Citations de Tatiana de Rosnay (1555)
La tour Eiffel me manquait, surtout son scintillement de nuit qui, toutes les heures, la transformait en séductrice endiamantée. Me manquait le marché du samedi sur le boulevard Edgar Quinet, où le vendeur de fruits et légumes m’appelait : « ma petite dame » alors que j’étais sans doute sa cliente la plus grande. Moi aussi, d’une certaine manière, j’étais une «Frenchy », malgré mon sang américain.
Ce vide en appelait un autre, plus sournois, plus néfaste, celui qu'elle connaissait si bien, celui du corps et du poids, de l'obsession de la balance et de la calorie. Elle remarqua qu’elle recommençait à se nourrir vite et mal, qu'elle terminait l'assiette de son fils, qu’elle léchait les couverts, qu’elle raclait les fonds de plats avec ses doigts. Et chaque nuit, en silence, elle se pliait à l'effroyable tête-à-tête avec la cuvette des toilettes; elle se soumettait à genoux à cet indispensable acte de purge qui vidangeait son estomac d’un jet acide. Elle se couchait avec ce goût détestable dans la bouche en dépit du brossage et du rinçage, et la sensation d’un ventre douloureux aux parois irritées; son corps lui semblait encore trop gros, trop gras, débordant de son pyjama et ne lui inspirant que répugnance. p. 163
En regardant Germaine plier soigneusement ma garde-robe, je fus frappée par la fragilité de nos existences. Nos biens matériels ne sont que de petits riens emportés par le tourbillon de l'indifférence. Gisaient là, emballés par Germaine, mes robes, jupons, châles, vestes, bonnets, chapeaux, sous-vêtements, bas, gants, avant d'être envoyés chez Violette, où ils m'attendraient. Tous ces vêtements sur lesquels je ne poserai jamais plus les yeux, choisis avec une dévotion infinie (oh, l'exquise hésitation entre deux couleurs, deux coupes, deux étoffes). Maintenant, ils n'avaient plus d'importance. A quelle vitesse pouvons-nous changer! Avec quelle rapidité évoluons-nous, telle la girouette dès que tourne le vent.
Les écrivains sont des menteurs professionnels. Ils passent leur vie à raconter des histoires. Si nous ne pouvions pas mentir, nous n'écririons.
- Dis, tu m'aimes, Martin ?
- Oui, je vous aime, Célestine.
- Tu m'aimes comment ?
- Je vous aime d'un amour sincère et respectueux, comme l'amour d'un enfant pour un parent.
- Et moi, j't'aime comme si je t'avais tricoté, j't'aime comme si je t'avais porté dans mon ventre !
Daphné vient d'avoir quarante-cinq ans, elle n'est plus une gamine, ses cheveux sont à présent gris, son visage enfantin s'est creusé, qu'on lui fiche la paix avec cette image ringarde d'auteur de romans sirupeux !
En exergue
Si vous me demandez ce que je viens faire en ce monde, moi artiste, je vous répondrai: "Je viens vivre tout haut."
- Emile Zola, Mes Haines
Attendre, encore. Une activité qu'il a beaucoup pratiquée ces temps-ci. D'ailleurs, son métier consiste à attendre le bon moment. C'est ça, la photographie ; le hasard heureux d'un instant, l'art d'en capturer la magie dans son viseur.
Son père allait sur ses soixante-dix ans. Lui-même en aurait bientôt trente-sept. Il était trop tard pour communiquer. Et puis, ce n'était pas comme si Paul et lui se disputaient. Ils ne se disputaient pas. Ils ne s'étaient jamais disputés. Il n'y avait jamais eu de conflit. Le conflit aurait peut-être facilité les choses. Oui, il y avait de l'amour. Mais il n'était pas exprimé. L'amour était rangé dans un coin, à l'écart.
Ce livre de Tatiana de ROSNAY LE VOISIN, vient de me bouleverser. Je découvre une femme réservée, Colombe, qui va devenir incroyablement forte et presque violente. Même très fatiguée et négligée dans sa dépression, elle trouve la force de se sortir de la situation dans laquelle ces deux hommes la maintiennent enfermée. Elle va même commettre des actes incroyables comme entrer dans un appartement qui n'est pas le sien. C'est un roman psychologique, fortement porté sur le sujet de la souffrance que les autres, dans notre entourage, peuvent nous infliger. Mais une lueur d'espoir est possible et est démontrée dans ce livre.
« Au fond du lac, dans une opacité bleutée, des formes floues se détachaient, des mains se tendaient vers elle, lentement, des entrelacs de cheveux noirs surgissaient à l’infini, telles des fleurs de l’ombre à la fois rassurantes et vénéneuses. »
J'ai quinze ans lorsque tu débarques dans ma vie. Je ne connais pas encore ton nom. Je ne sais rien de toi. Ton autoportrait, au volant d'une Bugatti verte, c'est la première chose que je vois de toi, en feuilletant un magazine d'art. Ton élégance. Ta sophistication. (...)
C'est comme si tu disais: Regardez-moi. Je sais ce que je veux ? (....) je suis au volant d'un bolide, et c'est ainsi que je vis ma vie. (...)
Ton nom.
Presque un nom de plume. Un nom de scène. Un nom d'ensorceleuse. Un nom que tu inscris fièrement au bas de tes oeuvres.
Qui se cache derrière l'image de perfection absolue que tu souhaites tant projeter ?
Je veux emprunter les pistes secondaires de ton chemin de gloire, creuser l'envers du décor. C'est ce que j'ai envie d'aller chercher : ton entrée dans la lumière. Ton parcours de météore. Mais qu'as-tu abandonné dans l'ombre ? Comment as-tu forgé ta légende ?
Toi, la reine des Années folles, l'artiste emblématique de cette époque dorée. (...)
Laisse-moi raconter ton histoire. (p. 7)
De nouveau, je me sentais coupable, comme si j'avais fait quelque chose d'impardonnable. Mais j'avais su, dès le premier jour, que cette enfant se prénommerait Sarah. Dès sa naissance, quand je sus qu'il s'agissait d'une fille, je fus sûre de son prénom.
Elle n'aurait pas pu porter un autre prénom. Elle était Sarah. Ma Sarah. En écho à l'autre Sarah, à la petite fille à l'étoile jaune qui avait changé ma vie.
On ne peut empêcher un fleuve de déborder, la nature triomphe toujours, il faut arrêter de vouloir la maîtriser, tout ça c’est sa façon à elle de se révolter...
On ne remarque pas qu'elle est jolie, que ses cheveux sont épais et brillants, que sa bouche ressemble à un fruit. On ne remarque pas les fossettes qui s'impriment sur ses joues lorsqu'elle sourit, ni sa peau blanche, aussi onctueuse qu'une coulée de crème fraîche. Tout en elle est dissimulé, rentré vers l'intérieur, comme si au-dessus de sa tête, on avait éteint un projecteur. Colombe est une femme de l'ombre, de celles qui sortent rarement de leurs gonds, toujours prêtes à rendre service, et que tout le monde rêve d'avoir pour voisines.
"Quelqu'un de bien."
Il ne restait rien, que la désolation des boulevards et leurs lignes droites , traçant dans les braises des sillons semblables à des cicatrices sanguinolentes.
Je le sais désormais, en tant que lecteur, il faut faire confiance à l'auteur, au poète. Ils savent comment s'y prendre pour nous extirper de notre vie ordinaire et nous envoyer tanguer dans un autre monde dont nous n'avions même pas soupçonné l'existence. C'est ce que font les auteurs de talent. C'est ce que fit M. Baudelaire. p. 172-173
Debout devant les étalages du rayon puériculture, Louise transpirait. Son ventre distendu se faisait lourd. A l'intérieur, des petits poings vigoureux valsaient. Elle tentait de déchiffrer le mode d'emploi d'un appareil dont on lui avait vanté les mérites. D'une main tendre, elle tapota son utérus rebondi; de l'autre, elle tenait cette merveille du progrès technique, un "TOKI-BABY".
(Le TOKI-BABY)
Après cette fausse joie, je m'étais mis à guetter malgré moi, avec morbidité, les grands départs, les jours fériés, les "ponts", sachant que les routes seraient surchargées et les accidents plus fréquents. De toutes ces personnes qui allaient perdre la vie sur la route des vacances, n'y en avait-il pas une dont le cœur, les tissus, le groupe sanguin étaient compatibles avec les miens? Avais-je le droit d'attendre la mort d'un autre pour pouvoir revivre? Avais-je le droit d'espérer?
« Constance Delambre avait d'abord été pour moi une présence abstraite. Elle vivait pourtant à travers moi, à travers ce cœur transplanté. Son âme y palpitait encore, par fragments. Quelque chose d'elle, de son humour, de sa sensibilité, de sa persévérance s'était propagé en moi, s'était dilué dans mon sang. N'était-ce pas son essence qui m'habitait qui avait étoffé le vide de mon existence ? Aurais-je vécu la même aventure avec le cœur d'une autre ? Étais-je le seul greffé à éprouver cette intimité avec son donneur ? ». P 208 livre de poche