Citations de Valérie Zenatti (423)
Quand le sergent qui les accompagne soulève la toile huilée à un arrêt au milieu de nulle part, le soleil leur inflige une brûlure immédiate, ils s'alignent pour se soulager, leurs jets marron dégagent une odeur douceâtre, tenace, ils tracent des figures abstraites qui s'écoulent en rigoles sombres sur le sable, et même là, dans ce paysage digne du Grand Canyon où aucun d'eux n'a jamais mis les pieds, c'est à qui pissera le plus loin.
Je n'ai jamais dormi avec une femme, mais je vais bientôt savoir à quoi ressemble la guerre.
[…]je n'ai pas eu pitié, c'était eux ou moi, c'était eux ou toi, alors je les ai abattus, un à un, je découvrais leurs visages au momment où ils mouraient et je les oubliais aussitôt, il faut déjà tant lutter pour garder en tête les traits des êtres aimés.
maitriser la langue de l'ennemi était un atout, il avait déjà intégré ces mots, la langue de l'ennemi, et il les utilisait en oubliant que c'était la langue de son père, de sa mère, de ses grands parents, celle dans laquelle il avait grandi.
comment quelqu'un peut il disparaitre d'une vie, d'une maison et pourquoi ?
Je suis une montre qui s’est arrêtée à l’heure du crime, un cœur qui continue de battre alors que le cerveau ne répond plus.
Dans la réalité il ne peut y avoir que moi d’un côté, elle de l’autre, nos deux peuples qui se haïssent et se tapent dessus, nous sommes les Roméo et Juliette du troisième millénaire mais personne n’est là pour écrire notre histoire.
Je me suis dit: ça semble si loin. Pas loin comme un rêve inaccessible mais comme un cauchemar que l’on est soulagé de ne pas vivre.
J’avais des frissons, j’ai revu ce fameux soir où le ciel s’est abattu sur nos têtes, où la terre s’est dérobée sous nos pieds, où nous nous sommes tous sentis orphelins et perdus.
Je me dis, naïvement peut-être, naïvement certainement à tes yeux, que, si des gens comme toi et moi essaient de se connaître, l’avenir aura des chances d’avoir d’autres couleurs que le rouge du sang et le noir de la haine.
Il a vingt ans, il fait son service militaire à Gaza, des horreurs, il en voit tous les jours certainement, ou tous les deux jours lorsque c’est calme. J’imagine qu’il a appris à ne pas voir, ou à oublier, pour ne pas ressembler trop tôt à un vieillard.
Nos deux peuples n'ont jamais été d'accord sur les mots.
Vous dites "Israël", on dit "la Palestine". vous dites "Yéroushalaïm", on dti "AlQuds".
Vous dites que vous recherchez des terroristes dans la ville de Sichem et nous on dit que vous êtes aux trousses de nos combattants dans la ville de Naplouse. (Et c'est la même ville ! Et ce sont les mêmes hommes!)
Vous dites un "terroriste", on dit un "martyr" (quand il est mort, évidemment. Sinon, c'est un combattant, un courageux combattant).
Vous dites "On commence par la sécurité, ensuite il y aura la paix" et nous disons : "Commençons par la paix, la sécurité viendra d'elle-même ensuite."
Je n’ai pas voulu que cette vie qui m’etait si précieuse soit résumée.
Je désire et redoute le prochain livre que je traduirai sans lui, sans pouvoir parler avec lui de son rapport secret avec ses personnages, sans le tenir au courant de ma progression, des sentiments qui me traversent au fil des chapitres jusqu'au point final, où une bénédiction inédite s'élève en moi, particulière à chaque livre, mais qui s'achève chaque fois de la même manière : merci d'être arrivée à ce jour. J'ignore comment ces livres-là imposeront leur présence, quels seront leur résonance et leur effet dans ma vie, et c'est heureux qu'il en soit ainsi, je sais que chacun d'eux sera une découverte de lui, des hommes, de moi.
Mais c'est ainsi : nous sommes nés là où la terre brûle, où les jeunes se sentent vieux très tôt, où c'est presque un miracle lorsque quelqu'un meurt de mort naturelle. Et moi, je veux continuer à croire que, si lui et moi parvenons à nous "parler" vraiment, ce sera la preuve que nous ne sommes pas deux peuples condamnés à perpétuité à la haine, sans remise de peine possible.
J’ai pleuré. Longtemps. Il a placé ma tête dans le creux de son cou, dans cet endroit que j’ai toujours appelé « mon refuge ». je pleurais sur moi, sur lui, sur moi qui ne ressens plus rien comme avant, ni l’amour que j’ai pour lui, ni le bonheur que j’ai à être dans ses bras. Je pleurais l’amour qu’il me donnait en me demandant si ce n’était pas une trahison, de recevoir autant de douceur sans bouger, sans rendre quoi que ce soit en retour. Je pleurais de me sentir si vide, en vie mais vide, fragile comme une coquille d’œuf, creuse, un gouffre à l’intérieur qui me donne le vertige, la nausée.
Ce qui est accompli est en toi, le bien et les saloperies, les caresses et les coups, c'est gravé à jamais, ça ne s'efface qu'avec la mort..;
« On m’appelle Melki, ou soldat Melki, ou matricule 4593001073. Tu t’appelles Jacob, lui demande Maryse. Oui. Alors tu es juif. Oui. »
Je ne sais où il est né, ce qu'il aimait, ce qu'il l'effrayait enfant, ce qu'il voulait faire après la guerre, c'est comme s'il n'avait jamais existé.
Il souriait souvent, sans raison particulière, c’était comme des guillemets au début et à la fin de ses phrases, ses yeux se mettaient à briller, son visage s’ouvrait. J’avais l’impression que son sourire se faufilait en ondulant dans mon corps comme une liane douce, se blottissait dans mon ventre et le fécondait pour donner naissance à mon propre sourire.