Au lieu de le repousser, je plaque mes mains sur ma gorge dans le but de l'empêcher de l'atteindre. Il n'a cependant aucun mal à les dégager et à planter sauvagement ses crocs dans ma chair tendre. Je pousse une plainte stridente. Une douleur abominable et lancinante me parcourt. Une mélodie étrange, semblable à un bourdonnement, m'apaise instantanément. Je cesse de lutter, lui laissant tout le loisir de me saigner. Ses aspirations goulues me plongent petit à petit dans une prison abyssale.
Le prisonnier me foudroie sur place, me promettant vengeance. A cet instant, plus rien n'existe. Il n'y a que lui qui rêve de me zigouiller, et moi, qu'il captive sans que je puisse m'échapper. Cette connexion est si puissante que je cesse de respirer, happée par tant de férocité.
Suis-je la seule à être obsédée par la liberté ? Je ne comprends pas pourquoi personne ne se rebelle. Le monde réel est-il si atroce qu’ils préfèrent tous perdre leurs droits en faveur de leur don surnaturel ?
Un verre d'alcool fort dans la main, j'observe le petit corps endormi, si paisible, si insignifiant. Ma respiration se calque sur la sienne. Athanaïs ne va pas se réveiller de sitôt. La dose de somnifères que je lui ai administrée par la force va nous assurer un voyage et une installation sans encombre.

- Docteur Robin Clément, voici notre nouvelle secrétaire, Emmanuelle Mareau, me présente Candys avec un professionnalisme étonnant.
Une main tendue entre dans mon champ de vison. Je n'ai pas d'autre choix que de me redresser, la serrer et regarder pour la première fois ce tyran dans les yeux. Et là, le choc. Le sol se fissure sous mes pieds et je tombe dans une crevasse béante. Deux yeux verts me sondent avec dureté. En face de moi se trouve le sans-gêne de l'autre fois. Celui à qui j'ai volé le café. Je déglutis péniblement, et mon malaise lui extirpe un sourire de contentement. Il serre ma main de manière exagérée.
- Dois-je souhaiter la bienvenue à une personne qui ne fera jamais ses preuves et qui va disparaître à la moindre difficulté? Lance t-il sur un ton arrogant.
Il est sérieux? Il attaque d'entrée de jeu?
Décidément ce type est dénué de savoir-vivre. La satisfaction se lit dans ses yeux clairs, et c'est bien ce qui me hérisse les poils.
- On ne se débarrasse de moi si facilement, dis-je en me raclant la gorge pour trouver une voix correcte.
- Exactement comme la mauvaise herbe! réplique t-il en me jetant un regard meurtrier.
Le vert de ses prunelles est encore plus beau que dans mes souvenirs. Sa barbe de quelques jours, parfaitement entretenue, lui confère un charme attendrissant qui contraste avec son air sévère.
Un enfant n’a pas besoin de la collection complète des Walt Disney, mais d’un papa et d’une maman attentionnés pour s’épanouir et découvrir la vie.

- Réveille-toi!
De vives claques me sortent de mon état comateux sans pour autant me réveiller complètement. Je me sens si mal. Mon estomac se contracte malgré le fait qu'il soit vide.
- Mégane, tu m'entends?
- Oui..., marmonné-je sans trop savoir comment.
- Parfait! Tu vas bien m'écouter, suis-je clair?
Le son de sa voix me préoccupe tant que je parviens à la fixer sans ciller. Il fait toujours nuit et nous sommes visiblement stationnés sur le bas-côté.
- Tu vas être une gentille petite. Plus tu obéis sans broncher, plus ton quotidien sera facile. C'est aussi simple que ça, tu m'as bien compris?
- Quoi? Je... Non... Non!
- Tu crois encore avoir le choix? Tu n'es même plus en France, poupée!
Je sursaute et tente de m'éloigner davantage de lui. Il m'enlace pour me calmer et me colle contre sa poitrine.
- Chut, chut, ça ne sert à rien de s'énerver. Je peux obtenir de toi tout ce que je souhaite, alors autant que tout ce passe le plus aisément possible, n'es-tu pas de mon avis?
- Je ne t'appartiens pas... Laisse-moi tranquille...
D'un mouvement qu'il maîtrise parfaitement, vif comme l'éclair, il attrape une arme dans son dos et me la colle sur la tempe. La sueur froide coule le long de ma colonne.
- Tu vois ce que je disais? C'est moi qui mène la danse, tu n'as qu'à suivre mes pas.
Je me libère de son étreinte sans quitter le revolver des yeux. C'est la première fois de ma vie que je vois une véritable arme à feu. J'acquiesce, lentement.
- Voilà qui est mieux! Maintenant, bois ça.
Il me dépose toujours la même bouteille d'eau sur les genoux. Le flingue pointé sur ma tête, je retire le bouchon en vacillant de tout mon corps. Je parviens à avaler deux gorgées quand il m'encourage à continuer. J'en fais descendre une troisième, mais m'étrangle avec la quatrième et la recrache sur mes cuisses.
- Tes petits airs fragiles de sainte-nitouche vont faire un tabac! Tu es ma poule aux oeufs d'or, chérie!
Il me reprend la bouteille des mains pendant que je m'essuie la bouche de mon avant-bras. Il range enfin l'objet meurtrier, et ses doigts fins parcourent mon visage puis mon cou. Son contact me donne un haut-le-coeur. Il murmure des paroles qui ne sont plus que des tonalités à mes oreilles. Ses lèvres s'imposent aux miennes. Il marque sa propriété. La suite m'échappe. Je sombre à nouveau dans un univers où plus rien n'existe.
"Athanaïs", qui aurait pu imaginer qu'un prénom original cachait une si terrible histoire. Maintenant que je sais exactement où chercher, je ne lâche rien. Tel un pitbull, je fonce jusqu'à obtenir une satisfaction optimale. Pas de pitié.
Je ne sais si je dois être soulagée ou non. Soit je suis une folle entourée de gens normaux, soit je suis saine d’esprit, mais entourée de détraqués. Dans un cas comme dans l’autre, les perspectives ne sont guère réjouissantes.
Je vais mourir dans d'atroces souffrances. Le petit garçon est devenu un démon des enfers. J'ai toujours su que ce jour arriverait, qu'il ne pouvait pas en être autrement. Je suis morte, il est venu réclamer mon âme.