Vincent Duclert

Camus incite chacun de nous à penser,même et plus encore quand l'espoir s'est échappé. Il amène à regarder la fragilité des êtres et des choses belles. Il oblige au dépassement de soi et à la fidélité pour tout ce qui doit demeurer sur terre. Il confère à la pensée transmise un caractère héroïque.

Camus a mené jusqu'à une forme de perfection la description des paysages et la relation que des personnes ou des sociétés pouvaient entretenir avec eux. De cette double écriture du réel et de l'imaginaire, de la poésie et de la politique, sont nés les pays de Camus qui ressortent très visuels, picturaux même, à la lecture de leur évocation.

«  C’est qu’au fond , il n’y a qu’une seule race : L’Humanité . »

Avec Jaurès, la République se laisse saisir dans sa vocation à grandir, s’ouvrir et s’élargir. Elle n’est pas une notion abstraite, mais un présent et un futur politiques en marche vers davantage de justice et de liberté, un lien civique et intime rendu vivant par le pouvoir critique du socialisme démocratique.

Le corps de Jaurès foudroyé, retombé sur Renaudel, est maintenant étendu au milieu de la salle du restaurant. Devant Le Croissant et autour du siège de L’Humanité, la foule grandit. Renaudel l’enjoint de ne pas manifester. Ceux qui croyaient encore la paix possible sont accablés par la nouvelle. En réalité, la guerre a bel et bien commencé. Rien ne peut arrêter sa marche. Jaurès avait choisi de combattre cet engrenage inéluctable, refusant la fatalité du nationalisme et de la haine. Il est le premier mort d’une guerre qui va plonger le monde dans une ère de destruction matérielle et morale.

La poésie qu'elle inspire, les poèmes qu'on lui adresse, sont les indices les plus sûrs de la double vocation de Paris capable d'enseigner l'universel et dans le même temps de laisser chaque individu exprimer sa propre voix.

«  Quel que soit l’être de chair et de sang qui vient à la vie, s’il a figure d’homme, il porte en lui le genre humain » …

Le courage c'est d'aimer la vie et de regarder la mort d'un regard tranquille ; c'est d'aller à l'idéal et de comprendre le réel ; c'est d'agir et de se donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l'univers profond, ni s'il lui réserve une récompense.

Sauver Paris, c'est plus que sauver la France, c'est sauver le monde.
Paris est le centre même de l'humanité. Paris est la ville sacrée.
Qui attaque Paris attaque en masse tout le genre humain.

Jaurès aspire à ce que le socialise rejoigne les grandes philosophies de la justice et de la liberté, qu'il s'ouvre vraiment sur l'humanité, qu'il s'arrache à son marxisme dogmatique et à son romantisme révolutionnaire.

Les tristes ont deux raisons de l'être, ils ignorent ou ils espèrent.

D'Apollinaire à Neruda, de Baudelaire à Senghor, les représentations poétiques de Paris peuvent paraître bien éloignées de la réalité. Mais c'est le propre de telles métropoles que de suggérer des imaginaires puissants qui permettent de penser la ville sous une forme idéale, que l'on veut conserver pour l'éternité.

Accorder du sens aux mots, observer la pratique, ranimer les questions, Jaurès se donne des principes d’action qui relèvent de la pensée et qui, en même temps, soutiennent l’action. Celle-ci appelle du courage, le courage de la vérité que Jaurès exige pour lui-même comme il le demande à ses adversaires. Il veut une politique sincère. Il rejette « cette sophistication sournoise de l’idée républicaine » qu’acceptent bien des républicains.

Dans les plis de Gezi se réparent les mémoires, s’élèvent les identités multiples qui font vivre les peuples. Ils peuvent regarder leur passé sans honte ni peur, dans la vérité qui tisse les paix futures. Ni le génocide des Arméniens, ni l’écrasement des Kurdes, ni la persécution des Alévis ne sont tabous au Gezi. Les cœurs et les mémoires s’entrouvrent. La peur au quotidien a disparu

L’occupation de Gezi Parki débute, et avec elle le commencement d’un mouvement aux configurations indistinctes, mais doté d’une dynamique que personne ou presque n’a imaginée, traversé d’une conviction sans faille, celle d’une liberté revendiquée dans l’invention de l’avenir

Aller de la poétique à la politique, retourner aux mots les plus simples et aux gestes ordinaires d’une société humaine, suggère aux chercheurs d’apprivoiser la langue des poètes, pour parler des événements du monde et révéler leur trace dans les imaginaires démocratiques

Tout livre d'histoire est aussi un livre sur l'histoire, sur sa place et sa fonction dans la société.

Cependant il n'était pas possible de parler du sentiment de fraternité dans les sociétés démocratiques sans rappeler que la France avait eu l'honneur de faire de ce grand sentiment humain un principe de gouvernement, que le principe de fraternité était inscrit dans la devise de la Révolution française, au même titre que la liberté et l'égalité. Le sentiment de fraternité est inséparable de ces deux autres principes, et il les complète. Qui a trouvé cette admirable devise ? Est-ce un homme de génie, est-ce un philosophe profond qui a réuni dans un même groupe ces trois mots inséparables qui ne peuvent être détachés les uns des autres ?

Le Gezi Parki est un lieu de liberté au quotidien et un concentré d’imaginaire, politique par sa position de spectateur en surplomb de la place, historique par son rappel de la ville ottomane faite de jardins et de maisons aujourd’hui disparus, social par sa vocation à la sociabilité et à la mémoire

Il fallait revenir à Istanbul, retourner à Taksim, revoir le jardin sauvé de la destruction, arpenter la ville comme si souvent dans le passé sans savoir où on allait, avec la certitude que c’était chaque fois un voyage