Citations de Thierry Maugenest (117)
Tôt ou tard, un homme vous enverra la photo de sa bite. Le pire, c’est qu’ils croient que ce genre de trucs peut nous faire l’effet. Pas un instant ils se disent qu’une simple phrase comme : “et monter lentement dans un immense amour” nous toucherait davantage. Mais bon, si Rimbaud se trouvait sur Tinder, ça se saurait, en même temps...
”Et toi, que cherches-tu sur cette appli ?” Voilà la question qu’on te posera chaque fois. Et chacun a sa réponse toute faite. Mais, au fond, tout le monde cherche la même chose. L'exaltation, l’amour, le plaisir, la folie, l’orgasme, on veut vivre tout ça. Ce qui fait la différence, c’est la durée. L’un veut tout ça pour un soir, telle autre pour une vie.
Des chercheurs ont prouvé que l'état amoureux sollicitait la même aire cérébrale qui réagissait à la cocaïne ou aux amphétamines. Au fond, l’amour n'est qu’une drogue comme une autre. Les applis de rencontre, ce sont un peu nos dealers...
Les gens heureux n'ont pas d'histoire. C'est en poursuivant des espoirs fous que les Terriens ont engendré la rancœur, la guerre, le chaos. Nous autres, Ataraxiens, n'éprouvons aucune honte à être heureux. Nous jouons notre rôle, même si celui-ci a été écrit il y a près de mille ans.
Je ne veux pas vivre pour être heureuse, je ne veux pas me contenter d’aimer et d’être aimée, de voyage, de divertir les clans à la veillée. J’attends davantage de l’existence, de ses arcanes, de sa puissance cachée. Certains mystères m’obsèdent. Je ne connaitrai la paix qu’au terme de mes recherches.
Je préfère mourir en poursuivant un but, ajouta-t-il dans un filet de voix, plutôt que vivre quelques mois de plus en ayant renoncé à mes projets.
La réalité pourrait bien n’être qu’une illusion en effet, mais si nous y vivons heureux, pourquoi devrait-on rejeter nos certitudes? Est-il préférable de vivre dans un questionnement perpétuel ou faut-il prendre la vie comme elle vient, en renonçant à percer à jour ses mystères?
Le prince Krândüll -1, enfin débarrassé des gnomes de Balzâhr-2, voyait se dessiner derrière un rideau de brume les fortifications de la cité interdite de Hôrjh-3. Son cheval, épuisé par la traversée du pays Hirceland-4, n’avait plus la force de galoper.
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1 Pour mémoire, le prince Krândüll est le quatrième fils du roi des Haverland. Ce personnage apparaît dans le tome 97 des Aventures de Gühn au pays des Falkiên.
Une aube, longtemps espérée, allait se lever sur l'Occident. Mais ce soleil-là ne viendrait pas de l'est. Ceux qui l'attendaient, qu'ils soient philosophes, astronomes, mathématiciens ou médecins, tournaient tous leurs regards vers le sud, bien au-delà des Pyrénées, vers les plaines de d'Al-Andalus, où les hameaux et les cités, ainsi que les décrivait le poète Ibn al-Hammâra, apparaissaient au milieu des vergers et des champs d'oliviers comme des perles blanches enfouies au milieu d'émeraudes. Ces perles, dont les plus belles avaient pour nom Cordoue, Grenade ou Séville, étaient elles-mêmes des écrins protégeant le plus grand trésor : le Savoir. Ainsi, les rois chrétiens, qui reprenaient alors par le fer les cités andalouses aux souverains maures, s'empressaient, après chaque nouvelle conquête, d'ouvrir toutes grandes les portes des majestueuses bibliothèques des anciennes cours des émirs. Et le soleil, trop longtemps contenu, se leva enfin. Tout ce que l'occident avait perdu se trouvait là, et les copistes et les traducteurs se mirent à renvoyer, comme autant de falaises, les échos des noms d'Aristote, de Ptolémée, d'Euclide, de Galien ou d'Hippocrate. Ainsi, l'art de soigner les hommes et les femmes, après avoir fait le tour de la Méditerranée et s'être enrichi des connaissances orientales, fit lui aussi son grand retour en Occident.
- Qu'est-ce que les hommes y gagneraient ?
- La liberté ?
- Nous sommes déjà libres.
- Non, Amos, tu crois seulement l'être, tout comme l'hirola qui galope dans la plaine se croit libre. mais de quelle liberté parles-tu lorsqu'il t'est refusé de te dresser contre l'ordre établi. Crois- moi, seule la révolte est l'expression de la liberté.
- La monnaie vous permettra de réaliser vos rêves. Grâce à elle, vous ne serez plus jamais esclaves de vos devoirs. Certains êtres sont faits pour obéir, d'autres pour commander. La monnaie vous aidera à asseoir votre domination. Contre un nombre de pièces convenu, des hommes et des femmes seront disposés à se mettre à votre service. Vous ferez d'eux ce que vous voudrez. Ils travailleront pour vous et, si vous êtes assez habiles, le produit de leur labeur vous permettra de posséder plus de pièces encore, pour obtenir davantage de pouvoir. Vous jouerez tous avec le mêmes règles, mais seuls quelques-uns l'emporteront. À vous de saisir votre chance.
La foule ne formait plus désormais un espace soudé, mais un ensemble d'individualités. Les visages s'étaient durcis, les regards s'étaient chargés de défiance. Chacun caressait le projet de triompher de ses voisins. Sous les yeux de tous se dessinait le contour d'un nouveau monde, dans lequel il leur faudrait bientôt siéger à la meilleur place.
À l'heure où Yksella de Vries ordonnait de larguer les amarres, nul à bord n'eut de mauvais pressentiments. Les passagers n'ignoraient pas que la mauvaise fortune pouvait surgir en mer comme sur terre, mais l'âme des Ataraxiens était d'un naturel serein et l'insouciance régnait le plus souvent parmi eux. Peu enclins à la nostalgie, une émotion jugée à la limité de la pathologie, ils avaient appris à ne jamais imaginer le pire concernant l'avenir.
Il existait bel et bien parmi eux une divinité, omniprésente et bienveillante : c'étaient les arbres, les vents, les fleuves, ces terres et ces mers qui les avaient accueillis, qui les nourrissaient et qu'ils respectaient suivant le quatrième Principe sacré, celui de la Parcimonie. S'ils ne priaient pas la nature, s'ils ne s'agenouillaient ni ne s'inclinaient devant elle, les hommes et les femmes de cette immense communauté l'aimaient en silence d'un amour presque mystique, comme aucune civilisation n'avait jamais aimé ses dieux, avec un respect profond, certes, mais sans crainte d'un jugement ni d'une quelconque colère divine.
À quoi lui servait-il de vivre éternellement les mêmes journées ? L'idée de savoir exactement à quoi ressemblerait son existence avant même de l'avoir vécue lui était insupportable. Naxès refusait d'agir comme l'avaient fait ses ancêtres et comme le feraient ses descendants. Il cherchait un sens à sa vie, il avait besoin de livrer bataille pour aller vers l'inconnu, vers ce qu'il considérait comme l'essence même de l'humanité.
Tous deux observèrent le silence. Les longues pauses entre les phrases étaient caractéristiques de la conversation ataraxienne, où les non-dits, les respirations, les regards étaient souvent plus importants que les mots.
Alors, pendant que les lames cognaient sur la coque, Eraan s'abandonna au vertige qui s'emparait d'elle chaque fois que la proue du navire s'élevait au rythme du tangage, comme si, à l'image de ses lontains ancêtres, elle se fût un instant libérée de la pesanteur terrestre.
- Tu te mens à toi-même. Tu n'as jamais réellement souhaité te ranger derrière les lois d'Ataraxia.
- Si, car elles sont justes ! Elles nous permettent de vivre en paix.
- À quoi sert la paix si elle n'est au service d'aucun rêve ?
- Tes rêves ne sont qu'illusions. Tu ne penses qu'avec ton impatience. Si tu acceptais les Principes sacrés, tu vivrais enfin au présent et tu cesserais de te projeter dans le futur. Croire à un quelconque progrès de l'humanité n'est qu'une fuite en avant insensée.
- Vivre sans d'autres projets que de recommencer sans fin ce que d'autres ont fait avant nous est plus absurde encore. Quel crime l'humanité doit-elle expier pour devoir revivre la même existence pendant des siècles ?
- Tel est le prix du bonheur. Les hommes heureux n'ont pas d'histoire.
Plutôt que de se contenter d’écrire l’Histoire à leur avantage – ce qui est depuis toujours l’apanage des vainqueurs –, les ennemis de Silhouette ont préféré le chasser tout bonnement des mémoires. Bouter un opposant hors d’un palais, d’une cour, d’un pays, d’un continent même, cela s’est vu par le passé, mais de l’Histoire c’est peu courant.
Ainsi, plus de trois siècles après sa naissance, rares sont les auteurs qui se sont penchés sur le parcours de cet idéaliste qui se dressa seul face à la finance et à l’aristocratie, comme si la cabale dirigée contre lui restait d’actualité.
Son idéal, très différent des excès qui marqueront la Terreur, se rapproche de celui des révolutionnaires de l’été 1789, partisans pour la plupart d’une monarchie constitutionnelle, et qui souhaitaient en finir avec l’injustice, la famine, sans songer cependant à réclamer la tête du roi.