Citations de Véronique Côté (62)
Quand j’étais enfant, je rêvais de déménager, de changer d’école et d’être la nouvelle de la classe.
Maintenant, parfois, j’en rêve encore, de ça, d’un endroit où personne me connaîtrait, ou je serais comme neuve.
Mais.
Au fond, je rêve encore plus d’avoir envie de rester quelque part.
Dans les vestiges de mon ex, j’avais trouvé un carnet bleu. Je l’ai lu sur la pointe des pieds. J’ai lu avec le cœur qui battait à mes tempes. Je l’ai lu au complet. Il avait écrit des pensées drôles et délicates, sur les filles, sur lui, il avait transcrit quelques citations. Et il parlait de ses amoureuses. Il en parlait bien, il en parlait avec amour. Il écrivait: «Quand Cécile chante doucement en cuisinant, je sais que je peux me reposer, enfin me reposer. Me reposer.» Ou «M. est partie. Je vois plus rien. Je suis redevenu aveugle.»
(...) On s’est laissés, comme les gens qui s’aiment pis qui s’aiment plus font. On s’est quittés, mais on est restés amis. Je suis retournée chez lui, et un soir, pendant un party, j’ai pas pu résister: je suis allée voir dans le carnet bleu s’il avait écrit sur moi. Ce qu’il avait écrit.
Rien. Il avait rien écrit. Ni pendant qu’on était ensemble, ni après. J’ai laissé aucune trace
Les choses finissent. C’est ce qui les rend belles.
Les histoires finissent. C’est ce qui fait que leur commencement a du sens.
Les pays, les chansons, les espoirs, les jardins. Les fourmis. Les gens. Un jour, tout meurt.
L'absence totale de poésie dans le monde politique actuel me semble révélatrice de tout ce qui fait défaut à notre conception contemporaine de l'exercice démocratique. Nos manières d'appréhender chacun des enjeux auxquels nous sommes soumis sont complètement dénués d'imagination, d'indépendance de pensée, de véritable liberté. (p. 46)
Elle a l’air de sourire vraiment beaucoup pis d’être de bonne humeur le matin, on dirait que peut-être ça lui arrive de se réveiller parce qu’elle rit dans son rêve, de se réveiller en éclatant de rire. Je peux pas non plus sérieusement lui demander ça: «Est-ce que tu ris quand tu dors?»
Au début, c'était facile. Je n'avais que ça à surveiller, sa respiration. J'ai pris le tour, je suis devenu très habile; j'étais le gardien de sa bouche, de son souffle, de son haleine de bébé qui sentait le lait et les nuages. On n'a aucune idée de la façon dont la vie bascule quand un enfant arrive, on ne sait pas, on ne peut pas savoir à quel point on va s'inquiéter, toujours, tout le temps, tous les jours, toutes les nuits, on ne peut pas savoir avant avec quelle angoisse on va le voir grandir, avec quel bonheur mais, surtout, avec quelle angoisse ça va venir ce bonheur là, parce que justement le bonheur est tellement aigu, tellement fort, tellement lumineux, le bonheur devient tellement toute ta vie, tout le sens de ta vie, que tu te mets à avoir peur que ça finisse. Que ça arrête de respirer. Page 101
Ce qui est beau, c'est la multitude de ces autres vies rêvées, qui brillent dans le noir comme autant de petits phares, comme une constellation de tous nos possibles. Si ça va plus là où tu es, si cette vie-ci ne te dit plus rien, tu peux toujours venir ici, il y a de la lumière tout le temps. Quand je ferme les yeux, je vois la lueur de ces petites fenêtres phosphorescentes trembler partout sur la planète. Page 43
Avec le temps j’ai appris à me méfier des littéraires, parce que je me suis fait assener deux-trois phrases comme: «Si je n’étais pas un romancier, je croirais que je suis amoureux de toi», ce qui calme les nerfs, tsé.
Je n'avais jamais vu de baleines, et pourtant j'en rêvais - la nuit, je veux dire. Leurs grandes formes mouvantes habitaient ma conscience, comme une sorte de paix en forme de poissons géants. Fragile et immuable, magnifique, insaisissable. Les baleines, dans mon esprit, représentaient toutes ces choses dont on peut être certains qu'elles existent, même si on ne les a jamais vues, même si elles sont menacées. Je croyais au baleines comme on croit à l'amour quand on ne l'a pas encore connu, ou qu'il tarde à revenir se poser dans notre vie.
J'aurais envie de porter mes lunettes de soleil en permanence pis je comprends pas d'ailleurs pourquoi on me jugerait. Pourquoi on juge ça, quelqu'un qui a ses lunettes de soleil le soir, ou quand il pleut, ou à l'intérieur. Ca a tellement l'air de déranger du monde ça, ce concept-là de lunettes de soleil. En fait, je trouve ça tellement compliqué moi ce concept- là de lunettes de soleil, on dirait que c'est tellement rare les moments où t'as le droit de les porter en paix, on dirait qu'il y a tellement de facteurs qui influencent le fait de si t'es pertinent ou non de mettre tes lunettes, moi j'aurais juste comme envie de les mettre tout le temps, parce que je suis super bien quand je les ai dans la face, je me sens bien, je me sens moins "là", je me sens moins collé sur le monde de la table à côté dans les restos, je me sens moins dans la cuisine du monde que je croise en faisant l'épicerie, je me sens moins en train de pleurer en communauté devant un film au cinéma, je me sens moins en pleine vie privée du monde de trente ans que je croise dans la rue avec leurs trois enfants dans des poussettes pis qui s'engueulent parce que, ben crisse, ils ont pris des trop grosses décisions trop vite, trop jeunes, pis là ben ils sont pus capables de se voir la face pis ce qui les enrage le plus, c'est que, théoriquement, y'en ont encore pour quarante ans à s'endurer la face. Tout ça pour dire que j'aimerais ça porter mes lunettes de soleil en permanence. Librement, mettons.
Je profite de la nuit pour pleurer. La nuit. Bleue. Et froide. Je voudrais pas être une chauve-souris ou un loup garou, mais je trouve quand même qu'ils ont compris que la nuit est parfaite pour crier. Et pis pour mordre.
Quand je vois la mer en vacances, je me sens comme si j’avais trahi la plus belle partie de moi: je comprends pas pourquoi je vis loin de la mer tout le temps.
Ce qui est beau aussi, c’est la multitude de ces autres vies rêvées, qui brillent dans le noir comme autant de petits phares, comme une constellation de tous nos possibles. Si ça va plus là où tu es, si cette vie-ci te dit plus rien, tu peux toujours venir ici, il y a de la lumière tout le temps. Quand je ferme les yeux, je vois la lueur de ces petites fenêtres phosphorescentes trembler partout sur la planète.
Avant, je voulais rien posséder, je voulais pas acheter un seul meuble, je voulais pouvoir partir n’importe quand, sans rien avoir à justifier, à caser, à organiser. Je voulais rien qui me retienne. C’était un peu extrême. Maintenant j’ai des meubles. Pas beaucoup, mais quand même. Je suis pas partie si souvent, en plus. Je voulais pouvoir partir, ce qui est différent. Je sais maintenant que c’est dans la tête, pouvoir partir, c’est rarement une question de mobilier.
Les Japonais disent qu'une maison finie, c'est une maison morte. J'aimais mieux avant. Quand la maison était en vie. J'aimerais ça que mes parents reviennent ensemble. C'étaient eux, la maison.
Je suis tombée amoureuse du pays en premier, et de lui pas longtemps après. C’était un amour insensé et c’était un amour nécessaire parce que c’est cet amour qui m’a sauvée de tout, de l’ennui, du désarroi, de la perte de sens, de moi. C’était un amour qui ne se pouvait pas et c’est l’amour qui m’a traversée le plus profondément, c’est l’amour le plus beau et le plus utile de toute ma vie – c’est l’amour qui m’a appris l’amour, et qui m’a appris, parce que j’avais besoin de l’apprendre, que je pouvais être aimée, être aimée à la folie, être aimée éperdument, être aimée plus que tout. Plus que le réel. Et que je pouvais aimer, moi aussi, plus que le réel.
Le grandiose ne niche pas toujours où l'on pense - le grandiose est d'une fragilité bouleversante.
La poésie est un impensable raccourci qui donne accès au coeur multiple des choses.
Ma mère allaitait mes frères sur le toit, mon père se tenait en équilibre au bord des gouttières, ils s'attachaient pas, ils mettaient pas de crème solaire, ils avaient l'âge que j'ai maintenant et ils avaient déjà trois enfants, une maison qui fuyait de partout, avec des vices cachés et aucun moyen de se faire dédommager, mais ils étaient comme invincibles ou je sais pas, ils avaient trouvé comment on fait pour vivre, ils fonçaient dans le tas, ma mère était aux études, mon père faisait trois jobs en même temps en plus de patcher toutes les trous, c'était le bordel et c'était magnifique.
Découvrir l'écriture d'un homme que j'aime, ou que je vais aimer, que je sens que je pourrais aimer, même juste ça, les traces sur la page, les lettres formées avec fébrilité, légèreté ou impatience, ça m'émeut, d'une façon irréversible, ça me prend, ça me chavire. Ça me transperce. Je pourrais tomber amoureuse juste comme ça. Je le sais. Je fais attention. Et j'évite les séances de dédicaces, les salons du livre, toute ça.