Je rêve beaucoup. Tout le monde dit que c'est bien. Il faut rêver. C'est une manière de s'approcher de ce qu'on a vécu. De l'évacuer.
(p 213)
Mon père a toujours été extrêmement doué pour éviter les conflits. Je n'ai jamais vraiment compris comment il s'y prend mais là je le vois clairement. Il recule de quelques pas, s'éloigne de la ligne de front avant de se mettre à agir, tantôt dans un camp, tantôt dans l'autre. Avec calme et objectivité il donne raison aux deux antagonistes, un peu comme un médiateur. A présent je découvre chez lui un autre visage : il est aimable, légèrement obséquieux, oui, un peu faux. En fait, je le trouve lâche. Puis je me rends compte que je suis pareil. Pourquoi est-ce si difficile de se voir soi-même?
( p 268)
Quand ses bourgeons éclatent, il ressemble à un chandelier géant qui éclaire notre petit coin de la planète Terre. Cet endroit n'est jamais aussi beau qu'au moment de la floraison du marronnier.
- Tu veux bien arrêter ?
- Comment ça ?
- Tu te prends pour qui, putain ? Pour Jésus ? Tu crois que tu vas réussir à me débarrasser de cette sale chaise de merde ! Tu t'imagines que je vais bientôt me promener comme tout le monde grâce à toi ?
- J'ai juste voulu t'aider Mary-Lou.
- Fous-moi la paix. T'as compris ? Il faut que tu me foutes la paix !
( p 187 )
J'ai parfois l'impression qu'une partie de moi cherche à s'évader, comme si je me coupais en deux. Comme si j'étais entrain d'être abandonné par moi-même. J'imagine que c'est mon esprit qui veut s'en aller d'ici. Mon moi. Je le sens lutter pour se libérer de la chair qui le retient.
Je comprends que si jamais il réussissait, si mon moi m'abandonnait ici, j'en mourrais. J'ai entendu parler d'un phénomène qu'on appelle "l'expérience de mort imminente". C'est probablement ce qui m'arrive. (p 73)
- Tout le monde parle de l'avenir mais personne ne veut s'impliquer dans l'éducation des enfants, alors que c'est eux, l'avenir.
[...]
- Comment imaginer l'avenir si on ne mise pas sur les enfants, si on ne les entoure pas, si on ne fait pas attention à eux, si on ne leur donne pas des contes et des jeux? Il faut leur consacrer du temps. Ils ont besoin d'être vus par nous, les adultes. Ils ont besoin de se projeter en nous. Si on commence par exclure un quart des gens dès leur enfance, ça donnera quoi plus tard, à ton avis?
Quelqu’un meurt. C’est comme ça que cette histoire commence. Quelqu’un meurt et quelqu’un gagne à un jeu de grattage. Ça va changer beaucoup de choses. Tout, en fait.
C’est un vendredi.
Le 21 juin. Une date que je n’oublierai jamais. Pas parce que c’est la Saint-Jean, mais à cause de ce qui arrive.
C’est donc l’été.
Enfin… l’été si on veut. Le temps est tellement pourri qu’il faut une bonne dose d’optimisme pour déceler le moindre signe de son arrivée. En somme, il faut être comme Jörgen qui, lui, en voit partout. Des signes, je veux dire.
Jörgen c’est mon père. Un fait qu’il a souvent tendance à oublier. En ce moment il est au volant. Il fait de grands discours en conduisant. Personne ne l’écoute. On a déjà tout entendu. Ce qui ne l’empêche pas de débiter imperturbablement son monologue enthousiaste et interminable. De temps en temps, il souligne ses propos par de grands gestes emphatiques qui l’obligent à lâcher le volant. Les voitures autour de nous klaxonnent et nous font des appels de phares mais Jörgen s’en fiche royalement. Rien ne peut arrêter le flot de paroles qui se déverse de sa bouche. Il parle comme s’il se trouvait en face d’un public. Et le public c’est nous, Vanessa et moi.
Un jour tu feras partie de ceux qui ont vécu il y a longtemps.
La terre se souviendra de toi
Comme elle se souvient de l herbe et des forêts,
Des feuilles décomposées.
Comme l’humus se souvient,
Comme les montagnes se souviennent des vents,
Ton repos sera paisible et infini comme la mer.
Poème de Par Lagerkvist - Prix Nobel en 1951; Tout au long de sa vie, il a cherché la réponse à la question : pourquoi vivons nous ?
Les soupes d'hiver sont différentes de celles des autres périodes de l'année.
A cette époque-ci, il les laisse réduire. Ses soupes mijotent pendant des heures. Il arrive qu'elles restent sur le feu à gémir et à éclabousser des jours entiers. Nous on se demande ce que c'est, si ça risque d'exploser ou de s'enflammer. Mais ça n'arrive que très rarement. De temps à autre, nous voyons Gustavo se diriger vers la cuisinière pour ajouter une goutte de cognac ou une poignée d'épices, ce qui provoque une éruption volcanique dans la marmite.
Le résultat atteint une sommet gastronomique insoupçonné.
Les saveurs se rencontrent, se confondent et s'inspirent.
Si jamais un inspecteur gastronomique s'aventurait dans notre chemin à l'heure de midi, je suis persuadé qu'avant de repartir, il accrocherait une étoile devant l'entrée de notre ferme.
La vie même est une aventure. Chaque jour qui passe en est une. Aujourd'hui est une aventure. Une autre commencera demain. Nos vies sont des continents inconnus. Chaque être humain est une histoire qui se déroule ici et mainten