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Critiques de Viktor Pelevine (52)
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La mitrailleuse d'argile

Voilà bien un livre à la hauteur de sa réputation, éclatant chef-d’oeuvre de la très jeune littérature post-soviétique, perpétuant la tenace tradition d’excellence littéraire d’un peuple coutumier des violences de l’Histoire…



Délirante mais solidement campée, l’histoire de ce livre alterne entre deux époques charnières du pays, chacune succédant à une révolution, marquant naissance et mort du soviétisme, le tout possiblement encapsulé dans la tête de notre héros dérangé, Poustota (signifiant « vide »), tour à tour opportuniste brigadier rouge au coté du légendaire Tchapaïev lors de la guerre civile, pour se retrouver enfermé dans un asile d’aliénés sous Eltsine, sans que soit jamais complètement décidé laquelle étant le rêve de l’autre.



D’une remarquable densité, convoquant avec une sautillante exhaustivité toute la panoplie de l’âme russe, trouble tord-boyau et oignons posés sur la table, grand écart d’apollinien à dionysiaque, d’une rationalité occidentale tentée par le cinéma américain, modèle d’oligarches oubliant leurs racines, d’autres plongeant jusqu’aux confins asiatique, chevauchant avec le Bachkire de petits alezans, le visage radieux fouetté par le vent des steppes… chacun philosophe, mais d’aucun capable de philosophie, mis à part ces quelques maitres anarchistes, que l’on hésite encore à ranger sous la lettre Φ, Bakounine ou Kropotkine rarement classés dans la même catégorie que Kant, Marx ou Nietzsche… à raison ?

En tout cas, de la philosophie, ce livre en fait, avec ce mythe de l’armée rouge, Tchapaïev, transformé en néo-platonicien, lui qui a fini noyé dans l’Oural, à la frontière géographique de l’Europe et de l’Asie…



Pas mal de poésie, aussi, ce qui permet au passage d’admirer le travail de traduction du tandem Galia Ackerman - Pierre Lorrain, qui en font juste ce qu’il faut pour expliquer certaines subtilités aux non-slavophiles, sans jamais freiner l’allure échevelée de l’embarcation.



Mis à part un petit creux aux trois quarts du livre, emporté loin vers une autre figure tutélaire nationale, le Diable, l’histoire ne connait aucun répit dans ce feu d’artifice, rejoignant une très sélective catégorie incluant « Underground » de Makanine ou ce « Train Zéro » de Bouïda, conjuguant à chaque fois des références familières pour en sculpter de l’inédit.
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Ontologie de l'Enfance

J'aimerais débuter l'année — et vous la souhaiter excellente à tous — en commençant par un auteur russe contemporain, Viktor Pelevine, encore très et trop peu connu en France, eu égard notamment à l'originalité et à la fraîcheur de ce qu'il propose en matière de littérature.



Ontologie De L'Enfance est l'un des jolis petits livres bilingues proposés par les Éditions Du Rocher et qui mettent à disposition des textes et des auteurs russes qui sortent un peu des sentiers battus. Ici l'on ne déroge pas à la règle avec un sacré petit livre qui remue bien tous les souvenirs savamment sédimentés au fond de nos mémoires.



Pelevine nous invite à réfléchir pour savoir comment s'élabore dans notre conscience le concept flou de " paradis perdu " de l'enfance, voire, à la notion même d'enfance et/ou de bonheur qui y est souvent associé. Ce faisant il décortique les mécanismes de la perception : ceux qu'ils étaient quand nous étions enfant sur tel et tel objet, et ceux qu'ils sont désormais à travers nos yeux d'adultes, appliqués aux mêmes objets, qui en tous points sont demeurés les mêmes.



Ce serait déjà une expérience littéraire intéressante mais l'auteur va encore plus loin. Il déroule sa narration comme s'il s'agissait d'exemples autobiographiques, donc ayant leurs caractéristiques propres, qu'on ne questionne pas trop au départ, puis, au fur et à mesure, on se rend compte que l'enfant dont il nous parle a grandi dans l'espace éminemment cloisonné d'une prison de l'ère soviétique.



Et l'intéressant de l'expérience, c'est que pour cet enfant, cette vie dans les locaux et l'atmosphère pénitentiaires EST la normalité, et, comme composante normale d'une vie d'enfant, elle est liée à un certain bonheur et une certaine joie de vivre. Ce n'est qu'en grandissant que la perception se modifie et que les lieux et les objets prennent une autre signification.



Ce faisant, dans la tête de l'individu dont l'ontologie s'est effectuée ici, ces images resteront indéfectiblement liées au " paradis perdu " de l'enfance. D'où une réflexion plus vaste, malgré le faible nombre de pages de l'ouvrage, sur ce qu'EST l'enfance. Peut-être n'est-ce qu'une perception, ou, plus précisément, une manière de percevoir, laquelle perception particulière à l'enfance ne devient perceptible à l'individu sur lui-même que quand la manière de percevoir de cet individu a changé.



Il y a encore bien d'autres éléments à glaner dans ce petit livre et que je vous conseille, au sortir de cette période des fêtes de fin d'année, dont notre perception dépend intimement de celle que nous en avions durant l'enfance… Ceci dit, ces menues réflexions ne sont que l'expression de ma propre perception, c'est-à-dire, bien peu de chose.
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La vie des insectes

Viktor Pelevine (né en 1962) est souvent décrit comme un écrivain énigmatique, dérangeant et très imaginatif. La Vie des insectes est une satire sociale qui se sert des insectes pour peindre les hommes. Ecrit en 1993, le roman allégorique révèle le caractère animal du capitalisme sauvage à la mode post-soviétique, le chaos social qui en découle mais plus généralement, il s'intéresse à la nature humaine, cherchant la lumière dans de vaines valeurs.



Au début, nous sommes dans une station balnéaire délabrée en Crimée. Sam Sucker, un Américain svelte et arrogant discute mondialisation avec Arnold et Arthur deux investisseurs locaux, anxieux et complexés. Et puis soudain les trois personnages se jettent de la balustrade dans le vide. Ce sont des moustiques. Ils ont des prélèvements d'hémoglobine et de glucose à faire. L'avide Samuel fait un prélèvement sur un Russe fortement imbibé d'eau de Cologne de la forêt russe …

Nous faisons ensuite connaissance avec un honorable papa qui donne une leçon énigmatique à son fils et lui met dans la main à la fin de chaque phrase, une petite boule de fumier. le petit sort soudain de sa chrysalide. Il s'agit d'un bousier.

Marina l'ouvrière-pondeuse se bat farouchement pour sa survie. Elle apporte des biens matériels à sa coopérative de fourmis tout en construisant son propre trou.

Mitia et Dima vivent dans l'obscurité et aspirent à la lumière. Ce sont des phalènes, des papillons de nuit. Mitia qui a lu Marc-Aurèle explique à Dimia qu'ils tournent autour d'une boule de fumier en la prenant pour une lampe. Ils discuteront souvent du sens de la vie, de films français ou de Samuel Beckett sous un réverbère. On rencontre aussi mais ne le répétez pas un ingénieur-cigale qui code des plans sur informatique et se fait pousser une moustache pour être pris pour un cafard.

Nikita et Maxim, artistes « conceptuels» partagent un joint tout en déplorant le fait que des insectes rampent dans « l' herbe ». En effet ils fument tellement qu' ils se découvrent à l'intérieur de la pipe, punaises de chanvre soudainement fumées par deux impayables fumeurs de joint. Very bad trip très drôle. Il y a bien d'autres personnages, des femelles bien humaines qui aspirent à la liberté, notamment Natasha la mouche, une beauté très convoitée par Sam et qui est née des oeufs de Marina.

Les personnages-chimères sont tous en interaction, tantôt humains-tantôt insectes et, c'est le gros point fort cela passe, sans heurts, comme une lettre à la poste. le livre nous amène à nous interroger sur notre propre ambiguïté d'animaux pensants, sur notre instinct et notre liberté. Mais ne croyez pas que le roman est constamment plaisant. Non. Certes il y a de très bons passages, des dialogues drôles et créatifs mais je me suis aussi parfois ennuyée. Il est très gorgé de références russo-russes. Aussi je suis passée à côté de bien des parodies, pastiches ou autres réflexions. En revanche, j'ai bien apprécié les pensées universelles du papillon philosophe.





Je vous engage, petits scarabées, à lire critique et citations du sage Batlamb avant qu'il ne s'envole.
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Ontologie de l'Enfance

J’aime beaucoup Viktor Pelevine (né en 1962), depuis La Vie des Insectes (1993 ) une fable moderne sur la Russie post-communiste pleine d’humour et de compassion. Ontologie de l’enfance est un livre de jeunesse (1991) iconoclaste et pessimiste, à mi-chemin entre l’essai et le récit, dans lequel l’enfance est perçue comme une prison en chantier. Le livre vous prend aux tripes et ne vous lâche pas grâce à sa précision et à ses images fortes. Au début l’enfant, qui vit dans une prison, n’a pas conscience d’être enfermé. Il perçoit l’espace du dehors ouvert et lumineux, il parcourt les longs couloirs comme un explorateur avec des objets mystérieux qu’il est le premier à découvrir après les ouvriers du bâtiment. Et puis son espace se rétrécit à mesure qu’il prend conscience de son sort et de son autonomie. L’enfant assiste impuissant à la vie routinière de ses parents entourée de noirceur, il observe la violence des adultes par les interstices des hauts murs qui l’environnent et leurs explications gorgées de mots compliqués n’éclairent en rien la réalité. Il comprend écœuré que les adultes attendent de lui sans le dire le même comportement résigné et il enrage. Mais parfois les évasions réussissent, dans le secret le plus total. « Et personne ne sait où se cache l’évadé. Pas même lui-même ».

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La Flèche jaune

Première édition chez Mille et Une Nuits (1996) avec postface de Bernard Cohen et illustrations de Stephane Richard.



Très jolie nouvelle où le monde est un train qui avance sans fin vers le pont détruit.

Variation du mythe platonicien de la caverne mêlée à l’effondrement de l’URSS.

Ecriture précise et évocatrice. Quelques images inoubliables

Sempiternel regret : que le novelliste n’en ai pas fait un roman…
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Omon Ra

J’ai découvert ce roman dans la ‘Bibliographie des textes fantastiques et de science-fiction de Russie et des pays de la CEI traduits en français’ de Patrice Lajoye.



‘Omon Râ’ (1992) est le premier roman de Viktor Pelevine et a été récompensé par deux prix littéraires russes orientés SFFF : le «Интерпресскон» et le «Бронзовая улитка». J’ai beaucoup apprécié l’écriture et la narration à la première personne. L’histoire est à la fois fascinante et effroyable.



Le jeune Omon Krivomazov réalise son rêve en intégrant la formation de cosmonaute. Celle-ci a de quoi surprendre. Mais qu’est-ce qui se cache derrière le programme spatial soviétique ?



Un livre à mettre dans ma pile à relire.









Challenge XXe siècle 2022

Challenge ABC 2022-2023

Challenge mauvais genres 2022

Challenge littérature slave orientale
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La Flèche jaune

On retrouve dans cette longue nouvelle la conception bouddhique du temps, c'est-à-dire un temps qui n'existe pas. Ainsi, quand nous cherchons à percevoir l'instant présent, c'est toujours avec un train de retard : « Tout le problème vient du fait que nous partons constamment pour un voyage qui s'est terminé dans la seconde précédant notre départ. »



Et dans cette histoire, l'existence des personnages est littéralement emprisonnée dans un train sans arrêt et sans fin apparente, autre que celle d'un « pont détruit » que tout le monde évoque comme l'inconnu, comme la mort au bout de ce voyage qu'est la vie.



Chaque instant passe sans laisser de traces, de même que le paysage défilant par les vitres du train est aussitôt absorbé pour laisser place à un autre.



Seuls les personnages s'attachent à ce qu'ils imaginent être leurs actes passés. Ils s'engagent dans des parcours disparates, dont beaucoup parodient le climat de pillage des resources de la Russie post-URSS par les oligarques et leurs mafias, à l'image du trafic qui s'organise autour des poignées de portes des wagons (un trafic dans un trafic, et libre à vous de lire ce livre durant un trajet en train pour ajouter aux mises en abyme enchâssées comme des wagons).



Le personnage principal Andreï, s'engage lui dans un parcours très différent. Plus il chemine physiquement et spirituellement au sein de ce train et plus l'on régresse vers un point zéro comme une décélération de la vitesse du train. Selon les bouddhistes, la méditation a pour vertu d'arrêter le mouvement de la flèche illusoire du temps. de la flèche jaune horizontale émerge une flèche intérieure verticale. le samadhi dissipe le samsara.
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La mitrailleuse d'argile

Pour développer ce roman, Viktor Pelevine a fait appel à la méthode argile. Il travaille de façon empirique et itérative, en incrémentant à chaque chapitre un nouvel environnement de test pour les personnages et le lecteur. La communication est un enjeu vital de ce projet, car les personnages ne cessent de se livrer à des dialogues sur le sens de ce qu'ils entreprennent. Ils se développent ainsi eux-mêmes, dans une intégration continue de nouveaux principes. le héros et certains personnages secondaires sont des acteurs transverses de ce projet, puisqu'ils communiquent avec plusieurs réalités différentes, parfois en même temps.



Voilà c'est ça la méthode argile. Elle a ses avantages, mais elle est difficile à équilibrer : elle peut générer beaucoup d'entropie et de dysfonctionnements, synonymes de défaillances du système. du point de vue du client (le product owner, celui qui achète ce livre), il faut constater que le récit ne tient pas très bien sur la durée et finit par brasser beaucoup de vide, exactement comme le jargon dont je viens de vous bassiner sur deux paragraphes (bravo si vous avez tenu jusque là).



Tout cela pour vous faire comprendre que ce premier long roman de Viktor Pelevine tombe dans le double écueil du verbiage et de la fumisterie. L'intrigue est un gigantesque gloubi-boulga mélangeant les repères chronologiques et symboliques de la Russie du vingtième siècle pour les remixer à la sauce pelevinenne, en faisant notamment du héros populaire Tchapaïev un bodhisattva, qui cherche à éveiller le héros Piotr Poustota à la vacuité du monde, une vacuité qu'il porte jusque dans son nom (Poustota signifie « vide » en russe).



D'un côté le livre applique les codes du rêve en alternant très vite entre différentes situations, différents points de vue, différents univers, sautant souvent du coq à l'âne. Mais de l'autre il est principalement fondé sur des dialogues philosophiques, eux-mêmes fondés… sur la logique du monde éveillé. Ce mélange rend la suspension d'incrédulité bien délicat, d'autant plus que les personnages principaux ont la fâcheuse tendance à tous parler avec la voix de l'auteur, si bien que le contenu philosophique de leurs discussions abonde toujours dans le même sens, en revient toujours au même (le vide). Cette narration artificielle au possible n'aide pas à prendre le récit au sérieux. Mais surtout, le discours bouddhiste demeure assez superficiel, réduit peu ou prou à ce concept de vide, jusqu'à frôler dangereusement la confusion avec le nihilisme. Et enfin, où est passé l'aptitude de Pelevine à intégrer ce discours de façon cryptée, sous-jacente et élégante dans ses récits ?



Il me semble que l'on a affaire au syndrome du roman trop ambitieux où l'auteur veut faire trop de choses à la fois, et finit paradoxalement par exprimer moins que dans des allégories plus concises comme pouvaient l'être La flèche jaune où La vie des insectes.



Cela dit il y a de quoi rire dans ce délire déprimant, car Pelevine demeure un excellent satiriste de la Russie eltsinienne colonisée par le capitalisme. On trouve de bonnes scènes d'amour, de sepukku et de virée en avion avec un Schwarzie qui cite l'évangile selon Donald Trump (ce passage à lui seul vaut le détour). Mais malgré les prouesses aéronautiques de notre americano-autrichien préféré, le roman n'atteint pas les hauteurs promises et s'avère moins grand que la somme de ses très inégales parties. Sur le même format, iPhuck 10, plus tardif, m'a paru nettement supérieur, sans qu'il sacrifie pour cela en rien à l'irrévérence et à la folie littéraire qui caractérisent le style de Pelevine.
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Homo zapiens

Deuxième « gros roman » de Pelevine après La mitrailleuse d'argile, cet Homo zapiens (Génération P, en russe) clôt les années 1990 en s'attaquant aux manifestations premières de l'abêtissement des masses à une époque où internet n'était pas encore aussi répandu que maintenant. Je veux parler de la publicité et de la télévision.



Avec son patronyme redondant en T, l'anti-héros Tatarski rappelle le Tchitchikov des Âmes mortes. Il illustre la faillite morale et intellectuelle de sa « génération P » (comme Pepsi… et Pelevine), une génération prise entre l'effondrement du bloc soviétique et la capitalisation accélérée du pays sous Eltsine. Fraîchement émoulu de l'institut littéraire et philosophique, Tatarski est emporté par le tourbillon de l'argent, de la drogue et de la pub, en une satire incessante du monde moderne qui est surplombée par un chapitre central où un bad trip à base de « timbre babylonien » (référence à Mandelstam) confronte Tatarski au dragon Sirrush, plus connu sous son nom persan, le Simorgh. Tel un bodhisattva, la créature lui ouvre temporairement les yeux sur l'illusion du dieu argent, qui lui apparait sous les traits du babylonien Enkidu collectant et enfilant littéralement les âmes mortes de ceux dont il incarne et reflète les désirs a-vides.



Si l'imagerie éminemment postmoderne de ce chapitre était tenue de bout en bout, on tiendrait là un très bon roman. Mais ce n'est pas le cas. Là où la mitrailleuse d'argile s'avérait très décousu, Homo zapiens tombe dans l'excès inverse avec beaucoup de chapitres répétitifs mettant en scène des personnages médiocres et interchangeables, des « nouveaux russes » arrivistes pas si nouveaux puisque pouvant tous se ramener à l'archétype littéraire du poshlost. Les parodies et réécritures (elles aussi postmodernes) de pubs, amusantes au début, finissent par devenir lourdes et redondantes. Elles auraient sans doute dû être équilibrées avec la pseudo mythologie babylonienne revue à la sauce bouddhiste, trop timidement présente sur l'ensemble du roman malgré son rôle conceptuel central, le héros gravissant un ascenseur social semblable à la tour de Babel pour être confronté à un oeil divin (Enkidu, puis Ishtar) qui n'est que le reflet vide de ses illusions toujours plus grandes. Ses comas toxicomaniaques créent un mauvais karma pour la génération à venir, une chaîne karmique comme une chaîne d'hôtel ou de télé, où tout se répète et reste figé, comme si on enfilait des perles dorées, à l'instar d'Enkidu dans le pseudo-mythe pelevinien.



https://m.youtube.com/watch?v=Vi76bxT7K6U
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Critique macédonienne de la pensée française

Dans ce recueil de nouvelles, Viktor Pelevine prouve une nouvelle fois qu'il se moque du monde. Il se moque sauvagement de Charles Darwin. Il se moque sournoisement de Sigmund Freud. Il se moque sérieusement de Yukio Mishima. Il se moque grivoisement de la French Theory. Et par-dessus tout, il se moque de la Russie matérialiste post-Eltsine, sur laquelle se déchaînent toutes sortes de châtiments réminiscents des diableries de Boulgakov, depuis la colère divine de Zeus jusqu'à « L'arme de la vengeance » des nazis en passant par le piège du samsara, mis en scène notamment dans la nouvelle « Groupe de discussion » (où s'exprime la bêtise universelle de l'humanité, bien au-delà de la Russie). Il faut attendre la toute dernière nouvelle « Notes sur la recherche du vent », pour trouver la trace résiduelle d'un Pelevine un peu moins sarcastique. Sa vision du monde bouddhiste entame alors un dialogue avec le taoïsme (représenté par l'immortel Jiang Ziya). À travers le motif du vent, la notion de vide actif dérive vers le principe bouddhique du caractère illusoire du monde sensible, comme si le jeune Pelevine, pris de remords tardifs, venait se justifier de ses forfaits auprès des vieux sages taoïstes… tout en pastichant leur style et en déformant leur enseignement. Décidément, il est incorrigible.
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La Flèche jaune

Cette semaine, j’ai décidé d’embarquer dans la flèche jaune pour continuer mon voyage à travers la Russie. Tout cela n’est que métaphorique bien sûr, je me demande encore si le train dans lequel je suis montée a une réelle destination. Peu importe à vrai dire, ce n’est qu’un détail de plus du génie de l’absurde de Viktor Pelevine.



Si vous aimez le concret, alors ce livre n’est pas pour vous. Si par contre vous êtes adepte de l’effet miroir, de ces réalités qui n’en sont pas mais qui ont un fond bien ancré malgré tout dans le monde que l’on connait, alors plongez dans Pelevine les yeux fermés.



La Flèche Jaune m’a emmenée au train de la vitesse des rayons du soleil qui tombent sur la table alors que vous prenez votre petit déjeuner du matin, c’est vous dire. Dans ce huis-clos, tous les personnages sont volontairement stéréotypés, et l’absurde flotte avec le burlesque, effet miroir de la Russie post-soviétique.



Tout est décousu, puis recousu par la file interminable des wagons de la Russie. L’opposition Est / Ouest est flagrante. A l’Est, on vit dans des wagons sans couchettes, sales et bondés et on utilise du papier journal en guise de papier toilette. A l’Ouest, les compartiments sont spacieux et confortables et on a du papier toilette. Un commerce parallèle se tisse dans les couloirs ("Avez-vous du papier toilette à l'effigie de Saddam Hussein?") , on parle de religion, de Saddam Hussein, de thé…



Lorsque j’ai tourné la dernière page, le sentiment d’Andréi m’a sauté à la gorge. Ai-je bien lu ? Ai-je tout compris (je ne crois pas, il y a certainement des références qui m’ont échappé) ? Ces gens existent-ils vraiment ? Est-ce cela la Russie ? Et c'est là que réside le talent de Pelevine, dessiner la réalité dans un chaos absolu...


Lien : http://lelivrevie.blogspot.f..
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Iphuck 10

L'avis qui suit a été rédigé par un algorithme. Il a été généré selon les séquences d'imitations incluses dans la dernière version du logiciel, qui en est encore à sa phase bêêêta. Nous nous excusons pour tout bug encouru lors de votre test.



Je tiens en premier lieu à remercier l'algorithme Porfiri Petrovitch (@GenerationP sur Twatter) pour nous avoir fait confiance en laissant open source son compte rendu d'enquête, qui est aussi le roman policier généré à partir de cette enquête. A la fois détectives et écrivains, les nouveaux algorithmes ont toute mon admiration transie. Voyez leur ardeur au travail ! C'est l'avantage de ne pas exister. Car oui, les algorithmes n'existent pas vraiment. En tant que sujet, un algorithme est un vide. Imaginez cela. Et voyez comme en l'imaginant on a l'impression de ne rien imaginer. Renversés vous êtes.



L'être, ce serait donc le néant ? Disons plutôt qu'il n'a pas de permanence (surtout à l'époque de la réalité virtuelle, désormais accessible sur vos smartphones-sexbots afin d'exercer votre droit à la copulation artificielle, infiniment plus inclusive et non binaire que les interfaces charnelles d'antan). Même le narrateur de ce livre ne reste pas le même de bout en bout (c'est sans doute pour ça que l'auteur s'appelle Pelevine), car parfois le virtuel ouvre grand la voie du Nirvana littéraire. Et nous autres, braves condisciples, devons suivre à notre rythme, en apprenant à nous défaire des schémas préétablis : il n'y a pas de héros ici. Pas de roman conventionnel non plus, et surtout pas les romans qui « décrivent l'état obscurci d'un esprit non développé passant d'un paroxysme infernal à un autre, cet esprit enflammé et égaré étant décrit comme l'univers observable tout entier, et sans aucune alternative. » Pas besoin de vous faire un dessin à l'aquarelle : il faut parfois s'accrocher quand on lit ce livre, mais c'est toujours plus clair que du Sartre ou du Heidegger, auteurs dont on s'attache à démontrer le non-être, le temps d'un chapitre. Ce qui est certes très méchant mais touchera droit au coeur certains ex-étudiants de philosophie.



Et ce n'est qu'une satire parmi tant d'autres, une bagatelle dans un ensemble baroque qui monte crescendo 😊! Dans la première partie, on découvre aussi que l'art contemporain a évolué de façon spectaculaire, mixant comme dans un mortier de plâtre l'artisanat de construction, le street art et les mèmes internet, en version digitalisée achetée à prix d'or par les riches qui mènent la dolce vita. Cette commedia dell'arte donne quelques descriptions savoureuses, garanties d'un goût exquis, surtout lorsqu'il est question de Poutine et de la communauté LGBT 😈. Mais la provocation de l'ère pré-internet n'est pas non plus oubliée, Humbert Humbert ayant droit à un lifting digne du Brazil de Terry Gilliam 😁! Au fond rien n'a changé dans l'art moderne depuis les constats dressés par Jean Baudrillard et Juan-Romano Chucalescu : c'est une conspiration qui vise à se foutre de la gueule du monde, comme moi, MAIS avec une sorte de crédibilité 🧐.



Chaque partie ajoute une couche de complexité à ce plâtre initial, comme si ce plâtre était malaxé dans une bétonnière qui ne serait autre qu'un accélérateur de particules littéraires, effaçant peu à peu le réel au profit du virtuel, si bien qu'une fois arrivés à la troisième partie, les lecteurs les plus familiers de l'auteur et de ses textes proches de celui-ci (tel Prince of Gosplan, qui se déroulait déjà dans un univers semi-virtuel) devront eux aussi s'accrocher pour suivre la locomotive Pelevine, bien décidée à pousser son délire jusque dans les dernières extrémités et les derniers outrages, jusque dans les arcanes les plus insoupçonnés, les plus abscons, les plus superlativement superlativesques de la construction narrative savante, en forme de miroirs de fêtes foraines dont vous êtes le dindon de la farce.



Bref, Pelevine nous fait du cyberpunk à sa sauce. Peut-être encore plus punk que cyber, d'ailleurs. Pour être tout à fait précis, je pense qu'il faudrait s'imaginer un punk bouddhiste. Un punk au crâne rasé. Donc sans sa crête. Mais attention, il mord quand même, même avec des mèmes.



Est-ce une lecture légère ? Non. Est-ce une lecture de bon goût ? Certainement pas ! Dieu m'en préserve ! Car avec l'iPhuck 10, jeter un parpaing dans la mare a du bon, cela dit ne voyez là que mon avis, simple ligne de code dans un cluster de plâtre, autant dire pas grand-chose.



Qu'en pensez-vous ?
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La vie des insectes

Critique d'une société russe contemporaine au travers de prises de vue poétiques et métaphoriques d'une station balnéaire de Crimée, on suit les pérégrinations de divers hommes /femmes insectes en métamorphoses permanentes qui posent des regards variés permettant d'aborder le sujet sous tous les angles (au propre comme au figuré).

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La vie des insectes

Je ne m'étais jamais demandé à quoi pouvaient ressembler les côtes de Crimée en 1993. Et puis j'ai ouvert ce livre, déployé son étonnant paysage de station balnéaire décrépite. Une beauté maladive explorée sous tous les angles : du dessus, du dessous, à l'endroit, à l'envers, à échelle humaine, puis insectoïde, qui se révèlent souvent être les mêmes, sans aucun respect pour la logique et la stabilité des corps. Les points de vue virevoltent et se métamorphosent comme chez un Kafka sous acide.



Misérable beauté d'une Russie avide de capitalisme (« eat me », dit la mouche russe au moustique américain désirant planter sa trompe dans son abdomen). Mais la nouvelle réalité ne se démarque de l'ère soviétique que par une différence de "teintes et de poses". Soviétique ou non, la société produit des ruines qui s'enfoncent lentement dans l'humus, où les cafards et fourmis creusent les tunnels de leurs vies.



La satire est grinçante, entre l'ombre des tunnels et la lumière quêtée par les insectes volants, dans un parcours bouddhique qui constitue l'un des fils rouges du récit. Mais où est-elle, cette lumière ? Elle brûle parfois quand on se colle contre le verre qui l'abrite. La mort d'un insecte peut être si brutale…



D'ailleurs, vu d'assez haut, nous devenons tous des insectes (escaladez une tour de 30 étages, vous verrez). Tout se transforme, comme disent Lavoisier et le Yi-King. Les chemins parcourus conditionnent la forme des insectes, et agencent leurs pattes en autant d'hexagrammes différents.



Les hexagrammes ne figurent pas un état figé, mais le mouvement. C'est pourquoi ce livre est le contraire d'une collection entomologique répartie dans des boîtes de verre. L'illusion d'un sujet isolé du monde se défait, et la luciole vient éclairer la statue de Bouddha pour y refléter un sourire.
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L'Ermite et Sixdoigts

L'Ermite et Sixdoigts sont deux poulets qui vivent dans un élevage industriel. Tous deux ont un point commun, celui d'avoir été exclus de leurs groupes respectifs par leurs pairs, pour cause de non-conformité aux critères physiques ou psychologiques en vigueur. Ensemble, ils vont explorer leur environnement, essayer de cerner les règles qui le régissent avec le secret espoir de pouvoir un jour décider quelque chose par et pour eux-mêmes. Il va sans dire que ce livre est une allégorie qui évoque furieusement l'organisation de la société humaine. Je ne dis pas si nos deux poulets dissidents vont échapper à l'abattage. Ménageons un peu le suspens.
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La vie des insectes

Je ne me souviens plus, du moment et pourquoi j’ai eu connaissance du roman de Viktor Pelevine, surtout dans le chaos littéraire Français que nous subissons, avec ce formatage de roman où la plume ne prime plus mais juste le copinage des médias, critiques et maisons d’édition, j’ai remarqué le clivage des grands groupes médiatiques vers une littérature du médiocre et de l’abrutissement, nous imposant des livres sans sens, sans saveur, sans phrases littéraires, une sorte de censure littéraire du beau, Proust, Baudelaire et Boris Vian se meurt de ne pas trouver un héritier, mais l’histoire nous apprend que le médiatique ne reste pas, seul l’écriture ne meurt pas et j’espère que la postérité gardera certains de ces auteurs trop mis sous silence et Viktor Pelevine avec La vie des insectes pénètre dans le mausolée du magnifique et du grandiose avec cette allégorie caustique de la Russie. Mon préambule est surtout pour défendre ces librairies indépendantes, laissant les mots dicter leurs choix, grâce à eux, nous pouvons découvrir des auteurs perdus dans la masse de la nullité moderne, vendre, vendre, vendre… Petite recherche sur cet auteur Russe, d’une enfance sous le régime soviétique, il commence sa vie active sous la perestroïka et son ouverture vers l’occident, ces deux mondes vont influencer son écriture, d’une formation d’ingénieur, Viktor Pelevine aime le mystère, avare des médias et peu sous les feux des projecteurs, il se montre très peu, il est très actif sur son site. Son univers oscille entre réalité et fantastique, il aime ce mélange comme son roman La vie des insectes publié en 1993 dans la revue Znamia. Viktor Pelevine est considéré comme le chef de file de la nouvelle génération Russe, il est même l’un des plus novateurs de la littérature contemporaine.

Ce roman est composé de 15 nouvelles qui au fil de la lecture semblent être des proses indépendantes l’une de l’autre mais cette subtilité est éphémère, elles tissent entre elles, un écho, une résonance, c’est presque la fractale heureuse de ces fables de Jean de la Fontaine et aussi d’Ivan Krylov, ce fabuliste russe, une parodie que nous offre Viktor Pelevine, laissant dans ces mots et sa manière d’écrire , la fougue de Gogol et de cet auteur plus récent Mikhaïl Boulgakov, avec Maître et Marguerite, ce côté onirique qui dilate le roman La vie des insectes. Viktor Pelevine est un auteur qui puisse dans la culture russe ses inspirations, comme avec la pièce de théâtral, Karel Čapek, De la vie des insectes, Marc Aurèle est aussi présent dans sa prose, l’un de ces personnages lui envoyant une lettre dans le vent, comme un appel à sa philosophie, Arkadi Gaïdar est son Le Destin du tambour sonne au loin son clairon pendant que deux insectes s’adonnent au sexe, Le Cerisaie de Tchekhov s’invite aussi, comme dans L’aspiration d’un phalène vers le feu, Tchekhov devient l’image d’une lumière. Viktor Pelevine aime la culture qui a bercé sa vie et son pays pour la distiller au fil de ses nouvelles dans ce roman entomophile, la pollinisation des insectes du genre humain, pour façonner cette Russie changeante, se morcelant de la chute de l’union Soviétique vers la Russie en mutation…

Ce qui est performant dans ce roman, c’est la manière de faire douter le lecteur, car dès la première nouvelle, La forêt russe, présentant le paysage de la Crimée, dans une station Balnéaire, laissant flirter ses personnages dans ce paysage, la description de ces trois hommes est singulière, puis d’un clignement d’œil, le tableau change pour faire apparaitre trois moustiques, Viktor Pelevine creuse au fond de son âme , le fantastique que le berce, l’humain et l’insecte ne font qu’un, ces êtres vivants peuplant notre terre ont cette même vie de labeur, s’attachant à survivre à leur quotidien. Dans les différentes nouvelles, nous allons découvrir un monde du tout petit en parallèle du notre, l’humain se retrouve dans sa petitesse, il n’est pas le roi de ce monde et de sa supériorité, il devient ce minuscule insecte, insignifiant, au contraire de cette métaphore, l’insecte se met sur le même pied d’égalité que l’humain, leur souffrance est la même pour tous.

Je pourrais donner un petit aperçu de chaque nouvelles, mais je risque de me perdre dans ce st, le fantastique, car Viktor Pelevine aime détourner l’attention pour passer de l’humain à l’insecte, du rêve à la réalité, le surnaturel aspire les certitudes, comme dans la plupart de ces petites histoires, avec toujours un petit soupçon de philosophie, de culture, de littérature, et de plaisir. J’aime ces insectes tout droit sorti des Fleurs du mal, où l’alcool, le hasch et le sexe les animent, car on se saoule à la vodka, on aime se défoncer, on adore s’accoupler, on fait de la contrebande de sang, son se dévore, on se fait écraser par une chaussure, on se colle à un papier tue-mouche, on creuse encore et encore des galeries, on échappe à la milice, on pousse une boule de fumier, on se transforme, on rêve de dollar, d’Amérique, on accouche, on philosophe au clair de lune, on lit les journaux, on écoute la radio, on danse, on joue de l’accordéon, on survit, on meurt, la vie des insectes-humains ressemblent beaucoup à celles du Russe, venez vous perdre dans ce dédale amusant du monde fantastique Pelevinien.

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L'Ermite et Sixdoigts

Rejeté par ses congénères, SixDoigts tombe sur L'ermite plongé dans la contemplation des corps célestes qui éclairent leur monde. La nuit terrorise SixDoigts, mais l'Ermite lui apprend peu à peu à surmonter ces peurs ...



On découvre très rapidement que nos deux héros sont deux ... poulets de l'Elevage Industriel de volaille A. Lounatcharski.



Leur premier objectif est de franchir le premier mur du monde pour tenter d'approcher des mangeoires gardées jalousement par les nantis de ce Monde, les 20 proches, qui tentent d'en éloigner tous les autres ...



Mais les mondes se succèdent et à l'issue du dernier cercle se profile l'heure du châtiment.



Nos deux héros, à force de séances de musculation (les boulons des cages font de formidables haltères) réactiveront des muscles atrophiés et échapperont aux dieux pour affronter un destin inconnu 



Un tout petit roman, où la surprise des premières pages passées, on se prend à imaginer ce monde clos et pourtant rempli de recoins et de cachettes idéales qui seront propices à la libération des ces deux anti-héros qui ne se soumettent pas au sort de leurs congénères ! 



Une nouvelle preuve que les Editions du Rouergue regorgent de pépites :) 
Lien : http://les.lectures.de.bill...
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La vie des insectes

Dans tous les mondes de Pelevine je demande la vie des insectes.

Comme à chaque fois nous sommes projetés dans une certaine vie qui n'est pas tout à fait la nôtre mais qui lui ressemble furieusement, un peu comme dans un rêve. Chez les insectes par exemple pousser une boule de fumier est un concept et Sam Sucker, le moustique ou Marina, la fourmi pondeuse savent cela par instinct.

La prouesse littéraire réside dans l'ambiguïté constante humain/insecte qui pousse le lecteur à s'extraire de ses préjugés et de ses certitudes pour commencer sa métamorphose.
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Les nombres

Viktor Pelevine a l'habitude de nous offrir des romans qui ne ressemble à nuls autres, innovants, surprenants, décapants. C'est une nouvelle fois le cas avec cette histoire d'homme convaincu de l'influence des nombres sur sa vie. Il faut dire que la confession de ce jeune loup de la finance ressemble, du moins dans ses débuts, à un conte merveilleux, une sorte de récit initiatique avec son apprenti sorcier, sa bonne fée-chamane, une malédiction qu'il faut conjurer et un double maléfique. Et ça marche plutôt pas mal. On est de suite accroché par l'itinéraire de ce russe qui cherche à se faire sa place au soleil dans cette Russie fin de siècle qui découvre les « bienfaits » du capitalisme. Comme lui, on se prend au jeu de la numérologie et l'on en vient à croire qu'il parviendra à surmonter tous les obstacles grâce à cette aide surnaturelle.

Avec une grande virtuosité, Viktor Pelevine construit tout son roman autour des nombres. Chaque chapitre est d'ailleurs précédé de l'un d'eux qui, bénéfique ou néfaste, donne le ton de la tranche de vie qui nous est contée. L'auteur déploie des trésors d'inventivité pour faire surgir une référence à tel ou tel d'entre eux et se livre à d'étranges constructions intellectuelles pour déterminer leur valeur : une fourchette avec ses quatre pointes et les trois espaces entre celles-ci représente-t-elle un quatre et un trois (43) ou un trois et un quatre (34) ? Peut-on se fier au 6, ce chiffre ambigu qui se camoufle trop aisément en 9 ? Et que penser de certains caractères de l'alphabet cyrillique qui ressemblent de façon troublantes à des chiffres ?

Les nombres et toutes leurs combinaisons déterminent donc l'existence du héros. Elles influencent toutes ses décision, ses investissements, sa façon de manger et même ses pratiques sexuelles. Bien sûr, cette marotte sera cause de bien des situations rocambolesques et on hurlera de rire à certaines des mésaventures du pauvre Stiopa.

Mais derrière le récit joyeux et déjanté se cache une redoutable satyre. L'histoire de Stiopa se confond en effet avec celle de la Russie post-soviétique et lui-même dissimule sous son allure de Pikachu rondouillard un financier prêt à tout pour réussir. L'air de rien, Pelevine nous retrace ces années troubles qui, de Eltsine à Poutine, virent l'ascension et la chute des fameux oligarques, ces hommes d'affaires qui s'engraissèrent sur le cadavre de l'URSS. Il nous montre de quelle manière ils s'y sont pris pour s'enrichir, achetant la protection des mafiosis, pratiquant le pot de vin à grande échelle et la collusion avec le politique.

Sur le ton de la comédie, il dénonce les meurtres et le chantage, les comptes off shore, les "banques de poche" qui ne servent qu'au blanchiment de l'argent sale, bref tous les rouages du capitalisme à la sauce slave. Il en profite aussi pour se moquer de ce microcosme vain qui gravite autour d'eux, publicitaires escrocs, pseudo artistes et mannequins prostituées sans oublier bien sûr le sommet de l'état qui en prend aussi pour son grade : « Le pouvoir russe possède deux fonctions principales qui ne changent pas depuis de très nombreuses années. La première, c'est de voler. La deuxième, c'est d'étrangler tout ce qui est sublime et pur. » Pas sûr que Poutine apprécie beaucoup.

Avec « Les nombres » Viktor Pelevine dresse donc un nouveau portrait au vitriol de cette société russe tellement désorientée qu'elle préfère s'en remettre à la superstitions et à ses gourous plutôt qu'à leurs dirigeants.

28/10/2014
Lien : http://sfemoi.canalblog.com/
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Iphuck 10

C’est l’histoire d’un abandon.



Pourtant, j’avais hâte de découvrir la plume de Victor Pelevine, auteur contemporain russe.



Le point de départ de l’histoire est le suivant : dans un futur proche, hyper connecté, Porfiri est un algorithme perfectionné qui résout des enquêtes criminelles tout en écrivant des romans narrant ses propres aventures.



Il est engagé par Mara, une historienne d’art, afin d’enquêter sur des œuvres. Mais, Porfiri se rend compte que le but de la jeune femme est bien différent de celui qu’elle lui a avoué. S’engage alors une sorte de jeu de dupes entre l’intelligence artificielle et la jeune femme.



Ce roman pose plusieurs problèmes très intéressants, notamment sur l’hyperconnectivité, dont on ressent déjà les effets actuellement, avec les publicités ciblées, les traces de nos vies en ligne accessibles à quiconque sait chercher.



Cependant j’ai été confrontée à plusieurs difficultés qui m’ont, au final, conduit à arrêter ma lecture dans le dernier tiers du livre.



Déjà, les concepts développés sont souvent complexes, très complexes, en informatique ou codage, et je me suis retrouvée perdue.



Mais ce sont surtout plusieurs passages problématiques qui m’ont gêné. Par exemple, la géopolitique de ce futur semble sortie tout droit des imaginations des extrêmes droites les plus nauséabondes.



Je vous passe, également, certaines remarques sexistes. Au bout d’un moment, je me suis demandée le pourquoi du comment de ces passages : sont-ils ironiques ? Condamnés ou pas ? J’ai eu l’impression que l’auteur écrivait plein de passages problématiques et laissait le lecteur se débrouiller avec.



C’est peut-être ce qui fait la force du style de Pelevine, une expérience où l’auteur se met en retrait laissant le lecteur s’interroger et finalement créer son propre concept littéraire mais j’ai été dépassée.
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