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Citations de Takiji Kobayashi (68)


Juste au-dessus de leur tête, le hurlement de la sirène les interrompit. Ils levèrent les yeux vers l’énorme cheminée en surplomb au-dessus d’eux, large comme un baquet à bain, qui par un effet d’optique leur semblait chanceler. La sirène émanait d’un sifflet en forme de casquette allemande, saillant du ventre de la cheminée. Que son cri était funeste au milieu de la furie des bourrasques ! – Les chaloupes sorties au loin pour la pêche devait se fier à son signal ininterrompu pendant qu’elles luttaient contre la tempête pour retrouver le navire.

Chapitre III
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C'étaient des hommes qui autrefois avaient travaillé dans les champs avant le lever du jour, mais comme leur labeur ne suffisait pas à nourrir tout le monde, ils avaient été forcés de s'en aller. Au pays, seul restait le fils aîné - et même comme ça, il n'avait pas de quoi manger; on envoyait les filles à l'usine, le deuxième et le troisième fils travailler un peu n'importe où. Comme quand on met des fèves à griller dans une casserole: ceux qui étaient de trop étaient projetés dans tous les sens, bien obligés de quitter leur terre pour échouer en ville.
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Pour consolider les parois des galeries, on superposait des pans de chair de mineurs, comme des tranches de thon rouge en sashimi.

L’éloignement des villes était, là aussi, un prétexte bien commode pour justifier les pires atrocités. Dans les chariots de charbon, on retrouvait parfois des pouces ou des auriculaires amalgamés au minerai.
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Les bateaux pour la pêche au crabe, tous partis en même temps de Hakodate, s’étaient peu à peu éloignés les uns des autres. Mais lorsque le navire montait brusquement sur une crête, on pouvait apercevoir au loin deux mâts qui se balançaient, semblables aux deux bras levés d’un noyé. […]
Le bateau secouait violemment comme un cheval qui se débat pour se débarrasser d’un taon accroché à son dos.

Chapitre II
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Un étudiant attiré depuis Tôkyô par les recruteurs grommelait que ce n’était pas ce qu’il avait imaginé.
« Rien que des boniments ! Ils avaient dit que je pourrais dormir seul.
- Eh bien tu vois, c’était vrai : on dort ‘seuls’. En bons célibataires ! »
Ils étaient dix-sept ou dix-huit ex-étudiants. On leur avait avancé soixante yens au départ, mais une fois payé le billet de train, les frais de pension, le couchage, et bien sûr la commission du recruteur, ils s’étaient retrouvés endettés (!) de sept ou huit yens chacun avant même d’avoir foulé le pont du bateau.

Chapitre III
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L'entreprise de pêche prenait d'infinies précautions dans le recrutement des hommes. Ils demandaient aux maires des villages et aux chefs locaux de la police de leur recommander des "jeunes gens modèles". Afin que tout soit irréprochable, et que rien ne vienne gripper l'engrenage, ils sélectionnaient des travailleurs dociles qui ne s'intéressaient pas aux syndicats. Mais finalement le "travail" tel qu'il était organisé à bord des bateaux-usines aboutissait au résultat inverse de celui qu'ils recherchaient. Les conditions de travail intolérables poussaient irrémédiablement les travailleurs à se rassembler - à se syndiquer. Les capitalistes, tout "irréprochables" qu'ils fussent, n'avaient malheureusement pour eux pas assez de discernement pour comprendre ce paradoxe.
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L’attente du cargo était plus obsédante encore que l’attente d’une femme. C’est que ce bateau était la seule chose qui ne sentait pas l’eau salée.
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Accrochée au mur à côté de la table, il y avait une affichette couverte de caractères tracés d'une main maladroite :

> Ceux qui se plaignent de la nourriture ne sont pas bien respectables.
> Ne gâchons pas la nourriture. Chaque grain de riz est le fruit du sang et de la sueur.
> Sachons endurer les contraintes et les souffrances.

Dans le blanc sous le texte, il y avait des graffitis obscènes, comme ceux des toilettes communes.
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Un étudiant s'était assis un instant derrière les caisses, à l'abri du vent, pour faire une pause. L'ancien mineur apparut au détour d'un angle et vint le rejoindre en soufflant dans ses mains.
«On risque not'peau, pas vrai ?!»
L'étudiant fut estomaqué par ce cri du cœur.
«Bien vrai, c'est comme à la mine, ici ! Toujours vivre en s'disant qu'on va crever. J'avais la trouille du grisou, mais les vagues, ça fout la trouille aussi.»
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"C'est parti! En route pour l'enfer!"
Accoudés au bastingage, les deux pêcheurs contemplaient Hakodate. La ville embrassait la mer de son corps d'escargot s'étirant hors de sa coquille. L'un des deux cracha une cigarette fumée jusqu'à la base des doigts, qui fit plusieurs pirouettes en tombant le long de la haute coque du navire. L'homme puait l'alcool de la tête aux pieds.
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Les palans de ce rafiot étaient aussi solides que des genoux nécrosés. De temps en temps, l'une des poulies se bloquait, tandis que l'autre continuait à laisser filer le câble. La chaloupe victime de ce palan éclopé se retrouvait alors pendue en oblique, comme un hareng fumé. Dans ce genre de cas, les pêcheurs postés en dessous couraient un assez grand risque s'ils ne réagissaient pas assez vite. - C'est précisément ce qui arriva ce matin-là. «Ah ! Attention !» cria quelqu'un. La chaloupe lui tomba en plein sur le crâne, enfonçant sa tête dans le tronc comme un pieu en terre.
Ses compagnons le portèrent à l'infirmerie. Parmi eux, il y avait certains jeunes pêcheurs qui voulaient en découdre avec "le salaud 'intendant". Ils étaient bien décidés à demander au médecin un certificat médical car ils étaient certains que l'intendant, qui n'était qu'une vipère déguisée en humain, chercherait à prouver qu'ils étaient dans leur tort. Un certificat médical serait alors précieux pour contrer ses arguments. Et puis, le médecin s'était toujours montré compréhensif.
Une fois, il avait même avoué son étonnement. "Sur ce bateau, il y a beaucoup moins de blessures et de maladies dues au travail proprement dit que de complications liées à des coups ou à des mauvais traitements". Il avait même ajouté qu'il faudrait qu'il note scrupuleusement tout cela sur son registre pour en conserver la preuve. Il était donc plutôt bienveillant envers les pêcheurs et les ouvriers qui le consultaient.
Cependant, au mot de certificat, il eut l'air de tomber des nues. Il répondit en bredouillant :
" Ah... Un certificat médical... C'est à dire que... Euh...
- Ecrivez tout simplement ce que vous constatez".
La tension se faisait palpable.
" C'est que sur ce bateau, on n'a pas le droit de délivrer des certificats médicaux. Je sais, ça peut sembler arbitraire... C'est pour parer aux conséquences."
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L'intendant pris la parole : "Je ne serai pas long." Il avait une stature imposante de chef de chantier. Un pied posé sur le rebord d'une couchette, il triturait l'intérieur de sa bouche avec un cure-dents, et de temps en temps il en extirpait ce qui s'y trouvait coincé.
"Comme on a déjà dû vous l'expliquer, vous êtes embarqué sur ce bateau-usine pour des raisons qui dépassent de loin les profits d'une entreprise donnée, n'est-ce pas, c'est une affaire de la plus haute importance pour les relations internationales... Il s'agit de montrer qui est le plus fort : le peuple du Grand Empire nippon, ou les Russkofs. C'est un duel entre eux et nous ! Et s'il arrivait que, - je dis bien "si" parce que évidemment c'est impossible -, si le Japon perdait, alors vous, fils de l'Empire, vous vous retrouveriez les couilles ballantes et n'auriez plus qu'à vous tailler le ventre avant d'aller finir au fond de la mer du Kamtchatka. On est moins grands qu'eux, mais c'est pas une excuse pour plier devant ces lourdauds de Russkofs."
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Exténués par les cadences infernales, les hommes avaient de plus en plus de mal à se lever le matin. Ce jour-là, l'intendant parcourait le dortoir en tapant de toutes ses forces sur un bidon d'essence vide, tout près des oreilles des dormeurs, jusqu'à ce qu'ils ouvrent les yeux et se lèvent. Un homme qui soufrait du béribéri leva un peu la tête et dit quelque chose. Mais l'intendant fit semblant de ne pas le voir et continua à taper sur son bidon. L'homme, dont la voix était couverte par le tintamarre, ouvrait et fermait la bouche comme un poisson rouge qui gobe de l'air à la surface de l'eau dans son aquarium. Après avoir tapé pendant un bon moment, l'intendant se mit à tonitruer : «Qu'est-ce qui vous arrive ? Je vais vous faire lever de gré ou de force, moi ! N'oubliez pas que le travail, c'est la patrie ! C'est comme la guerre ! Soyez prêts à donner votre vie ! Au travail, bandes d'imbéciles !»
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Les vagues se dressaient en milliers de petits triangles, tirées vers le haut par des foulards d'écume. p 35
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Ça faisait une drôle d’impression quand même, d’être en quelque sorte devenu un cadavre en décomposition, rongé par la vermine.
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Et voilà la mer du Kamtchatka, qui semble les défier d'un : "Ah, vous voilà !"
Les vagues étaient maintenant des lions affamés, au milieu desquels le navire plus vulnérable qu'un lièvre frayait sa route.
La neige avait envahi le ciel tel un grand étendard blanc soumis aux caprices du vent.
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Une fois le travail terminé, les matelots retournaient tous les uns après les autres dans le "merdier". Leurs membres pendaient raides et gelés, pareils à de gros radis blancs. Chacun retournait vers sa couche comme un ver à soie à son casier, et se réfugiait dans le silence. Affalés sur le flanc, ils se tenaient aux montants en fer. Le bateau se secouait violemment comme un cheval qui se débat pour se débarrasser d'un taon accroché à son dos. Les pêcheurs tournaient leur regard vague vers la plafond blanc couvert d'une couche jaunâtre, ou vers les hublots bleu-noir presque entièrement sous l'eau… Certains tombaient dans un état quasi comateux, immobiles, la bouche entrouverte. Tous avaient la tête vide. Une angoisse indicible leur imposait un pénible silence.
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«Moi aussi, j'ai été stupéfait d'apprendre ça, mais on m'a raconté qu'en fait, toutes les guerres menées par le Japon, si on gratte un peu pour voir ce qui se cache au fond du fond, eh bien dans tous les cas, elles ont toujours été décidées par deux ou trois gros riches (mais alors des très très riches), et pour le prétexte ils trouvent toujours quelque chose. Ces types-là, quand ils guignent "une zone prometteuse", ils font des pieds et des mains pour l'avoir. - On est mal barrés.»
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Un pêcheur d'âge mûr pose nonchalamment son regard faiblard et brumeux sur le poêle, derrière des paupières flasques, plissées à la manière des coquilles d'huîtres, et lança un crachat. En tombant sur le poêle, le crachat s'enroula sur lui-même, grésilla bruyamment, sauta en l'air comme un haricot grillé, fondit à vue d’œil pour disparaître en laissant un minuscule dépôt de suie. Les autres gars regardaient tout cela distraitement.
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Les bateaux-usines étaient des "usines" avant d'être des "navires". La loi sur la navigation ne s'y appliquait donc pas. On choisissait pour cet usage des épaves laissées à l'abandon pendant plus de vingt ans, avant d'être repeintes et revendues à Hakodate, telles des prostituées syphilitiques dissimulant habilement leurs disgrâces sous d'épais fards.
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