Citations de Stefan Platteau (76)
Chacun s’écartait de ses voisins, guettait anxieusement les premiers signes du sortilège autour de soi. Les mourants s’accrochaient désespérément à leurs proches, et ce faisant, les condamnaient au même abominable trépas. Un souffle, un effleurement, une éclaboussure de sang y suffisait.
Entre deux rafales, je viens l'entourer de mes bras amicaux, comme si je pouvais le protéger du souffle voleur. Je colle la bouche près de son oreille :
— Je comprends ton désarroi, ami Dipran, murmuré-je. Je le comprends du fond du coeur. Mais il faut laisser s'en aller le passé, se débarrasser des vieilles pelures. Le Roi-diseur te veut nu, sans masque et sans artifice. Sans béquille aussi... juste Dipran.
Le petit homme halète, les épaules secouées de sanglots.
— Tu es bien plus que ton cormoran, l'encouragé-je. Ce manteau n'est qu'un mirage ; il t'empêche de te découvrir. Laisse-le se démembrer...
Alors les Géants se tournèrent vers le soleil levant;ils chantèrent pour que poussent les montagnes ,et pour qu'elles protègent désormais de leurs ennemis, eux et leur terre d'exil.
Je sais bien ce que tu penses, vieux brigand ! Tu penses que j'ai fait quelque chose d'horrible. Ça te ressemblerait bien, de penser ça. Pourtant j'en avais le droit : c'étaient mes propres petites filles, les miennes ! Chacun dispose de ses enfants comme il l'entend. C'est la loi... non ?
C'est quand il est venu la chercher. Il l'a soulevée par la taille pour la serrer très fort contre sa poitrine. Elle était toute menue entre ses gros bras, ses pies battaient dans le vide loin du sol. Il faisait très sombre, mais j'ai quand même bien vu ce qu'il faisait. Il a pris son poignet pour le poser contre sa bouche ; il s'est mis à le couvrir de baisers, puis à le suçoter doucement, les yeux fermés, comme si c'était un quartier de melon. Il ronronnait comme un chat. Et puis soudain, il a fait une affreuse grimace et il a commencé à ronger, comme ça, du bout des dents.
L'assemblée fit silence ; les bardes bruissèrent leur reconnaissance, car Evonwë venait de leur offrir un récit perdu depuis longtemps, même pour les plus sages d'entre eux. Pareil trésor ne se révèle pas tous les jours.
- Ne me remercie pas, le vin libère la parole ; or j'entends bien apprendre de toi ce soir, toutes les vérités que tu m'as tenues cachées la nuit passée.
Méfie-toi de cette planète, Vidal ! Je sais ce que Peyr en dit : elle est la reine des désirs interdits. Le Dévoreur engloutit tout ce qui l’entoure ; à l’aube des temps, il dévastait les plaines célestes de son appétit, jusqu’à s’ériger en rival du soleil. C’est un astre néfaste, il n’est pas bon que tu le contemples trop longuement !
« Ah, l’ignorant qui réprimande le sssage ! Il y a riche bramynn et pauvre bramynn, homme niais que tu es ! Le richhe, il arrive tout paré de belles étoffes, nanti d’un nom fameux, alors il offre ses sservices à des princes, qui le reconnaissent comme l’un des leurs. Ils le paient grassement pour sson art, et le gavent de bonnes mangeaille, slrrr, slrrrrp… Le pauvre bramynn, il doit faire avec sse qu’il a : d’autres pauvres, à qui offrir sses mantras est-ce qu’il en tire beaucoup d’argent ? Nennaï ! Est-il moins bon bramynn pour autant ? Non ! Mille fois non ! Plus courageux, plus opiniâtre. Mais jamais richhe, ssa non, jamais bien vêtu ni pourri ni torchhé de soie ! Pour faire bombansse à la fin, il faut naître dodu au début ! Voilà toute la vérité de la chhose… »
« Foutrebouc, Thibal ! Tu m’entends, oui ou brenne ? »
Bien que le ciel soit clair, il est encore très tôt. Dans ce pays, en cette saison, la nuit ne fait qu'effleurer vos paupières, à peine un battements d'heures. Sur la gabarre amarrée à la rive, tout le monde est encore endormi, à l'exception de Varagwynn le batelier qui, comme toujours, promène ses insomnies sur le pont.
Et pourtant la clarté du jour s'étiole à toute allure, présage funeste.
Je laisse aller mon corps autour de l’instrument. Les boyaux vibrent, éveillent le bois. La coque renflée me creuse le ventre. Les astres immortels s’éveillent dans ma poitrine, les saisons courent sur mon front, et d’invisibles cerfs galopent sur les mèches de mes cheveux.
— Nous sommes dans les archives de l'Oracle... C'est fascinant !
Elle se laisse flâner entre les arbres écorchés, effleurant les troncs du bout des doigts, comme s'il s'agissait de livres précieux. La voilà qui s'arrête ; avec précaution, elle déroule une nouvelle pelure de bois ciré. Je viens me placer derrière son épaule pour découvrir avec elle quelques lignes d'une écriture élégante :
« Je sais que je suis femme, mais mon corps prétend le contraire. Dis-moi qui je suis, Roi-diseur, et comment faire comprendre au monde que ma chair est mensongère ? »
Elle relève le nez, rêveuse.
— Faire comprendre au monde que ma chair est mensongère..., répète-t-elle, comme si elle cherchait à recueillir les échos de ce cri du coeur.
Elle se tourne vers moi :
— Ces arbres, de quels drames anciens sont-ils dépositaires ? Si nous prenions la peine de lire toutes les écorces, qu'apprendrions-nous sur la nature humaine ?
Je leur construisais de vaniteux châteaux d'avenir ; mais moi, moi j'étais juste une vieille ombre qui rôdait au pied de leurs tours.
Au fil des ans, j'avais soigneusement tué le peu qu'il y ait jamais eu en moi de conquérant. A cause de mes dispositions d'esprit, jamais rien d'inattendu ne m'arrivait plus, tout n'était que stérile répétition. Ah cette longue et monocorde procession des jours, je m'y abandonnais comme le noyé à l'abîme.