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Citations de Thomas Giraud (54)


Jacques, le père, battait la campagne frénétiquement, sans s'arrêter, sans passion pour elle, dans le seul but de rejoindre des fidèles, laissant de côté les pierres, les arbres, se plaignant des ruisseaux qui lui faisaient faire des détours, fuyant tout regard sur le ciel. (...) Le temps des choses, leur pulsation et la vision portée sur elles par l'un et l'autre ne trouvaient aucun instant ni aucun terrain à partager. Ou si, par la force des choses, les repas. (p. 44-45)
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Il note : Arbre. À l’est de Liège, sur une route assez large bordée par des champs. L'arbre est au milieu d'un champ. Je ne connais pas son nom (il tente un dessin de l'arbre et conserve une feuille de celui-ci dans son cahier). Cet arbre habite l'espace, de long en large. Il est planté dans la terre et retenu, par elle, par de longs doigts noirs qui la soulèvent assez loin autour. Il monte au ciel, très haut. De près, de dessous, on ne voit rien que l'ombre lourde et humide. Il est trop dense pour offrir le ciel au regard. Il faut se reculer, prendre de la distance pour mesurer l'ogre qu'il est : il mange tout le ciel autour. Il s'étend aussi avec mille bras en largeur. Les frondaisons, jolies, d'un vert tendre bruissent délicatement et me rappellent les voiles des gabares sur la Dordogne par jour de petit vent. C'est le plus beau bruit du monde. Là, le ciel est sombre, agité. L'arbre serait-il plus beau avec du bleu tout autour ? J'attends le temps qu'il faut pour me faire une idée. Une autre idée. Une idée avec le soleil. J'attends. Je préfère cet arbre dans le gris pommelé des nuages, avec le vent. Il offre une beauté plus sincère.
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Il essaie, comme il peut, de reconstruire ce que Jacques, le père, peut bien vouloir dire.
Jacques lui dit encore : "Tu ne fais rien. Je te vois toute le journée et toute la journée je te vois ne rien faire. Tu vas d'un endroit à un autre. Tu sembles entamer quelque chose que tu t'arrêtes de faire. Puis tu remets en place ce que tu as entamé. Tu sembles chercher à mettre un petit désordre, pas trop grand, juste suffisant pour que tu puisses, ensuite, t'occuper un petit moment à tout remettre en ordre. On ne vit pas comme ça Élisée. C'est le travail qui doit t'occuper. Tu n'as pas besoin pour le moment de te choisir un travail particulier, tu es un enfant, mais tu dois faire chaque chose comme si elle était un travail. Chaque chose mérite d'être faite avec une grande patience, du temps. Chaque chose doit être difficile. Si tu trouves que ça a été simple, c'est que tu t'es trompé, c'est que tu as bâclé. Et si tu ne t'en rends pas compte, regarde de plus près l'objet que tu travailles et tu verras tout ce que tu as raté. Tourne-le, regarde bien, et là, devant ton nez tu ne pourras pas passer à côté de cet angle qui coince, de cette rangée de poireaux qui semble défier l'entendement. Dément, c'est bien ça qui te guette, être dément, si tu n'acceptes pas de vivre comme on doit le faire. On ne peut pas vivre autrement. Je ne le peux pas, les autres ne le peuvent pas, tu ne le peux pas. Mais tu pourras beaucoup prier." Il poursuit : "Nous n'avons pas seulement une part à faire, à accomplir durant notre vie, nous devons faire, sans mesure, sans mesurer, ni la taille de l'effort, ni celle du temps. Et peu importe aussi le temps qu'il fait. Ce qui compte c'est de faire, le repos vient à celui qui fait, tu comprends ce que je te dis Élisée ? Tu comprends, non tu ne comprends pas, toi tu ne comprends pas que l'on fasse, toi tu cherches à attraper la lumière, à transformer les papillons et les ruisseaux alors que ce sont des seaux qu'il te faudrait, pour ranger, pour t'aider à ranger le monde. Tu pourras beaucoup prier."

Bout de pensée : J'en ai marre de lui.

Bout de pensée : J'en ai vraiment marre de lui.
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Bout de pensée : Qu'il laisse le vent et les pierres. Il ne comprend pas le temps qu'il faut pour arrondir une pierre, pour pouvoir dire, je la connais.

Bout de pensée : Il voit de la paresse là où il ne sait pas regarder. Quelle différence fait-il entre fainéant et paresseux ?

Bout de pensée : Il se trompe. Ces pierres ne sont pas du vent, elles sont la terre que l'on transporte et un peu de l'espace en poussière.
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Il lui joue un autre blues dont il a retrouvé le thème principal. Ils parlent d’Indiens aussi. C’est bien mon gars. On sent la musique. Elvis fait quelques pas de danse, bouge ses hanches qui ont l’air si souples, ses jambes toniques, sous les yeux envieux de Jackson. Il donnerait presque des cours de danse à Jackson s’il n’avait un sursaut. Dans sa tête, Le gars boîte non ? Il se raidit vite, ralentit sa danse pour s’immobiliser tout à fait.
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Lorsque Considerant pensait, disait Réunion, même en chuchotant la nuit dans son lit pendant des insomnies, tout apparaissait, les maisons, les champs, les élevages, les petites industries; la joie aussi.
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« Ce qui l’a le plus surpris, c’est que personne ne lui ait dit que le malheur devait se prévoir. » (p. 265)
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« Au fond le langage lui fait défaut pour formuler le vide. Acculé à la honte, devant l’effondrement ou plutôt devant ce qui ne s’est jamais vraiment construit, il ne trouve rien d’autre que du vide à reformuler, de vieilles idées fades et collantes comme un vieux bonbon à ressasser. » (p. 196)
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Il veut surtout la compagnie des lacs, ce calme à toute épreuve, ces odeurs qui fermentent, cette impression de renoncement du lac, ce vieillissement tranquille.
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Il dit les routes et pas ce qui mène aux routes que l'on ne voit pas.
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C'était une famille de tousseurs. Le père, Jacques, toussait, et tous les enfants, avec des intensités variables, toussaient. Ils toussaient tous au moindre rhume, au moindre coup de froid. Au mieux de leur forme, ils toussaient aussi : avant le café, après une promenade, devant une salade de carottes. Tous les douze, treize, quatorze enfants toussaient. Les repas étaient les moments privilégiés des toux. C'était Élie, le premier, en général, à tousser. Ensuite, il n'y avait pas d'ordre de préséance : ça toussait.
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Elie lui apprend les rudiments de la gastronomie locale (pas les saucisses), à protéger sa chambre des intrusions nocturnes des autres collégiens (une chaise posée sur deux pieds, coincée sous la poignée de la porte, les deux autres pieds calés par des livres), les cours sans intérêt, les enseignants dont il faut se méfier, les horaires (et comment profiter de ceux-ci), bref, il joue son rôle d'aîné. Il protège, partage, initie, taquine un peu, entoure avec patience.

Il lui rappelle aussi qu'il faut écrire aux parents.
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Les vraies disputes avec son père, Jacques, ne sont pas tout à fait prêtes. Il faut attendre qu’elles se préparent, on ne se dispute vraiment que lorsque l’on est capable de prendre prétexte de l’accessoire, du détail, pour remettre en cause tout un système de pensée, toute une manière de vivre. Il n’en est pas du tout là. À l’âge où il est encore cet enfant, où sa peau est claire des voyages qu’il n’a pas faits, où ses bras qui seront toujours relativement chétifs l’étaient déjà, avec sa petite taille et sa chevelure soyeuse, il s’enfuit ruminer ses frustrations et tiraillements, déplacer des pierres. Pas déplacer des montagnes, juste ramasser des pierres et les faire voyager. De petits actes mesurables.
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C’est à cause du bruit des tuiles qui se brisent, de la peur des toits qui s’écroulent, qu’il n’a pas voulu faire comme eux. Il n’aurait pas pu supporter de vivre avec cette approximation, cette fragilité devinée dans chaque jointure, dans ce mortier de dernière minute qui colmate ces centimètres qui manquent avec peut-être un peu trop d’eau et un sable de qualité médiocre, savoir que tout n’a pas été parfaitement construit comme on l’avait pensé, qu’i a fallu ajuster. Ajuster, c’était leur mot. Tout le temps, on ajustera, tu as ajusté, ça s’ajuste ça, c’est que ça n’est pas encore ajusté ; et lui il entendait pour accompagner ces ajustements les tuiles tomber, un bruit comme des assiettes que l’on casse une par une.
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3,81 mètres pour ton bateau Ocean Wave ce n’est pas bien grand. Si tu ne peux pas l’allonger, tu as cependant pris plusieurs semaines pour le modifier, le rendre plus apte à traverser. Tu veux bien croire aux miracles, les frôler ou même les susciter mais tu n’es pas complètement fou. Tu l’as adapté pour le rendre le moins inapproprié possible, seulement un peu moins car les chiens ne feront de toute façon pas des chats. Tu le renforces, le surélèves afin d’en faire une coque de noix plus joufflue, plus stable pour les vagues et les vents qui t’attendent.
Tu n’as pas trouvé tout seul les meilleurs solutions pour stocker les litres d’eau et les kilos de nourriture, ce que la conception d’Ocean Wave ne permettait évidemment pas, la croisière de poche ne laissant de la place que pour un ou deux sandwiches, une thermos et un kilo de clémentines. Tu as rencontré Michael, un homme sans âge, peut-être quarante, peut-être cinquante ou soixante, sûrement soixante ans compte tenu de tout ce qu’il semblait avoir traversé comme routes, pays, qui passait son temps à transformer des camionnettes utilitaires en camping car pour des jeunes gens aux cheveux hirsutes plus préoccupés que toi par la nourriture macrobiotique et l’envie de faire beaucoup d’enfants. Un génie taiseux du bois, de l’acier et surtout du rangement qui semblait capable de tout rendre carré, ou au moins empilable et avec des angles, savait comment exploiter la moindre poche de vide, même étroite, avec une forme incongrue où tu ne voyais pas bien ce que tu pourrais ranger. Lui il voyait, il savait la place que prend une serviette roulée, un matelas de camping et des boîtes de conserve. Il devait caser au sens propre comme au figuré, dans les quelques mètres carrés de ton Guppy 13, deux mois de nourriture, trois mois d’eau, un réchaud et deux recharges en gaz, des couverts pliables, trois pantalons, deux pulls dont un à col roulé, une veste de quart, un gilet de sauvetage, six paires de chaussettes, six slips, une brosse à dents, deux tubes de dentifrice, un savon, une canne à pêche, une épuisette, une petite caméra, des lunettes de soleil, un sextant, un exemplaire de la Phénoménologie de l’esprit, trois crayons, un carnet, un matelas de camping, un harnais, deux serviettes, un coussin et de quoi réparer le bateau pour une petite avarie.
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Tu as dit à tout le monde que la traversée de l’Atlantique durerait soixante jours. Ça pourrait évidemment être cinquante-cinq ou soixante-treize mais c’est soixante que tu as sorti de ton chapeau, pour le plaisir du chiffre rond, qui pourrait être biblique ou un arrangement avec la Bible pour te faire marcher sur l’eau mais qui ne l’est pas. Soixante parce qu’il faut dire les choses nettement, pour que tout le monde comprenne. Brièvement même. D’ailleurs maintenant tu parles de seulement deux mois.
Tout est prêt depuis trois jours : le bateau est en ordre, le reste aussi ; le reste est une catégorie un peu molle et floue qui à la fois englobe généreusement le matériel, les préparatifs, toi, et qui ferme aussi les yeux, discrètement, sur les mouvements de l’âme, les tiens, ceux de Sue, des autres. Tu n’attends que la bonne couleur du ciel et le bon écartement des nuages, les signes encourageants du baromètre, un coefficient de marée idéal, le vol prometteur de quelques oies en formation, la disparition de la trace laissée par un avion dans le ciel, des mouettes enthousiastes pour lever l’ancre. Tu as eu le temps de penser à ce que tu diras à Sue et aux quelques amis, camarades venus assister au grand départ. Plutôt, à ce que tu ne diras pas. Tu ne veux pas dramatiser ton départ. Deux mois. Certes sur l’Atlantique. C’est vrai, sur un petit bateau. Et seul. Quatre choses donc. Ce n’est pas rien mais aucun de ces éléments, isolés ou ajoutés, n’est une raison suffisante pour rendre cette petite cérémonie solennelle. Il n’y aura donc ni mots graves ni esprit de sérieux, pas question d’être le mime raté de soi-même à vouloir fabriquer des moments importants. Même sans costume ni ruban, tu vois assez bien comment avec tes mots, gonflés artificiellement par une émotion que la perspective de deux mois peut créer et le petit roulis de la mer, tu pourrais sortir quelques idées définitives, des phrases trop grandes pour tout le monde. Ce serait un peu gênant, ridicule ; ça finirait même par devenir vaguement inquiétant pour ceux qui restent, qui pourraient penser que tu veux faire passer un message. Tu sais aussi que tu ne veux pas parler trop brièvement, ni trop longuement. Ne pas faire une blague ni chanter. Tu as prévu un petit discours accroché au mât comme si tu l’étais à la terre. Tu regarderas beaucoup Sue, en souriant, en souriant beaucoup, et tu alterneras ce qu’il reste de temps et de sourire sur les visages de John, Fred, Emma, Michael et Alberta. Tu seras concentré car la navigation est une affaire sérieuse. Ce sera banal car tu es déjà concentré.
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Tu étais seul, tu as toujours été seul. Ca n’a jamais été d’une solitude déprimée et déprimante mais ce fut une solitude qui je suppose s’est imposée par la force des choses, la mort d’un père, la sortie de la guerre, une adolescence rebelle, bref une solitude orgueilleuse. Il y a une série de photographies de toi où l’on te voit sur une chaise, derrière une table, au coin du feu. Tu mimes les grandes manières pour le photographe à qui tu as donné des instructions pour attraper ces grandes manières, celles auxquelles s’adonnent les dandys, les vampires, ou plutôt celles qui les font : des dîners à de grandes tables rectangulaires, sans personne ni rien d’autre qu’un bol de soupe de potimarron, un verre de vin et quelques fromages patiemment affinés. Sobre, distancié, le menton relevé, un port altier donc. Il y a de l’ironie mais entre l’ironie que tu y mets et le fond de ton caractère la distance est très courte. Tu n’es pas snob mais tu as toujours été isolé, même avec les autres autour et avec toi. Tu ne sais pas tout à fait comment t’y prendre pour avoir l’air commun ou, au contraire, hors des limites.
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Tu appelles un peu mais pas vraiment. C'est moins pour appeler que pour bouger les lèvres et arracher ton esprit aux intempéries. Tu n'attends ni une main miraculeuse qui fasse taire le vent et les creux de la mer, ni la proximité d'un navire où tu pourrais être recueilli. Tu appelles pour retrouver en toi, en dessous, enfouis par les années, une impression, un souvenir, un écho.
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La mer n'est pas la montagne mais elle a cette même éternité, elle produit ce sentiment d'un décor ancestral, celui de l'origine du monde, et d'une mise en scène préparée en avance dans laquelle les hommes et les femmes avancent comme ils peuvent, étonnés, hypnotisés, écrasés, en extase.
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Lorsque faute de place tu as renoncé à prendre quoi que ce soit pour t'enregistrer sur l'eau, Sue a pensé que tu renoncerais. Elle a trouvé ça étonnant, cette performance, ta performance, sans personne pour la regarder, pour la commenter en train de s'accomplir ou plus tard. Une performance invisible, impossible à suivre, dont on ne pourra retenir que ce dont tu veux bien te souvenir, c'est-à-dire quelque chose qui compte assez peu dans une activité où il s'agit de révéler. Tu n'étais pas seul au départ de Cap Cod et ne le seras pas lors de l'arrivée à Felmouth. Mais le grand creux du milieu, où tout peut se passer et où concrètement tout se passe, là où tu es tout de même censé chercher le miraculeux, c'est comme si ce grand creux de plusieurs semaines sur la mer ne comptait pas ou ne méritait pas d'être vu, entendu, ausculté, vérifié. Pourtant, il n'y a que lui qui est important. C'est lui qui te fera dans tel ou tel état une fois arrivé. (p.135)
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