Citations de Wally Lamb (217)
Elle continua à me dévisager sans sourire. Si, à ce moment-là, on m’avait donné le choix entre rester là et un traitement canalaire, j’aurais foncé chez le dentiste.
- Et maintenant, que diriez-vous d’un passage de saint Augustin ?
— Pourquoi pas ? » fis-je en haussant les épaules.
Elle ouvrit un livre relié en cuir rouge sang. « Mon âme était mal en point et couverte de plaies. J’étais las de la porter, mais ne savais où la poser. Ni les charmes de la campagne ni les doux parfums d’un jardin ne pouvaient l’apaiser. Je ne trouvais la paix ni dans les chansons, ni dans les rires, ni dans les repas pris en compagnie d’amis, ni dans les plaisirs de l’amour, pas même dans les livres ou la poésie… Où mon cœur pouvait-il échapper à lui-même ? Où fuir loin de moi-même ? »
Ma petite, les coïncidences, ça n’existe pas. C’est la façon qu’a Dieu de rester anonyme.
(p. 167)
Le destin distribue les cartes, mais c’est à nous de jouer la partie.
(p. 32)
Quelques jours plus tard, on m’informe que le comité du festival est furieux de mon choix, et je lis le lendemain dans le journal local qu’un visiteur courroucé s’est précipité sur le tableau de Jones, bien décidé à le détruire, et que ce prétendu critique d’art s’est battu avec l’artiste. Cette nouvelle me ravit. N’est-ce pas là après tout le but de l’art ? Interpeller et, si nécessaire, déranger le spectateur ? Faire un pied de nez à la tradition et défier l’ordre établi ?
Nous sommes comme l’eau, non ? Capables de fluidité, de flexibilité quand il le faut. Mais aussi capables d’être forts, destructeurs.
Et capables d’autre chose encore, me dis-je en mon for intérieur. Comme l’eau, nous suivons le chemin de moindre résistance.
Toute la vie est venue de l’océan, n’est-ce pas ? Même nous. Nous sommes sortis de l’eau, nous avons développé des pieds, de plus gros cerveaux, nous nous sommes redressés et avons commencé à marcher. Logique, non ? Les neuf premiers mois de notre vie, nous flottons dans du liquide. Puis nous rencontrons l’air froid, la lumière crue du jour, et nous commençons à verser des larmes salées.
On ne peut jamais faire totalement confiance aux psys, même s’ils paraissent sincères. Donc on ne dit pas tout, on raconte des conneries, on les manipule un peu pour s’amuser. Toutefois, les questions qu’elle ne cessait de me poser ont tout fait remonter, avec une netteté si grande qu’on aurait dit que je le revivais…
Quand un homme et une femme tombent amoureux et se marient, le sexe est l’un des bonheurs de leur vie commune ; ce n’est pas que pour faire les bébés…
Suzanne comparait cette institution à une voiture que l’on entretient parce qu’on l’aime et qu’on veut la faire durer. Écouter le moteur, alterner les pneus, vérifier le niveau d’huile.
toujours cette incroyable et belle écriture pour parler de ce qui touche les Hommes ...
Fais demi-tour, je me suis dit. Mais au lieu de suivre ce conseil, j'ai ramassé les gâteaux, je les ai remis dans le plat et je suis descendue de voiture. Au même moment, le dindon a foncé sur moi. Il m'a poursuivie jusque sur le perron en étirant son cou pour me donner des coups de bec. Je lui jetais des gâteaux en hurlant le nom de Thayer.
Il est sorti, les cheveux mouillés et en peignoir de bain, il riait.
Ce qui l’angoissait le plus, ce n’était pas les grandes questions –la cruauté du destin, ou l’existence d’un au-delà. Il était trop épuisé pour se poser ce genre de questions. Mais il ne supportait pas que les gens gâchent leur existence, qu’ils gaspillent leur vie comme on jette de l’argent par les fenêtres.
L’obésité faisait partie de mon attitude de refoulement, m’avait expliqué le Dr Shaw. Sauf que maintenant je grossissais sans refouler quoi que ce soit. Qu’est-ce que je cherchais à refouler ? Le fait que j’étais incapable de garder un boulot ? Qu’une vieille femme s’était attachée à moi et que je l’avais pratiquement poussée dans l’escalier ?
Le plus terrifiant était l’absence de chagrin : tout au long de la journée, j’ai regardé la télé, oubliant qu’il était mort.
La vie était une farce absurde. Les Buchbinder avaient survécu aux camps de la mort pour se retrouver dans un trou de rat, à vendre du vomi en caoutchouc, des Smurfs, et des plaques minéralogiques « Merde à l’Ayatollah ». Pas étonnant que j’aie envie de tout plaquer.
J’avais passé six ans dans cette chambre, six ans de rage, à me gaver de nourriture pour essayer d’oublier ma souffrance. Je comprenais à présent pourquoi maman s’était battue bec et ongles pour que j’aille à l’université –et m’avait laissée l’insulter, la déchirer avec mes mots cinglants quand on se bagarrait, elle et moi, parce que je refusais d’aller à l’école. Maman avait compris que la maison de grand-mère était dangereuse –avec ses meubles pesants et ses épais rideaux qui vous coupaient du monde, vous étouffaient, vous rendaient monstrueux et féroce comme un animal pris au piège.
Un soir, alors que j’étais en train de repasser la nappe, j’ai commis l’acte le plus audacieux de tous. A la télé, il y avait un spot publicitaire pour Revlon. Juste au moment où le spot allait me convaincre d’essayer leur nouveau fond de teint –juste au moment où j’allais me mettre à fredonner le jingle et regretter de ne pas ressembler à la femme qui passait à la télé-, je me suis approchée du poste et j’ai jeté la nappe par-dessus. Le résultat m’a stupéfiée. Sans l’image pour vous séduire, la télé n’était plus qu’un fantôme, une voix inoffensive.
Il avait préparé le dîner : du chou, du tofu et des pois gourmands revenus à la poêle. Au lieu de manger, je me suis mise à séparer les ingrédients et à les ranger par catégorie avec ma fourchette –une attitude que le Dr Shaw aurait qualifiée d’ « agressivité passive ». Dante le méritait, et même plus. « Tueur de bébés ! » j’ai pensé en silence, en le regardant manger.
Plus tard, quand le téléphone a sonné et que je me suis aperçue dans la glace, j’ai été frappé de voir à quel point les cheveux devenaient gras quand on ne les lavait pas pendant cinq jours. Et tout était comme ça. Une seconde d’inattention et tout tombait en ruine.