Shelby Kaly

— Tu la connais ? demande Stella en fronçant les sourcils.
Je ne réponds pas tout de suite. J'essaie de décrypter ce qu'il se passe dans la tête de ma jolie blondinette à travers ses aigues-marines. La tension entre nous est palpable et je sens bien qu'elle est sur le point de craquer, alors je la devance :
— Ouais... c'est ma femme.

Lynn est la douceur quand je suis la douleur. Elle est la raison quand je suis la folie. Elle est l’oxygène quand je suis l’incendie. Elle est ma maison quand je suis perdu. Si elle venait à disparaître, plus rien ne me retiendrait dans ce monde de dingues. C’est triste à dire pour mon frangin ou ma mère, mais je n’ai qu’une lueur qui m’amarre ici et c’est Lynn.

Nos cœurs et nos âmes brisés, nos corps meurtris, nous sommes les rescapés de nos vies chaotiques.

Notre échange visuel est intense, profond, sans limites. Megan est là, vulnérable, ne se cachant plus des sentiments qui parfois la tourmentent. Elle s'offre, se donnant à moi dans la confiance la plus absolue, mettant à nu toute sa fragilité qui me touche tant. Je peux clairement dire à cet instant que je l'aime.

Son encre contrastant avec la blancheur de ma peau, les ténèbres sur la pureté… et pourtant, le lapin blanc est peut-être plus démoniaque que le roi de cœur.

Elle sent le parfum de luxe, mais également une odeur qui lui est propre : fleurie et sucrée à la fois.

Monica et moi, c’est un coup de foudre au premier regard. Des gosses paumés qui se sont trouvés. Nous étions tout l’un pour l’autre et ça n’a jamais changé. Du moins, jusqu’au jour où elle est partie. Et au moment où la personne qui a été votre univers aussi longtemps disparaît, cela crée un bordel sans nom dans votre vie.

il y a des souvenirs qui nous hantent jusqu’à la fin de nos jours.

Je balance mon mégot au sol puis m’avance vers elle, secoué de perplexité par la vision de ce visage que j’ai tant admiré dans le passé. Je ne peux pas m’empêcher de l’approcher et si je pouvais, je la toucherais pour croire ce que je vois. Ma Monica ? Ici ? Je peine à réaliser que c’est bel et bien vrai.

Ses mots transpercent ma poitrine comme une balle de pistolet. Je me mords la langue pour ne pas fondre en larmes, mais dès qu’il aperçoit ma détresse, il se détourne et me fuit telle la peste. Peut-être que je devrais lui courir après   ? Je sais que je l’ai blessé en oubliant notre rendez-vous, mais je n’imaginais pas que cela aurait autant d’importance pour lui. Il est vrai qu’il a toujours été là pour moi, c’est mon ami, mon sauveur.

Alessandro est devenu un homme magnifique. Adolescent, il faisait déjà tourner les têtes des filles de notre âge, mais aujourd’hui je n’ose imaginer ce que les femmes au village doivent penser de lui. Sa mâchoire anguleuse est recouverte d’une légère barbe dans laquelle j’aimerais tant passer mes doigts. Ses cheveux bruns sont un peu trop longs, mais retombent sur son front de manière insolente. Et ses yeux...

Je l’aurais retrouvée seule, perdue dans un de ces livres dans lesquels elle aime tant se plonger, j’aurais pu donner crédit à ses explications foireuses, mais la découvrir en compagnie de ce connard… C’est trop difficile à encaisser. Elle m’a trahi.

Monica devient une femme qui attire l’attention de bon nombre de garçons. Même ceux qui avant se moquaient d’elle ont changé le regard qu’ils lui portaient. Ce qui me déplaît fortement. J’ai cette fâcheuse manie de considérer qu’elle m’appartient parce que je suis le seul qui a été son ami jusque-là.
 

Monica est plus belle chaque jour qui passe. Son corps se transforme, sa poitrine se devine de plus en plus sous ses vêtements. Quand elle porte des chemises, ses seins tirent tellement sur le tissu que j’ai parfois le loisir de lorgner leur arrondi au moment où elle regarde ailleurs. Ses lèvres charnues semblent si douces et voluptueuses.

De toute façon, je ne suis pas sûr que je parviendrai à la voir. Je mettrai ma main à couper qu’il fera tout pour m’en empêcher. Mais je comprends sa stratégie : « sois proche de tes amis, et encore plus de tes ennemis ». Il me perçoit telle une menace. Je ne lui donne pas tort, parce que bien qu’elle m’ait brisé le cœur, cette femme je l’ai aimée comme un dingue.

Je ne crache pas sur le fric, mais sur l’ascendant qu’il a sur les personnes avides de pouvoir. L’argent appelle l’argent, le pouvoir déshumanise et arrache à quiconque son empathie et sa gentillesse.

Flora étudie mes traits comme si elle cherchait une once de jalousie en moi. Bien que cette nouvelle m’irrite, ce n’est pas pour les raisons qu’elle croit. Je soupire, m’allume une clope avant de pincer l’arête de mon nez.

Je ne serai plus jamais celle que j’ai été, cette adolescente raide dingue de son ami d’enfance avec qui elle prévoyait de finir ses jours, parce qu’il ne pouvait en être autrement.

La tristesse m’envahit en découvrant mon mari endormi à mes côtés. J’aimerais tellement me réveiller en compagnie d’une personne différente. Rien que la vision de son visage me donne la nausée. Je n’ai pas choisi de m’éveiller chaque matin auprès de lui et bien que je m’en sois accommodée, j’y ai été contrainte et forcée.
 
Si j’avais su ce qui m’attendait…
 

Nous sommes devenus si proches depuis notre rencontre. C’est mon seul ami. Ses paumes réchauffant mon dos et son menton posé sur le sommet de mon crâne, je cède.