Citations de Sören Kierkegaard (334)
Dans la chrétienté, on n’a pas la moindre idée de ce qu’est le christianisme, on ne saurait s’aviser ou comprendre que le christianisme a été aboli par sa propagation.
Le drame de l’homme contemporain c’est de relativiser l’Absolu et d’absolutiser le relatif.
Notre christianisme, celui de la chrétienté, supprime du christianisme le scandale, le paradoxe, la souffrance et y substitue le probable, le direct, le bonheur, autrement dit, il dénature le christianisme et en fait autre chose que ce qu’il est dans le Nouveau Testament ; il le transforme même exactement en son contraire : tel est le christianisme de la chrétienté. Le nôtre.
Dans
le monde de l’esprit, c’est là ma situation ; car à quoi ont tendu et
tendent encore mes efforts, c’est à pouvoir toujours danser au service
de l’idée, autant que possible à l’honneur du Dieu et pour mon propre
17 Cf. Hertz. (N.d.T.)
Søren Kierkegaard , Les miettes philosophiques (1844) [1967] 29
plaisir, renonçant aux joies du foyer et à la considération bourgeoise, à
cette communio bonorum 18 et à cette harmonie des joies qu’est le fait
d’avoir une opinion. Si j’en ai quelque profit, si, comme le
desservant 19 à l’autel, je mange moi-même une part de ce qu’on y
offre ?... C’est mon affaire ; celui que je sers est solide, comme disent
les financiers, et dans un autre sens qu’ils l’entendent. Si, par contre,
quelqu’un veut être assez courtois pour croire que j’ai une opinion,
s’il pousse la galanterie jusqu’à l’adopter parce que c’est la mienne, je
suis aux regrets, pour sa courtoisie, qu’il la place si mal, et pour son
opinion, s’il n’en a pas d’autre que la mienne ; ma vie, en effet, je
peux bien la risquer, je peux en toute gravité badiner avec elle, – mais
pas avec celle d’un autre. Voilà ce [33] dont je suis capable, la seule
chose que je puisse faire pour l’idée, moi qui n’ai pas d’érudition à
offrir « à peine le petit cours à I drachme, à plus forte raison pas le
grand à 50 » (Cratyle 20). Je n’ai que ma vie et je la risque aussitôt,
chaque fois qu’une difficulté se présente. Danser alors est facile, car la
pensée de la mort est une agile danseuse, ma danseuse, toute personne
est trop lourde à mon gré ; c’est pourquoi, per deos obsecro 21 : que
personne ne m’invite, je ne danse pas.
JOHANNES CLIMACUS
18 Communauté de biens. (N.d.T.)
19 I Corinthiens, 9, 13. (N.d.T.)
20 Platon. (N.d.T.)
21 Je vous conjure par les dieux. (N.d.T.)
22 Johannes Climacus, théologien byzantin du VIe
s. Un des pseudonymes de
Kierkegaard
Mais celui qui choisit la reprise, celui-là vit.
Le drame de l’homme contemporain c’est de relativiser l’Absolu et d’absolutiser le relatif.
Dans la chrétienté, on n’a pas la moindre idée de ce qu’est le christianisme, on ne saurait s’aviser ou comprendre que le christianisme a été aboli par sa propagation. (l’Instant.)
Il possédait un peu d' exacerbatio cerebri pour lequel la réalité ne disposait pas de stimulant assez fort, sinon fugitif. Il ne succombait pas sous la réalité, il n'était pas trop faible pour la supporter, non il était trop fort ; mais cette force était une maladie.
La possibilité du scandale est le ressort dialectique de tout le christianisme.
Sans lui, le christianisme tombe au-dessous du paganisme et verse en de telles chimères qu’un païen le traiterait de billevesées. Être si près de Dieu que l’homme ait le pouvoir, l’audace, la promesse de l’approcher dans le Christ, quelle tête humaine y eût jamais songé ?
D’abord le péché est désespoir ; et on lutte en se dérobant. Puis vient un second désespoir, on désespère de son péché ; ici encore on lutte en se dérobant ou en se retranchant sur ses positions de retraite, mais toujours pedem referens. Ensuite changement de tactique : quoiqu’il s’enfonce de plus en plus en lui-même et qu’ainsi il s’éloigne, on peut dire pourtant que le péché se rapproche et devient de plus en plus décidément lui-même.
Désespérer de la rémission des péchés est une attitude positive en face d’une offre de la miséricorde divine ; ce n’est plus un péché tout à fait en retraite, ni en simple défensive. Mais lâcher le christianisme comme fable et mensonge, c’est de l’offensive. Toute la tactique précédente concédait en somme à l’adversaire la supériorité. À présent c’est le péché qui attaque.
Dans la première partie, en décrivant le désespoir, on a sans cesse vérifié une croissance, que traduisaient, d’une part un progrès de la conscience du moi, de l’autre un progrès d’intensité allant de la passivité jusqu’à l’acte conscient. Les deux traductions à leur tour exprimaient ensemble l’origine intérieure et non extérieure du désespoir, qui devient ainsi de plus en plus positif. Mais d’après sa définition donnée plus haut, le péché impliquant le moi, élevé à un infini de puissance par l’idée de Dieu, implique donc aussi le maximum de conscience du péché comme d’un acte. —
C’est ce qui exprime que le péché est une position, son positif précisément, c’est d’être devant Dieu.
On dit d’habitude que le paganisme habite le péché, peut-être serait-il plus juste de dire qu’il habite l’angoisse. Il est d’une façon générale la sensualité, mais une sensualité ayant un rapport à l’esprit, sans pourtant que l’esprit au fond soit posé comme esprit. Mais ce possible, c’est de l’angoisse.
Malgré cela l’angoisse ne devient jamais une tare, au contraire il faut dire que plus l’homme a de primitivité, plus l’angoisse a de profondeur chez lui, parce que cette donnée préalable de la peccabilité qu’implique sa vie individuelle du fait même qu’il entre dans l’histoire du genre humain, il faut que l’homme se l’approprie.
Dès l’instant où, avec la peccabilité, la sexualité a été posée, commence l’histoire du genre humain. Or comme dans ce dernier la peccabilité progresse par déterminations quantitatives, ainsi fait l’angoisse.
Ainsi, et de bien d’autres manières réfléchissait sur cet événement l’homme dont nous parlons. Chaque fois qu’il revenait de la montagne de Morija à la maison, il s’effondrait de lassitude, joignait les mains, et disait : « Il n’y a donc personne de la taille d’Abraham, personne qui puisse le comprendre ? »
« Que les gens sont absurdes ! Ils ne se servent jamais des libertés qu’ils possèdent, mais réclament celles
qu’ils ne possèdent pas ; ils ont la liberté de pensée, ils exigent la liberté de parole. »
Pour moi, j’ai le courage d’aller jusqu’au bout d’une idée ; aucune ne m’a fait peur jusqu’à présent, et s’il s’en présentait une pour m’effrayer, j’espère que j’aurais du moins la franchise de dire : cette pensée, je la crains, elle soulève en moi de l’inconnu, et je refuse de l’examiner ; si j'ai tort, je ne manquerai d'être puni.
"La vie ne se comprend que par un retour en arrière, mais on ne la vit qu’en avant."
Quand j’aurais ainsi parlé et remué mes auditeurs au point de leur faire sentir les combats dialectiques de la foi et sa gigantesque passion, je me garderais de les induire dans l’erreur de penser : « Quelle foi il possède ! Pour nous, il nous suffit de le tenir par le pan de son habit. » J’ajouterais : « Je n’ai nullement la foi : la nature m’a donné une bonne tête, et les gens de mon espèce ont toujours de grandes difficultés pour faire le mouvement de la foi ; en soi pourtant, je ne confère aucune valeur à la difficulté qui, lorsqu’il la surmonte, conduit un bon cerveau au delà du point où le plus simple d’esprit arrive à moins de frais.
Une doctrine téméraire prétend introduire dans le monde de l’esprit cette même loi de l’indifférence sous laquelle gémit le monde extérieur.