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Critiques de Théa Rojzman (153)
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Le Voyageur

Nous avons droit à un gardien de musée, Patrick, la cinquantaine, esseulé, complètement blasé par son métier. Pourtant, il est le gardien du plus prestigieux musée du monde Le Louvre et de son tableau vedette à savoir « La Joconde ».



Qu'est-ce qui peut le rendre si malheureux ? Comment la Joconde peut lui redonner le sourire ? C'est toute la tâche que cette BD va parvenir à accomplir au prix d'un voyage initiatique et un peu ésotérique.



On va explorer de long en large ce tableau et j’apprendrais même des détails assez intéressants comme la dualité des paysages derrière le portrait de cette femme énigmatique. Il y a certes la Toscane mais pas que.



Le processus est comparable à ce que j'ai pu déjà lire dans le roman graphique mais quand c'est bien fait, on ne peut que souscrire car cela redonne espoir en la vie et en l'amour pour peu qu'on apprenne à s'accepter.



Il ne pourra que remercier Mona Lisa à la fin alors qu'il en avait une sainte horreur liée aux habitudes. Le voyage permet toujours de changer son point de vue.



Le graphisme est absolument somptueux pour une lecture agréable de cette œuvre d'art. Il faut dire que le Musée du Louvre est sans doute le plus beau au monde par la richesse de ce qui est exposé au public.



A découvrir le cas échéant pour un voyage culturel !

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Emilie voit quelqu'un

Émilie, à tout juste 30 ans, n'arrive à rien dans sa vie et a même des envies suicidaires. Côté affectif, son petit copain, Romain, est un vrai gamin, accro aux émissions de télé débiles et aux jeux vidéo. Elle a même tenter de rompre avec lui mais lui zappe totalement l'idée. Ses copines ne pensent qu'à faire la fête et sont un peu trop barrées pour elle. Et sa petite sœur, elle, réussit tout dans la vie et est comblée de par son boulot de pharmacienne et ses trois enfants. Son collègue de l'école primaire, un brin amoureux d'elle, voit bien que quelque chose ne va pas et lui conseille alors d'aller voir un psy...



Au scénario, Théa Rojzman traite avec humour et didactique de la psychanalyse. Comme Émilie ne va pas bien, elle décide d'aller voir quelqu'un, autrement dit un psy afin de l'aider à comprendre ce qui cloche, pourquoi elle se sent si mal et a des idées noires. Au fil des discussions, aussi bien avec cette dernière qu'avec des amies, Émilie va peu à peu mettre des mots sur ses maux. Le parcours de la jeune femme est entrecoupé de séquences explicatives sur ce qu'est l'analyse, le transfert, le souvenir refoulé... Théa Rojzman dresse le portrait réaliste d'une trentenaire attachante mais l'ensemble manque de profondeur. Le dessin d'Anne Rouquette est particulièrement simple et les couleurs trop flashy.

Un album intéressant qui dédramatise la psychanalyse...
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Grand silence

Théa Rojzman et Sandrine Revel dénoncent ici la loi du silence face aux maltraitances faites aux enfants, et notamment aux violences sexuelles. À travers ce conte pour adultes, intitulé "Grand silence", il nous est clairement exposé les conséquences désastreuses qui en découlent, pouvant aller jusqu'au suicide. Le message est clair : libérons la parole, écoutons ces enfants, aidons-les.



Sur une île inconnue, est implantée une usine, appelée "Grand silence", qui avale tous les cris des enfants : une façon de nous faire comprendre qu'il est bien plus facile de les ignorer, de faire comme s'ils n'existaient pas...



Les jumeaux Arthur et Ophélie ont été séparés lorsque leurs parents ont divorcé : Arthur est parti vivre dans un petit appartement avec son père, Ophélie est restée dans la maison familiale avec sa mère. Chacun va par la suite subir des atrocités. Au fond d'eux, un monstre va prendre forme. Arthur nommera le sien Aine, des piquants lui pousseront sur le corps. Ophélie, quant à elle, nommera le sien Onte, et rétrécira un peu chaque jour. L'un tombera dans l'alcool et la violence, l'autre dans l'anorexie. Jusqu'à ce qu'un jour, Maria, leur instit, décide d'agir : pour avoir été une victime plus jeune, elle entend tous les cris des enfants eux-mêmes victimes et elle en a assez, il est temps de mettre fin à ce Grand silence et de libérer tous les cris. Mais ce faisant, des volutes de fumée de différentes couleurs s'en échappent et se dirigent vers les gens : bleu pour les victimes, rouge pour les bourreaux, violet pour les victimes qui sont devenus bourreaux à leur tour...



Ce conte mi-onirique, mi-fantastique aborde un sujet très délicat et pénible, mais il le fait sans violenter le moins du monde, tout en finesse et subjectivité. C'en est très perturbateur et il n'en fait pas moins froid dans le dos.



Les dessins vont à l'encontre du sujet abordé, puisqu'ils sont extrêmement doux. Tantôt symboliques, tantôt métaphoriques dans la représentation des actes, des événements ou des ressentiments des personnages, ils nous offrent un scénario peu commun mais très efficace. Et comme il y a très très peu de texte, il n'y a souvent qu'à observer les événements s'enchaîner, c'en est d'autant plus bouleversant.



J'ai toujours du mal dans mes lectures quand on s'en prend aux enfants, mais je voulais vraiment découvrir "Grand silence". Ce roman graphique est aussi envoûtant que terrible, aussi malaisant que poignant. Mon retour paraît certainement quelque peu décousu, mais pour ma défense, je trouve très compliqué de mettre des mots sur un livre que je trouve à la fois beau et effrayant. Les autrices font montre de sensibilité et de tendresse tout en abordant un sujet dur, violent, abominable. C'est tellement contradictoire que j'en suis perturbée et que je ne sais plus qu'en dire.



Pourtant, il est nécessaire autant qu'il est efficace. En libérant la parole, Théa Rojzman et Sandrine Revel émettent un message très important : celui de dire, de mettre des mots sur des douleurs inexprimables, celui de les entendre et de les écouter jusqu'au bout.



Ce livre est à la fois beau et affreux. Écrasant et libérateur. Poignant et déroutant. Important et nécessaire.



Demandez-moi si j'ai aimé ? Je vous répondrais non. Demandez-moi pourquoi je n'ai pas aimé ? Je vous répondrais parce que j'ai aimé...

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Emilie voit quelqu'un, tome 2 : Psy à psy, l'..

Emilie continue bon gré mal gré sa psychothérapie avec l’originale psychanalyste Mme Soulac. Elle prend peu à peu conscience de faits qui se sont déroulés dans son enfance. Elle se rend compte de problèmes qu’ont traversés ses parents. Elle parvient à quitter cette apparence de vieille fille qu’elle traînait dans le tome 1. ● Le tome 2 éclaire rétrospectivement le tome 1 à mesure que la psychothérapie d’Emilie progresse. On retrouve dans cet opus l’humour et les dessins attrayants des autrices, de même que les planches sur la psychanalyse. Je le trouve plus réussi encore que le premier tome, qu’il est impératif de lire avant.
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Emilie voit quelqu'un

Emilie Geoly (fameux jeu de mots de ses parents !) est une institutrice trentenaire qui ne va pas très bien. Elle s’habille en vieille fille style Mary Poppins et sa pédagogie est plutôt vieux jeu : elle a réhabilité le bonnet d’âne. Son petit ami passe son temps devant la télé, sa sœur est insupportable de perfection, et elle a deux amies, l’une beaucoup trop belle et l’autre beaucoup trop dépressive. Sur les conseils d’un collègue, Emilie se décide à aller voir une psy. ● Dans cet album agréable à lire, la dépression est abordée de façon assez originale, même si l’on se demande au début où les autrices veulent nous emmener. ● L’humour omniprésent permet de faire passer une histoire qui ne serait autrement pas très joyeuse. Les dessins et les couleurs sont également attrayants. ● Des planches plus didactiques permettent de faire le point sur quelques notions de psychanalyse, sans que cela soit pesant ni rébarbatif. ● Un pastiche du tableau de Munch, Le Cri, vous attend au milieu du récit. ● Il faut lire le tome 2 bien comprendre le premier tome. ● Merci à Presence de m’avoir fait découvrir cet album
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Grand silence

Grand Silence évoque l'un des sujets les plus tabou de notre société à savoir les violences sexuelles commis sur des enfants. Avec la souffrance animale notamment sur les chiens, c'est un sujet grave qui me touche beaucoup. Il y a toujours un grand silence d'où la volonté des auteurs Sandrine Revel et Théa Rojzman d'en parler même si cela fait mal.



Chaque année, rien que dans notre pays, il y a plus de 130000 filles et 35000 garçons qui subissent des viols en majorité incestueux. Moins de 4% des victimes vont porter plaintes. Sur ce total, 73% des procédures pour violences sur mineur seront classés sans suite. Cela démontre l'impunité qui règne sur ces méfaits intolérables.



C'est sous la forme d'un conte aux allures enfantines et aux dessins parfois naïfs. Le choix graphique peut être discutable et déroutant mais il permet sans doute de ne pas basculer dans l'horreur la plus absolue.



Par ailleurs, le fond est amené avec beaucoup de subtilité. Les monstres existent malheureusement et il faut également les soigner. Au-delà de cet aspect, il faut saisir d'urgence de ce fléau afin de l'éradiquer. Les conséquences sont bien trop dramatiques et cela impacte toute la société.



Il y a le choix judicieux des couleurs entre le rouge pour l'agresseur et le bleu pour la victime mais surtout le violet pour celui qui a été victime et qui est devenu agresseur à son tour comme pour tomber dans un cycle infernal.



Je ne le cache pas, c'est le genre de BD qu'on ne lira qu'une fois tant c'est insoutenable. Je ne peux que saluer ces deux autrices qui ont fait un travail remarquable sur l'un des sujets les plus douloureux qui existent dans nos sociétés. Oui, il faut détruire le système du grand silence.

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Pie XII, tome 1 : Face au nazisme 1/2

BD HISTOIRE / XXe SIÈCLE.

C'est frustrant de voir qu'une oeuvre est bien pensée et bien exécutée, mais d'en passer émotionnellement et intellectuellement totalement à côté. Bien qu'ayant connaissance de la pièce de théâtre de Rolf Hochhuth et du film qu'en a tiré Costa-Gavras, j'ai dû mal à comprendre la controverse. Mais peut-être est-ce dû au fait que je sois un athée convaincu ? Pie XII n'est ni excusable ni condamnable, donc toutes les polémiques à son sujet ont tendance à m'indifférer. Les travaux de la scénariste Théa Rojzman et du dessinateur Erik Juszezak sont soignés, mais j'avais un peu l'impression d'être dans un album de Tito dans la première moitié des années 1990, époque où la BD m'ennuyait profondément… Not Deal comme on dit, et j'en suis le premier chagriné. Néanmoins les appendices de Bernard Lecomte sont vraiment intéressants et simples à lire et à comprendre, donc j'ai bien envie d'être du tome 2 quand même !
Lien : https://www.portesdumultiver..
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Grand silence

Grand silence est un album sur l'inceste, la pédophilie, c'est un album grave et traité comme tel mais avec des métaphores et des dessins qui rendent la lecture non pas légère mais plus facile, plus accessible sans pour autant supprimer l'émotion qui est bien présente.

La honte, la haine, la culpabilité, la peur sont représentées par des monstres, ou encore des dessins très suggestifs.

Une usine est créée pour avaler les cris des victimes, ainsi on ne peut les entendre et l'histoire se répète jusqu'au jour où une institutrice ayant elle-même été victime reconnaît les enfants abusés et va agir .

C'est une bd essentielle et accessible aux jeunes adolescents , pour les plus jeunes il sera nécessaire que la lecture soit commentée et expliquée.
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Le Voyageur

Sapere vedere

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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Sa première édition date de 2023. Il a été écrit par Théa Rojzman, dessiné et mis en couleurs par Joël Alessandra. Il compte cent-trente-neuf pages de bande dessinée. Il se termine avec un carnet graphique de dix-huit pages, agrémenté de courtes citations de Léonard de Vinci.



Musée du Louvre, Paris, France. Patrick exerce le métier de gardien pour le Louvre et il est régulièrement affecté dans l’aile Denon, où il doit supporter les hordes de touristes, accompagnés par des guides, qui se pressent pour admirer la Joconde. Leur comportement stéréotypé lui tape sur le système. Alors qu’il est en train de s’énerver tout seul dans sa tête, un groupe arrive, et la guide entame son commentaire. Elle leur demande s’ils connaissent les deux titres de ce tableau : La Joconde, ou le Portrait de Mona Lisa. Ils peuvent voir qu’il s’agit d’une peinture sur huile sur panneau de bois. Du peuplier pour être exact. Attention, elle ne veut voir personne s’approcher trop près du tableau. Les deux particularités principales de cette peinture sont ce sourire énigmatique et le fait que le regard suit le spectateur où qu’il soit. Les deux paysages : l’un semble habité par les hommes, l’autre est comme un paysage imaginaire. Certains commentateurs estiment qu’il s’agit d’une sorte de paysage intérieur. Le paysage est peut-être essentiel dans ce tableau. Regarder le pont et la rivière. La Joconde ne serait-elle pas aussi une évocation du temps ? Le temps qui passe et rend la beauté, un sourire, la vie humaine éphémères. Regarder comme ce sourire est énigmatique, quel est son secret ? Qui était vraiment la Joconde ? 500 ans plus tard, on ne le sait toujours pas et on ne le saura certainement jamais. Ce tableau est scandaleux pour l’époque, une femme souriante plantée devant un paysage quasi imaginaire et plutôt inquiétant comme un mémorial préhumain. Léonard de Vinci ne l’a d’ailleurs jamais remis à son commanditaire.



Un autre gardien rejoint Patrick estimant également que cette guide est particulièrement ennuyeuse. En revanche, elle a de jolies jambes. Patrick lui rétorque que c’est pas pour eux des jambes comme ça. La visite est terminée, le car les attend, la guide emmène son groupe et dit au revoir à Patrick, accompagné d’un Bonne soirée. Il reprend son attitude professionnelle et commence à indiquer aux visiteurs qu’ils doivent se diriger vers la sortie car le musée ferme dans trente minutes. Certains râlent car ils n’ont pas disposé d’assez de temps. Patrick se rend dans les vestiaires pour se changer, avec les autres gardiens. Marc, l’un des gardiens, en invitent d’autres à sa fête d’anniversaire, mais pas Patrick. Marc lui demande en revanche un service : aller dire à Geneviève, la moche de la billetterie, qu’elle a encore oublié de prévenir les gens que le musée fermait à 18 heures. Une fois ses collègues partis, Patrick flanque un grand coup de tatane dans un casier, pour évacuer sa frustration. Il se dirige vers la billetterie et il s’acquitte de sa promesse. Puis il rentre chez lui, supportant mal à la sérénade d’un accordéoniste dans le métro.



Une lecture facile, très aérée, quarante-quatre pages muettes, une dizaine de dessins en double page. Assez peu de dialogues. Tout est fait pour procurer une sensation de lecture rapide, sans effort, avec quelques passages oniriques. Un dispositif narratif assez classique : la possibilité de pénétrer dans un tableau pour en explorer l’univers. Les auteurs ont choisi la Joconde, le tableau le plus célèbre au monde, assez énigmatique dans les faits, contenant peu d’éléments visuels, et offrant donc un champ d’exploration très libre. Une histoire d’un homme seul, subissant une relation abusive avec sa mère, vivant encore chez maman à cinquante ans, une situation peut-être un tantinet exagérée. Il a fini par être aigri, ce que le lecteur comprend parfaitement. Les dessins ne le rendent pas particulièrement joli ou avenant, et certainement pas souriant. Le lecteur le prend rapidement en pitié, car il est évident qu’il est passé à côté de sa vie, mais en même temps il prend soin de sa vieille mère. La narration visuelle offre une expérience consistante un peu terne dans le monde réel du fait du choix d’une mise en couleurs cantonnée à des nuances de bleu un peu fades. Il en va autrement dans le monde du tableau qui se bénéficie de séquences en couleurs. Le voyage arrive à son terme. Et voilà… En fait pas du tout. Dès la première séquence avec la guide qui commente le chef d’œuvre de Léonard de Vinci (1452-1519), il se passe autre chose.



L’empathie du lecteur peut s’éveiller avec le commentaire lui-même sur le tableau : encore une personne qui parle de la Joconde, comme c’est original, c’est-à-dire exactement le sentiment de lassitude de Patrick. Ou par la remarque sur les jambes de la guide et le fait que c’est pas pour des gardiens de musée, une forme de résignation à être un individu insignifiant, un d’une banalité tellement ordinaire que les bonnes choses de la vie ne sont pas accessibles. Ou alors par l’écrasant sentiment de solitude, amplifié par le musicien qui chante la Vie en rose dans le métro, par le réconfort accablant de retrouver sa mère, par l’absence de toute marque festive pour son cinquantième anniversaire, par la monotonie débilitante du quotidien qui se répète dans un cycle sans fin, uniquement marqué par l’entropie qui grignote implacablement l’énergie vitale. Il ressent ces émotions en regardant simplement le personnage se déplacer mécaniquement dans sa vie, en ressentant le vide émotionnel qui émane de ces pages qui se tournent vite, de cette couleur qui donne l’impression d’être presque uniforme, de ces moments si rares d’échanges verbaux, et si vides d’implication. En contraposée, peut-être que l’artiste met à profit ces croquis de carnet de voyage en Toscane, mais quelle bouffée d’air frais, quel enchantement de couleurs, et si ce sont des souvenirs de vacances, il est évident que l’artiste y a pris plaisir, s’est délecté de ces visions et leur a fait honneur dans ses dessins.



Il est aussi possible que le lecteur s’interroge lui-même sur ce qu’incarne ce chef d’œuvre mondialement connu, sur ce qui en fait un chef d’œuvre, sur ce que lui-même y perçoit, ou au contraire sur ce qui en fait un portrait qui ne lui parle pas, à la surface duquel il reste. La relation à sa mère de Patrick est peut-être un peu appuyée, mais elle n’est pas moins universelle : chaque lectrice ou lecteur, quelle que soit sa situation, s’est interrogé dessus, a dû entamer ou faire le chemin de la séparation d’avec cette personne dans le ventre de laquelle il a vécu pendant la gestation, la personne qui a littéralement construit son corps. La représentation qu’en donne l’artiste s’avère très troublante : sa banalité, son visage dénué d’amour, mais aussi une forme de proximité physique attendrie. D’ailleurs, les dessins ne dégagent pas de fadeur, en fait ils montrent bien le quotidien de Patrick avec un bon niveau de détails dans les représentations, des zones du Louvre, immédiatement indentifiables, une Joconde très fidèle, aussi vraie que nature, quelques statues, d’autres œuvres d’art. Patrick baigne chaque jour dans des chefs d’œuvre, et cela finit par provoquer le lecteur sur sa propre relation à l’art. sa façon de les considérer, de les interpréter, de leur imposer le sens qu’il leur donne. Patrick lui-même donne plusieurs sens successifs à la Joconde : en fonction de son état d’esprit, Mona Lisa incarne une personne ou quelque chose de différent. Le sens est dans l’œil de celui qui contemple l’œuvre. Le lecteur n’est pas dupe : il sait que lui-même effectue sa propre interprétation et qu’elle s’avère changeante en fonction de son état d’esprit. Autant d’interprétations ou de sens à une œuvre d’art, que de personnes qui la contemplent. Et par voie de transposition, autant de sens possibles à cette bande dessinée qu’il est en train de lire.



D’ailleurs, comment lui arrivent-elles ces interprétations à Patrick ? Des réminiscences de ce qu’il a pu entendre des guides, certaines très séduisantes ? Peut-être des lectures faites par lui-même ? Ou une discussion avec un libraire ? Une librairie bien étrange que celle dans laquelle il pénètre, avec un libraire qui ne s’occupe que de cet unique client, de manière plus ou moins sibylline, et une pièce cocon envahie de livres dans laquelle il doit faire bon se réfugier. Cette exhortation en latin : Sapere Vedere, c’est-à-dire Savoir voir. Et puis ce voyage, ou plutôt ces voyages dans le monde de Mona Lisa, dans l’environnement du tableau, et hors cadre : de belles métaphores visuelles, à commencer par Sortir du cadre. L’enfant dans l’œuf, des inventions de Léonard de Vinci : voilà qui rappelle que le créateur de ce tableau était un génie. L’artiste aménage des visuels du maître, et leur choix atteste du fait que la scénariste a fait plus que survoler quelques images sur la toile. Le lecteur acquiert la conviction qu’elle-même a effectué ce cheminement de s’interroger sur son rapport aux œuvres d’art. À chaque fois, Mona Lisa prend les traits d’une personne différente, une projection de Patrick sur cette femme en fonction de ce qui accapare ses pensées. Progressivement, il se produit une catharsis au travers de la contemplation du tableau et de ce qu’il y projette. La Joconde reste inchangée, mais à chaque fois il la regarde d’un œil neuf, ou en tout cas différent, ce que montrent bien les dessins. Lors de sa rencontre suivante avec le libraire, celui-ci évoque la technique du sfumato, utilisée par de Vinci. Une autre métaphore s’impose : cela correspond également à l’effet produit par les réflexions et rêveries de Patrick sur lui-même. Jusqu’à cette image saisissante en page cent-neuf, d’un facsimilé de radiographie du tableau de la Joconde : il n’y a quasiment plus de personnage car il s’est ouvert aux autres, il a pour partie gommé ses propres frontières.



Arrivé à la fin de l’ouvrage, le lecteur découvre le carnet graphique et les citations de Léonard de Vinci : pas de doute possible, cette bande dessinée est l’œuvre de deux créateurs qui se sont abreuvés à l’esprit du maître. Il considère le chemin parcouru au fil des pages et il a du mal à en croire ce qu’il constate : une lecture d’une facilité déroutante, une sensation de simplicité qu’il a confondue avec une narration à la teneur un peu légère. En fin de course, une déclaration d’amour à Léonard de Vinci, à Florence et à la Toscane, une réflexion sur le rapport de l’individu à l’œuvre d’art fonctionnant sur la participation du lecteur, un ressenti analytique sur la séparation d’avec la mère, une histoire d’amour constructive et touchante, une forme de développement personnel intime et émotionnel d’une sensibilité rare. Une vraie merveille.
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Emilie voit quelqu'un

« Emilie voit quelqu’un » ne fait pas référence à un éventuel amant mais à un médecin, une psychiatre plus précisément.

Parce qu’Emilie ne va pas bien, même si elle a la trentaine, un conjoint, un boulot, un appartement, une voiture, de la famille et des amis.

Parce que parfois, en dépit de tout ça, et sans qu’on sache bien pourquoi, on ne va pas bien.

Un collègue l’oriente donc vers un psy.



Cette bande dessinée est très agréable à lire, Emilie est attachante et son mal être m’a ému.

Certaines pages sont un peu plus orientées vers des explications sur les symptômes de la dépression, sur le processus de l’analyse etc... mais cela reste fluide et en adéquation avec l'histoire.

Cela apporte des éléments de compréhension de ce qu’est une dépression, du fait que ça n’arrive pas forcément sans raison, que ça peut concerner tout le monde, et qu’on peut tout à fait s’en sortir avec de l’aide.

Les dessins ne m’ont pas forcément convaincus mais je pense qu’il s’agit là d’une simple question de goût.



J’ai aimé suivre le cheminement de cette jeune femme qui ne s’apitoie pas sur son sort, mais qui reconnaît qu’elle ne va pas bien et a besoin d’aide, une étape importante dans la guérison.

L’histoire n’est pas pour autant déprimante, car Emilie a de l’humour et certaines scènes sont assez cocasses.

Je remercie Babélio et les éditions Fluide Glacial pour cet envoi dans le cadre de l’opération masse critique.

J’ai beaucoup apprécié cette bande dessinée, intelligente et drôle à la fois.
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Emilie voit quelqu'un

Encore une BD de trentenaire en pleine crise existentielle ? Emilie se trouve nulle, trop petite, elle n'aime pas son boulot, son mec est un gland - du genre à se passionner pour Top-Master-Chef alors qu'il ne cuisine pas, imaginez un peu le désastre - oui mais il a un chouette appart', alors à tout prendre...

Oui, encore une BD girly mais celle-ci, loin d'être futile, est en plus épicée de petits grains de folie jamais trouvés dans celles que j'ai lues jusqu'alors.

On comprend quand les auteurs lancent des clins d'oeil (j'en ai repéré deux) à Fabcaro, auteur de l'album 'Zaï, zaï, zaï, zaï' aussi génialement poilant que loufoque. Ces trois-là sont faits pour s'entendre, ils ont le même humour délirant.



Ce récit d'une thérapie est drôle, mais tendre et émouvant, aussi. Délire et sérieux alternent, les petits cours de psychanalyse en schéma sont un délice.



• Un grand merci à Babelio et aux éditions Fluide Glacial.



♪♫ en bande son : '2043', Alain Bashung

https://www.youtube.com/watch?v=Wp5ynXMaqf4
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Le Voyageur

Club N°52 : BD non sélectionnée

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Introspection d'un gardien de musée à travers des oeuvres d'arts.



Belles aquarelles.



Histoire un peu fouillis.



Léna

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Une histoire qui se lit bien, qui se lit vite.



Simple et efficace !



Morgane N.

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Grand silence

Tout de suite, j’ai été charmé par cette atmosphère graphique feutrée, il y a un beau travail de matières, de nuances fines, de lumière. Le trait est discret, peu de cernes, parfois en couleurs. La couleur tient aussi un rôle très important dans l’histoire.

La douceur du graphisme est en contraste avec le propos. Il s’agit d’une histoire de pédophile, un sujet grave, traité avec finesse et poésie, c’est presque paradoxal, mais cela fonctionne parfaitement. Les auteurs ont choisi cette façon allégorique pour traiter ce sujet, il n’est pas pris de front, mais tout en nuances, symbolisant les violences, les destructions psychiques par des formes, des couleurs. Il y a plusieurs histoires dans cette histoire. J’avais lu il y a quelque temps “Pourquoi j'ai tué Pierre” d’Alfred et Olivier Ka qui m’avait fortement marqué. Alors que le point de vue était celui du rapport entre deux personnes, tournant le sujet autour de la manipulation, dans “Grand Silence” le thème est vu de façon plus générale, se focalisant sur le phénomène de société et surtout sur ce silence qui l’entoure, donc les actes sont abordés de façon plus symboliques, et le thème de la parole des victimes est au cœur du récit. L’impact y est aussi très fort, c’est une histoire qui peut se lire très jeune, Alors que “Pourquoi j'ai tué Pierre” permettait aux non-victimes d’apprendre à voir et à décoder, celui-ci s’adresse plus au victime, les incitant à remplacer la honte par la parole, à faire cesser ce silence qui protège les bourreaux.

Grand Silence, c’est beau, c’est dur, c’est nécessaire…
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Le Voyageur

Avec Le Voyageur, les deux auteurs nous offrent une jolie histoire de résilience.



Les dessins sont dans les tons de bleus, froids et un peu ternes, comme le quotidien de Patrick, 50 ans, gardien de musée au Louvre qui vit toujours avec sa mère qui le malmène. Déprimé, très seul, il n'apprécie plus les tableaux qu'il surveille au point de ne même plus supporter la Joconde admirée de tous les visiteurs.



Des dessins monochromes donc, sauf lorsqu'il s'agit des œuvres d'art exposées au Louvre, en particulier la Joconde, mythique tableau de Léonard de Vinci dans lequel Patrick a l'occasion d'entrer.



Cette B.D. est surtout l'occasion de parler de Léonard de Vinci (les lieux où il a vécu, ses œuvres...) et de la Joconde (l’aspect technique aussi bien que la symbolique du tableau ou la fascination qu'il continue à susciter). Mais c'est aussi le récit du parcours introspectif de Patrick qui grâce à ses voyages dans le tableau sort de sa coquille, retrouve le plaisir de travailler, de vivre...



J'ai beaucoup aimé les dessins de Joël Alessandra mais Le Voyageur reste un récit très abstrait, un peu trop pour que j'entre tout à fait dans l'histoire.
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Le Voyageur

C'est un bien beau voyage que nous offrent Thea Rojzman et Joël Alessandra !

Patoche est gardien de musée et vit seul avec sa mère dans un appartement parisien malgré ses cinquantes ans. Rien n'apporte de couleur à sa vie. La relation qu'il entretien avec sa mère est totalement castratrice. A ses côtés il n'est qu'un gamin coupable et irresponsable. Auprès de ses collègues, il est un vieil aigri, râleur, qui n'aime rien ni personne et peut-être encore moins que tout La Joconde, dont l'admiration des visiteurs lui tape sur les nerfs.

Mais que va t- il se passer quand il va traverser ce tableau comme Alice avec le miroir? Le mystère de Mona Lisa n'est-il pas le reflet du mystère qui se love en chacun de nous?

D'aller retour entre les deux côtés du portrait, Patoche va passer d'une pseudo réalité extérieure à sa réalité intérieure et devenir Patrick.

La façon dont les créateurs de cette bd jouent avec l'art de léonard de vinci pour nous dévoiler sa richesse et ,parallèlement, un message philosophique très fort, est un vrai coup de maître !

Le texte est pertinent, et réussit en peu de mot à dire bien plus que bien des essais ! Quant aux dessins de Joël Alessandra, ils passent des portraits très expressifs à des aquarelles magnifiques de la toscane, en passant par des croquis de léonard de Vinci qui rappellent son génie.

Une très belle réussite.
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Emilie voit quelqu'un

Comprendre un peu, c'est déjà avancer un petit peu.

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Ce tome est le premier d'un diptyque. Il existe une édition rassemblant les deux : Après la psy, le beau temps : Émilie voit quelqu'un. Cette bande dessinée a été réalisée par Théa Rojzman pour le scénario et par Anne Rouquette pour les dessins et les couleurs. La première édition date de 2015. L'ouvrage compte 104 pages de BD.



Dans un cabinet de consultation, la psychanalyste est en contre-jour, et elle admoneste sa patiente Émilie Geoly. Elle lui indique que si elle est venue chercher un arbre pour s'accrocher aux branches, elle s'est trompée de personne. Elle n'est pas un arbre, encore moins une branche. Madame Marguerite Soulac ferme les rideaux de la fenêtre, s'assoit sur sa chaise, prend son carnet de notes et demande ce qui arrive à Émilie. Elle répond qu'elle commence une dépression. Elle vient d'avoir trente ans et elle a envie de mourir tellement elle n'arrive à rien dans sa vie. Voilà ce qui lui arrive. Il y a trois semaines, Émilie avait tenté d'avoir une conversation sérieuse avec Romain, son conjoint, pour lui annoncer sa volonté de rompre. Celui-ci regardait une émission culinaire, au grand dam de sa copine qui sait très bien qu'il ne cuisine jamais rien. Elle n'était pas parvenue à détourner son attention de la télé assez longtemps pour déclarer son intention, et avait fini par retourner à la cuisine, tout en se grattant l'avant-bras droit de manière compulsive. Par défaut, elle l'en informe par texto. Elle regarde le chat faire des pitreries sur le rebord de la fenêtre. Romain arrive dans la cuisine en lui indiquant qu'elle a dû se tromper de destinataire. Elle le détrompe, et de rage il jette son téléphone par terre et le brise en mille morceaux à coups de talon nerveux.



Après ce moment d'égarement de Romain, Émilie s'assure qu'il va bien : il répond positivement et fait un signe au chat qui le regarde par la fenêtre, son esprit étant déjà en train de papillonner. Cela a le don d'agacer Émilie qui le somme de prendre ses affaires et de dégager. Il lui rappelle que c'est son appartement à lui. Elle déprime déjà à l'idée de devoir faire ses cartons et lui propose qu'ils se donnent une deuxième chance. Il accepte, va se prendre une bière dans le frigo et retourne à son émission culinaire. Elle se remet à se gratter le bras de manière compulsive. Elle sort et va prendre un verre en terrasse avec sa copine extravertie Mélanie qui lui conseille de se séparer de ce perdant. Elle finit par accepter de prendre un mojito. Le soir, elle sort en boîte avec sa copine gothique et un peu dépressive Carole. Elles picolent un peu, et Émilie finit par rentrer un peu éméchée, car elle a école le lendemain. Elle retrouve Romain en train de dormir affalé sur le canapé devant la télé allumée. Le lendemain elle se prépare et s'apprête à partir pimpante pour aller travailler. Romain tout juste lever lui dit qu'elle le fera toujours craquer avec ses fringues à la Mary Poppins.



Le lecteur connaît peut-être d'autres œuvres de la scénariste ou de la dessinatrice, ce qui a pu l'attirer vers cet album, ou bien la curiosité d'un récit sur une psychothérapie, ou encore la promesse d'une histoire amusante. Effectivement, l'éditeur est Fluide Glacial, ce qui renvoie au magazine mensuel humoristique, créé en 1975 par Gotlib (Marcel Gottlieb), Alexis (Dominique Vallet) et Jacques Diament. De fait, les dessins sont descriptifs et un peu simplifiés, avec une exagération dans les regards et les expressions de visage, et de temps à autre dans le langage corporel, pour des mimiques comiques très réussies, expressives et irrésistibles. Le lecteur sourit franchement en voyant Romain jeter son téléphone par terre de rage, et le piétiner comme un maniaque. La page suivante, il rigole en voyant Romain calmé dans la première case, le chat lui faire un signe dans la case suivante, et Romain lui répondre avec un signe et un grand sourire dans la suivante. Il ne fait pas que comprendre l'état d'esprit du personnage : il le ressent cette capacité de concentration qui ne dure pas plus que dix secondes, une nouvelle distraction chassant la précédente aussi vite qu'elle est venue. Par la suite, il sent le sourire revenir régulièrement : Émilie ressentant un haut-le-cœur qui l'oblige à courir vers l'évier pour vomir, son regard ahuri quand elle regarde les enfants dans sa classe, son degré d'énervement quand elle raccroche au nez de sa sœur, son regard méchant quand elle n'apprécie pas les remarques de sa psy, etc. L'artiste s'amuse avec d'autres idées visuelles, comme un détournement du célèbre tableau Le cri (5 versions réalisées entre 1893 et 1917), par Edvard Munch (1863-1944).



Il s'agit donc d'un ouvrage humoristique, avec une narration visuelle drôle et vivante, usant de l'exagération avec dextérité. La scénariste s'amuse bien également à opposer les caractères : la copine solaire et exubérante, celle habillée en noir et dépressive, Michael le collègue instituteur souriant prévenant et donneur de leçon, le chat mignon et joueur, la psychothérapeute sévère et s'adressant à Émilie comme à une enfant. Dans le même temps, les trois pages d'ouvertures ne jouent pas dans la franche moquerie ou la caricature. Émilie se rend à sa première séance, et à l'invitation de la psychothérapeute, elle déclare : Je viens d'avoir trente ans et j'ai envie de mourir tellement je n'arrive à rien dans ma vie. Elle le dit de manière sérieuse, avec gravité, sans une once de dérision. À trois reprises, le professeur des écoles Michael se lance dans une explication, un petit exposé pour développer une notion de base : 2 pages sur les différentes psychothérapies suivies par 2 pages sur la psychothérapie dans les grandes lignes, plus loin 1 page sur le concept du transfert, et plus loin encore 2 pages sur le refoulé. Ces pages font œuvre de vulgarisation au premier degré, sans aucune ironie ni moquerie. Elles se présentent sous la forme de phrases très courtes, avec un dessin enfantin pour illustrer chacune, comme dessiné par l'instituteur. Il ne se produit pas de dissonance cognitive entre le ton humoristique et ces passages explicatifs. Il y a une continuité émotionnelle entre les deux, assurée par le personnage d'Émilie, avec ses réactions parfois un peu excessives, et son désir de trouver une solution à son mal-être.



Rapidement le lecteur se demande si la scénariste raconte son propre cheminement, son histoire personnelle avec une psychothérapie. Il n'a aucun moyen de savoir si elle a été institutrice, ou si elle a fait l'expérience d'un refoulé de même nature que celui d'Émilie. Pour autant, cela n'a pas d'incidence sur le ressenti de lecture proprement dit. Le comportement d'Émilie sonne juste et honnête : un mal-être diffus sans cause apparente, si ce n'est son agacement vis-à-vis de son conjoint, et de ses propres réactions. Elle en a conscience du fait de certaines de ses réactions décalées : un sentiment de déprime irrépressible, une attitude anormale en face de sa classe, un énervement incontrôlable face à ses parents, un trouble obsessionnel compulsif. Il n'y a rien de grave ou de mortel, pas de comportement autodestructeur, pas de drame ruinant la vie de ses proches : c'est la banalité du quotidien. Dans le même temps, Émilie sent qu'elle ne veut pas continuer comme ça, qu'il faut un changement. Cette situation somme toute banale permet une projection et une identification organique pour le lecteur.



Qu'il soit étranger à la psychothérapie ou qu'il y ait eu recours, le lecteur se sent donc impliqué dans l'histoire personnelle d'Émilie Geoly, éprouvant de l'empathie pour elle et se demandant comment la psychothérapeute va s'y prendre et ce qu'elle va lui apporter. Il ne s'agit pas d'une baguette magique et il n'y a pas d'effet de guérison miraculeux. Il y a un travail d'introspection réalisé par la parole, et donc un refoulé mis à jour. Le lecteur peut avoir le sentiment que les séances s'enchaînent facilement et que la progression est régulière et significative de l'une à l'autre, ce qui ne correspond pas forcément à la réalité. Cela correspond aux contraintes de narration, et l'histoire n'est pas présentée comme un reportage réaliste. En y prêtant attention, le lecteur peut voir que ce travail sur elle-même remue des choses profondes, que cela ne va pas de soi et qu'Émilie est profondément touchée par les séances, qu'il lui faut du temps pour s'en remettre. De ce point de vue, ce récit dépare des ouvrages publiés par Fluide Glacial, et s'apparente plus à un roman dramatique naturaliste, très touchant, les moments d'humour contrebalançant en fait les émotions profondes mises en branle, sans moquerie.



En fonction de sa familiarité avec les autrices, le lecteur peut supposer qu'il s'agit d'une bande dessinée de nature comique du fait qu'elle soit publiée par Fluide Glacial. De fait, il s'agit d'un récit drôle et très plaisant à lire, grâce à des caractères bien pensés, et une narration visuelle vivante avec une exagération comique bien dosée et bien maîtrisée. Dans le même temps, le fil conducteur du mal-être d'Émilie Geoly est bien présent et le lecteur ressent bien son insatisfaction, ses moments de déprime, très proches de la dépression. Les deux autrices rendent à merveille ses états émotionnels, et le lecteur se retrouve à accompagner la jeune femme, totalement acquis à sa cause, devant fournir des efforts pour ne pas se gratter le bras comme elle par mimétisme, et assez déstabilisé pour répondre aux questions de Marguerite Soulac. Une sensibilité très touchante pour une crise banale, plus profonde qu'il n'y paraît.
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Scum : La tragédie Solanas

Valerie Solanas est une théoricienne très connue dans les cercles féministes (sans que celle-ci ne se décrive autrement que comme une écrivaine et une artiste, semblant mépriser les associations féministes) qui pour certains se revendiquent de sa pensée radicale visant à – tout simplement – éradiquer le genre masculin, jugé nocif et inutile (grâce à la Society for Cutting Up Men, acronyme potentiel du titre de son ouvrage « SCUM Manifesto »).

Les théories radicales menant à un certain extrémisme proviennent-elle forcément d'une vie marquée par les traumatismes ? C'est ce qu'indique cette bande-dessinée dès son titre, et si je n'ai pas forcément de réponse tranchée à cette question, cette position revendiquée par l'autrice Thea Rojzman (et confirmée dans une interview en fin d'ouvrage) m'a quelque peu dérangée durant ma lecture.



« SCUM Manifesto - la tragédie Solanas » nous décrit ainsi le parcours de l'écrivaine du début de la rédaction de son manifeste jusqu'à sa mort prématurée. Un parcours assez misérable puisque Valerie Solanas subit dans son enfance les viols répétés de son père dans l'indifférence de sa mère, l'empêchant de se structurer mentalement malgré une vive intelligence, et la poussant vers la drogue, la prostitution et une vie de bohème, supportée grâce à un dédoublement de personnalité et la compagnie d'un rat qu'elle s'imagine lui parler, mais surtout une haine des hommes qui atteindra son paroxysme quand elle décidera de tuer Andy Wahrol. Une décision motivée par le dépit face au créateur de la Factory qui rejeta sa pièce « Up the ass » (qu'on pourra traduire « DTC » - je vous laisse chercher la signification ras les pâquerettes de l'acronyme 😉) et à une volonté de se rendre célèbre pour mettre en avant ses théories. Une décision tragique car si Valérie Solanas est bien restée dans l'histoire, c'est davantage pour son attentat manqué que pour « SCUM Manifesto »…



« SCUM - La tragédie Solanas » est ainsi une bande-dessinée très crue, qui m'a poussée dans mes retranchements par le malaise, dû au parcours et à la personnalité plus que clivante de Valérie Solanas, qui apparaît manifestement très dérangée et en pleine souffrance car prise dans un mouvement auto-destructeur intense. Cette souffrance qui, selon l'autrice, a nourri les thèses radicales de SCUM et sans laquelle Valerie n'aurait pas été Solanas. C'est probablement vrai, mais est-ce que cette souffrance est la seule raison de cette radicalité ? Est-ce que toutes les personnes en situation de détresse mentale sont forcément radicales ? Et à l'inverse, est-ce que toutes les personnes ayant des thèses radicales sont en détresse mentale ? Je ne le crois pas, et envisager l'oeuvre de Valerie Solanas sous ce seul prisme m'a gênée. La vie de cette dernière n'étant pas vraiment documentée, rien ne permet en outre de l'affirmer clairement. Une position qui a clairement détérioré cette lecture, qui ne fut pas des plus faciles au demeurant.
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Emilie voit quelqu'un

Dans cette BD plus intéressante que ce à quoi je m'attendais, nous suivons le parcours d'une trentenaire assez atypique dans son look et mal dans son quotidien.

Après avoir admit qu'elle avait besoin d'aide, elle décide de suivre une psychanalyse afin de découvrir le pourquoi de son mal-être.

Cette BD est intéressante et drôle est également un brin cynique et caricaturale (nous sommes quand même chez Fluide Glacial). La narration, plaisante à suivre, est entrecoupée de planches "explicatives" sur la psychologie et la psychothérapie (par exemple les différentes disciplines, les mécanismes liés au subconscients, aux traitements etc) . Sans tout expliquer, les auteurs laissent même au lecteur le soin de faire leurs propres constatations quant à certaines attitudes d'Emilie.

Le dessin est sympa, stylisé avec ce qu'il faut de caricatural.

Une chouette lecture intéressante et instructive.
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Emilie voit quelqu'un, tome 2 : Psy à psy, l'..

Je suis désolée, je ne sais pas pourquoi j'ai dit ça…

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Ce tome fait suite à Emilie voit quelqu'un - Tome 01 - Après la psy, le beau temps ? (2015) qu'il faut avoir lu avant. Les deux tomes ont été réédités dans Émilie voit quelqu'un : Après la psy, le beau temps. Cette bande dessinée a été réalisée par Théa Rojzman pour le scénario et par Anne Rouquette pour les dessins et les couleurs. La première édition date de 2015. L'ouvrage compte un peu plus d'une centaine de pages de BD.



Émilie Geoly est installé dans le fauteuil le plus confortable du cabinet de la psychologue Marguerite Soulac, et elle lui déclare qu'elle s'en va, car elle va beaucoup mieux et elle estime que sa thérapie est terminée. Elle salue la tortue Mickie et elle essaye d'obtenir un avis clair de la part de la thérapeute sur son état, en vain. Le lendemain, elle arrive à l'établissement où elle est professeure des écoles et salue ses collègues, la directrice avec un ton enjoué, souhaitant bonne journée à tout le monde, el soleil étant avec eux. Ses collègues restent interdits devant cette manifestation extravertie. Émilie salue les enfants de la classe, avec le même ton enjoué. Ils sont sagement assis à leur place, et elle s'assoit en tailleur sur son bureau, leur indiquant que la classe ne va pas démarrer comme d'habitude. Elle va commencer par un moment de détente ensemble : qu'ont-ils fait pendant les vacances ? Les enfants la regardent totalement médusés, incapables de comprendre ce qu'elle attend d'eux. Elle apostrophe Tom en lui demandant pourquoi il a un bonnet d'âne sur la tête. Il répond que c'est elle, la maîtresse, qui lui a ordonné de le porter. Elle l'en libère, et s'exclame : Plus de bonnet d'âne ! Plus de coin ! Plus de punition, ni d'exclusions ! Terminé les humiliations !! Et elle déchire le carnet de bilan de compétences de la classe sous leurs yeux. Alors qu'ils sont de plus en plus choqués par ce comportement anormal, elle finit par leur faire faire une farandole en courant autour de la classe et en hurlant comme des indiens, ce qui emporte leur adhésion.



À la cantine, elle mange avec son collègue Michael et s'exclame à quel point le repas est bon. Il essaye d'attirer son attention sur le fait que ce sentiment de libération et de douce euphorie n'est peut-être qu'un redoux, une étape de sa psychothérapie. Elle refuse de l'écouter en se livrant à des simagrées. Après qu'elle soit partie toute enjouée et toujours aussi exubérante, il consulte internet sur son téléphone sur le thème de Terminer sa psychothérapie. Alors qu'on pense être guéri, est-ce la fin, ou n'est-on pas en train de fuir un nœud qu'on n'a pas envie de dénouer ? Une psychothérapie n'est pas un processus linéaire. On avance, on régresse, on tourne en rond, on avance à nouveau, puis on patauge dans la semoule. C'est la manifestation de la résistance au changement. Une thérapie est terminée quand les symptômes du mal-être ont disparu et que la personne est équilibrée dans son rapport aux autres et à elle-même. Le soir, Émilie reçoit ses deux copines Mélanie & Carole chez elle et elles découvrent sa décoration avec ses toiles expressionnistes, angoissantes.



À la fin du premier tome, l'avenir se présentait sous un jour souriant pour Émilie : elle avait découvert l'existence et la nature d'un souvenir refoulé grâce à ses séances chez le psy, avec une thérapeute à l'attitude assez particulière, madame Marguerite Soulac. De fait, cette deuxième partie commence par deux pages de séance, dans lesquelles Émilie annonce qu'elle est guérie, et elle met sa thérapeute au défi de dire le contraire. Le lecteur retrouve les dessins sympathiques d'Anne Rouquette, aux contours un soupçon tremblés pour évoquer la fragilité des individus, avec des exagérations sur le physique des personnages, tout en restant dans le domaine du possible, et l'expressivité irrésistible du visage d'Émilie sans qu'elle n'en devienne enfantine pour autant. Il s'agit bien d'états d'esprit adultes qui se lisent sur son visage, et le lecteur assiste à une sorte de bras de fer tout en douceur, un test de rapport de force entre patient et thérapeute. La page suivante rappelle que cette histoire a été publiée par Fluide Glacial et que l'humour a donc le droit de cité. À nouveau, impossible de résister aux dessins montrant l'entrain énergique et la bonne humeur tonitruante d'Émilie : son visage ouvert et rayonnant, son comportement un peu excité. S'il n'avait pas lu le contraire sur la couverture, le lecteur pourrait croire que cette bande dessinée est l'œuvre d'une unique autrice, tellement dessinatrice et scénariste sont en harmonie.



Ayant lu le premier tome, le lecteur se doute bien que la guérison miraculeuse d'Émilie est trop soudaine et qu'il va y a voir d'autres séances chez la psy. Non seulement ça, mais aussi le retour de Michael et de son recours systématique à internet pour étayer ce qu'il pressent de la phase que traverse sa collègue. Ainsi, le lecteur découvre deux pages de courtes phrases illustrées par des dessins enfantins, comme dans le premier tome, sur comment savoir si sa psychothérapie est terminée, avec un développement sur la notion de résistance au changement. Puis sur le même mode, deux pages consacrées aux notions de névrose et de psychose, et à la différence entre les deux. Et enfin une page consacrée à la deuxième topique de Sigmund Freud (1856-1939). Ces pages sont les bienvenues car elle présente de manière simple et vulgarisatrice une notion de psychothérapie de base qui agit comme une prise de recul sur le cheminement d'Émilie. Les dessins enfantins sont adaptés, non pas pour stigmatiser Émilie qui aurait un comportement immature, mais pour faire ressortir la puissance des émotions et des mécanismes psychiques dont on n'a pas conscience. Ces 3 passages sont complétés par une discussion dans la cour de récréation entre Émilie et Michael qui évoquent deux statistiques, la première sur le pourcentage de la population qui souffre de troubles mentaux, la seconde sur le nombre de suicides par an en France, converti en nombre de suicide par jour en France. Seuls 8% des personnes atteintes de troubles vont consulter.



Toutefois, cette bande dessinée n'est pas un cours de vulgarisation ou de découverte de la psychothérapie. C'est avant tout l'histoire d'Émilie et de ses amis. Comme dans le premier tome, elle s'avère irrésistible que ce soit par sa bonne humeur, par ses phases d'abattement, pas ses interactions avec les autres personnages. En prenant un peu de recul, le lecteur se rend compte à quel point c'est une personne complexe et bien incarnée, à l'opposée d'une coquille vide prétexte à un récit. Son métier de professeur des écoles a une incidence sur sa vie, ce n'est pas un simple décor sans conséquence en toile de fond. Son histoire personnelle remonte régulièrement à la surface que ce soit sa relation avec sa petite sœur et la charge émotionnelle qui s'y rattache, ou l'histoire personnelle de ses parents. À nouveau, le lecteur peut lire l'état d'esprit sur le visage d'Émilie pour chaque situation, se sentant ainsi impliqué par sa réaction émotionnelle. À l'opposé de révélations choc, c'est un cheminement progressif complexe, entièrement spécifique à cette jeune femme, et en même temps fonctionnant sur des émotions universelles. Le lecteur s'attache également à Michael, l'autre professeur des écoles, accro à internet et au moteur de recherches pour trouver des éléments d'information sur tout, et tout le temps. Il se prépare mentalement à chaque séance de thérapie, sachant qu'elle peut prendre une direction très différente, entre l'affrontement, ou le déballage, et toutes les nuances entre. Il sourit lors des rencontres d'Émilie avec ses deux copines au caractère diamétralement opposé, se rendant compte qu'elles agissent comme les extrêmes de sa personnalité : l'une lumineuse et enjouée, l'autre sombre et déprimée.



Comme dans le premier tome, le lecteur se rend compte qu'il sourit régulièrement, tout d'abord aux réactions franches et entières d'Émilie, mais aussi à certaines situations cocasses et même loufoques. La scénariste maîtrise parfaitement le caractère visuel d'une bande dessinée, et a intégré des éléments comme les tableaux peints par Émilie, ou des situations purement visuelles comme le comportement des enfants lors d'une séance de relaxation en classe. Elle sait mélanger le drame avec une exagération comique à la frontière de la vraisemblance. Le lecteur sourit franchement quand Émilie se met à héberger des pigeons et même à dormir avec un dans son lit. Il sourit tout autant en découvrant les névroses de Michael et son secret intime, ou encore le type de soirée auxquelles Mélanie assiste, ainsi que l'accomplissement personnel à la fois dérisoire et inestimable de Carole. Pas de doute, cette histoire mérite bien sa place parmi les ouvrages Fluide Glacial. Cette facette du récit fait ressortir l'humanité des différents protagonistes, leur personnalité qui n'est jamais lisse, et le drame qui accompagne chaque existence. Le lecteur n'est pas loin d'être ému aux larmes quand la psychothérapeute craque lors d'une séance avec Émilie et s'emporte contre l'irresponsabilité des parents et les dommages qu'ils causent sur la psyché de leurs enfants qui porteront cette marque toute leur vie durant. Ces moments s'avèrent poignants et justes, pas la vérité de moments réels, mais l'authenticité du vécu.



Le lecteur s'était attaché à cette petite dame (une mère d'élève la confond de dos avec un enfant du fait de sa taille), et souhaite savoir si elle ira mieux. Il replonge dans un récit aux dessins expressifs et justes, pour une histoire qui se lit toute seule, générant de nombreux sourires, avec de nombreuses saveurs : histoire personnelle, drame intime, souffrance existentielle, secret pesant d'une génération sur l'autre, mal-être insoupçonnable (pour Mélanie et sa frivolité apparente), hétérogénéité des valeurs, et extraordinaire chaleur humaine. À noter que l'édition en intégrale a bénéficié d'un épilogue supplémentaire de 4 pages, se déroulant 20 ans plus tard.
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Grand silence

Le sujet de ce roman graphique est difficile puisqu'il est question des violences sexuelles commises sur les enfants. Pour parler de ce fléau, Théa Rojzman (scénario) et Sandrine Revel (dessins) ont mis en scène un monde fictif. Sur une île, une usine gigantesque avale les cris des enfants victimes d'abus sexuels, les rendant ainsi muets.



Les dessins très colorés contrastent avec la noirceur du sujet. On note l'originalité du traitement par le biais d'un univers fantastique. Parmi les personnages principaux, il y a les jumeaux. Tous deux sont victimes d'abus sexuels, mais ils ne réagissent pas de la même manière. La fille ne s'alimente plus et rétrécit de jour en jour, tandis que le garçon ne parvient pas à gérer sa colère et se couvre d'épines. Les enfants sont parfois représentés perdant leur tête (comme sur la couverture) pour évoquer un phénomène de dissociation. Les traumatismes sont au coeur de ce récit.







Un livre qui mérite d'être lu. Il rappelle qu'énormément d'enfants sont concernés et insiste sur la nécessité de libérer la parole. J'ai cependant eu un peu de mal à entrer dans le récit en général et dans les personnages.
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