitaire pour la plus avérée.
"On peut savoir ce que vous faites ?
- De la graphologie.
-Les traducteurs en ont besoin ?
-Non,mais les détectives, oui"
Elle me regarda déconcertée. Ou bien la traduction à la chaîne de romans policiers avait eu raison de mon sens des réalités, ou bien j'essayais de me mettre dans la peau d'un personnage pour le rendre plus crédible en français. Drôle de méthode, mais Martine connaissait les bizarreries des traducteurs. Qu'attendre de gens qui s'expriment avec les mots des autres ? (p.99)
Le gros Corbeau murmure
Sur la Lande ventée,
Dans un buisson de mûres
Déjà toutes gobées:
Qui l'aurait cru peureux
A dédaigner ses songes ?
Coulant des jours heureux
Sans qu'un regret le ronge?
L' Humain fait dans la vie
Ce qu'avant dans la mort
Il faisait aux momies :
Il préserve son corps !
Il préserve son corps,
Il veut vivre longtemps,
Ne sachant pas encore
Pourquoi vivre un instant !
Qu 'il attende à jamais,
Ce tronc tout sec et creux .-
je me goinfre de baies
Et ne vivrai pas vieux !
P135
C'est toi la spécialiste de l'argot.Moi,je me contente de traduire de l'anglais.Raison pour laquelle il y a ton nom sur les livres et pas le mien."
A vrai dire,les raisons, il y en avait deux.La première : le monde du roman noir est un monde d'hommes,il est nécessaire d'entretenir l'illusion que les histoires arrivent tout droit d'une arrière-salle de tripot sans passer par des mains vernis dans des bureaux feutrés de Saint-Germain-des-Prés.Les romans doivent sentir la sueur,pas le parfum pour dames.Mes collègues du beau sexe en étaient réduites à prendre des pseudonymes masculins,sous peine de voir leur nom chaperonné par celui du patron sur les couvertures, question de crédibilité. (p.17)
Un nuage blanc est-il vraiment plus beau qu'un nuage noir ?
L'instinct qui leur commande de ne pas mourir les encourage à ne pas vivre car rien n'est aussi dangereux que vivre vraiment. Imaginant vivre, ils se contentent d'exister.
… tout ici s’exhibe impudiquement, la nature nue écarte les cuisses, suante sous la lumière crue des néons, peau de vieille putain qui n’a pas honte de ses cicatrices : prends-moi si tu l’oses !...
Les débats qui vous agitent, les controverses de l'instinct contre la raison, la Nature contre la civilisation, tout cela n'est rien.
Des Humains, j'ai appris une chose bien pire.
Une chose terrible, que les animaux ne soupçonnent pas.
Dès que tu la connaîtras, tu en souffriras, Kafka. Comme ce que nous disions de la conscience : on n'en souffre pas si l'on n'en a pas.
p218
Je n'attendais, de la part de la siamoise, aucun remerciement pour mon aide, ne pas me croquer aurait suffi en ce qui me concerne, à exprimer sa reconnaissance.
Et c'est parce que les cadavres sont si bien rangés, allignés, parrallèles qu'il ne faut pas rouler trop vite, pas seulement pour ne pas attirer l'attention des flics ni crever un pneu mais surtout pour ne pas déranger ce bel alignement toute cette belle organisation, le dernier refuge d'ordre et de propreté dans le chaos du monde, cette sensation d'harmonie que Gros a ressenti quand le commandant a ouverte les portes....
La volaille née sur les îlots du bassin qui croit que le monde se termine derrière les immeubles du boulevard a une excuse. L'ignorance entraine l'ignorance. La curiosité n'est pas un instinct, elle est dangereuse, suicidaire et, par conséquent, contre nature. Mais il arrive parfois à la Nature d'autoriser ses créatures à déroger à Ses lois.
Les meilleurs choix procèdent-ils de l’instinct ou de la raison?
. Tu ne me sortirais pas d’ici?
. Pourquoi le ferais-je?
. Pourquoi ne le ferais-tu pas?
. Pourquoi pas en effet? La cage n’avait qu’un loquet, le bec du Toucan ne passait pas entre les barreaux. A moi, il ne m’aurait rien coûté de le pousser mais l’instinct ne m’y encourageait pas. Qu’avaient à voir avec les miens les malheurs de ce drôle d’oiseau? Etait-il meilleur pour moi de le voir dehors que dedans? Les efforts ne se consentent pas pour rien, pourquoi agir lorsque ni la faim ni la peur ne nous y obligent? L’altruisme et la solidarité ne sont pas naturels… ni non plus la raison: sans savoir pourquoi je poussai le loquet. On a parfois de ces comportements inexplicables qui nous paraissent sur le moment une victoire contre l’instinct et dont on finit toujours par se repentir tôt ou tard. Plus tôt que tard dans mon cas…
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La nuit était tombée depuis longtemps lorsque les premiers bruits m'éveillèrent. Craquements des branches, halètements et grognements : les Chiens arrivèrent les premiers. Du moins fut-ce ce que je crus en m'éveillant mais des salutations susurrées me détrompèrent : bruissements et couinements, les Rats secrets les avaient devancés. J'imaginai Ruff le Savant, le Setter roux au poil grisonnant, s'asseyant pour discuter en vieil ami avec Tssis, le maître des Rats, si gros sur sa souche qu'on aurait pu le prendre pour un petit Chien. Plus loin sans doute, Boj IV, le Beauceron aux bas rouges, organisait-il la garde rapprochée des Beagles, ces Chiens de chasse qui n'étaient pas les plus dangereux mais ne perdaient jamais une piste. Le troisième conseiller canin était un Labrador que je ne connaissais pas plus que les autres Rats. Leur longévité ne dépassant pas les trois ans, ces derniers succédaient au Conseil à un rythme qui ne permettait à aucun d'y laisser la moindre trace, à l'exception notable de l'inusable Tssis.
-Pourquoi m'avoir menti ?
-Il faut toujours mentir sur ses lectures.Les lectures c'est comme des aveux signés. Pas besoin d'interrogatoire,c'est le sérum de vérité. Rien ne vous trahit autant qu'un livre.Alors,si on lit peu,il faut faire croire qu'on lit beaucoup,pour que l'adversaire vous surestime. Si on lit beaucoup, c'est le contraire, pour qu'il vous sous-estime. (...)Il faut garder dans sa bibliothèque des livres qu'on ne lira jamais et brûler ceux qu'on aime,pour tromper l'ennemi.(p.229)