Critiques de Walter M. Miller (40)
Préserver la science, préserver la conscience : comment ?
Sorti en 1959, l’unique roman publié par Walter M. Miller de son vivant est l’assemblage, légèrement retravaillé, de 3 nouvelles publiées auparavant en revue, parmi la quarantaine qu’il écrivit.
Ingénieur de formation, membre d’un équipage de bombardier durant la seconde guerre mondiale, c’est en participant, à sa grande horreur, à la destruction de l’abbaye de Monte Cassino en 1943 (une action alliée que les historiens s’accordent aujourd’hui à considérer comme l’une des plus stupides de la guerre), que lui vint l’idée de ce roman.
Après le quasi-anéantissement de la civilisation actuelle par échange mutuel de missiles nucléaires intercontinentaux, et après la sauvage chasse populaire à tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un savant, voire à un simple lettré, qui s’est ensuivie, un ordre monastique, misérable et sans moyens, s’est créé au sein de l’église catholique survivante : les disciples de Leibowitz (obscur ingénieur électricien mort en martyr lors de la grande chasse à la science), basés dans une abbaye du Nouveau-Mexique, se chargent, avec une infinie dévotion, de la collecte et de la sauvegarde des « memorabilia », traces écrites, si possible scientifiques, mais en tout cas désormais rigoureusement incompréhensibles, de la civilisation technique disparue.
La première partie, « Fiat homo », narre la vie austère de Francis Gérard de l’Utah, un disciple un peu simplet que le hasard (ou l’ombre fantomatique et fantastique de Leibowitz lui-même, réincarné en un étonnant Juif errant) amène à découvrir les restes des derniers jours de l’électricien martyr, ainsi qu’un véritable trésor de documents d’époque, découverte qui, après un très long processus de canonisation, aboutit à la sanctification de Leibowitz et à un singulier rehaussement de l’importance et du prestige de l’ordre et de sa mission au sein de l’Église.
La seconde partie, « Fiat lux », six siècles plus tard, place l’abbaye à l’épicentre d’une « Renaissance » scientifique en pleine germination, et voit aussitôt se (re-) développer les conflits entre préservation neutre de la science, conscience des conséquences du progrès, fuite en avant dans l’ingénierie malgré les nombreuses incompréhensions résiduelles de la physique du lointain et glorieux passé, et appropriation politique par des micro-États ressortant à peine de ce nouveau Moyen-Âge, en pleine lutte pour l’expansion et la suprématie.
La troisième partie enfin, « Fiat voluntas tua », encore six siècles plus tard, voit une civilisation redevenue peu ou prou « la nôtre » retomber, malgré avertissements et mises en garde, dans les ornières passées, et se préparer avec fièvre à un possible échange nucléaire généralisé, tandis que les moines de saint Leibowitz affrontent déjà les tragiques conséquences médicales, sur les populations, des premières frappes limitées venant d’avoir lieu, tout en mettant la dernière main, en grand secret, au projet de l’Église de lancement d’un vaisseau spatial « générationnel » qui emmènera les trésors de savoir accumulé en sécurité auprès des colons partis pour Alpha du Centaure.
Dans ce roman surprenant, récompensé par le prix Hugo en 1961, figurant en bonne place au sein des « classiques » du genre, ce n’est pas l’histoire et la fresque d’ensemble qui emportent l’adhésion, mais bien le traitement sobre, au plus près du terrain et du détail, de cette quête mystique de préservation du savoir en vue de jours meilleurs, nimbée d’une douce lumière transcendante, où la piété des moines est confrontée chaque jour à leurs propres limitations, ignorances ou tragiques fragments d’humanité… La première partie, tout particulièrement, en y incluant sa fin abrupte et violente et ses éléments de « doute » fantastique, est extrêmement réussie. La deuxième est un peu plus banale, même si la peinture du « savant renaissant » qui y prend place est savoureuse, et inquiétante, et si la transfiguration du mythe du Juif errant qu’y accomplit Miller vaut le détour. La partie finale, si elle était sans doute nécessaire au propos d’ensemble, passe nettement moins bien : la description des relations entre États, même pour 1959, est trop caricaturale, les préoccupations des religieux sur la présence d’évêques permettant l’ordination de prêtres au sein de l’expédition spatiale fait, disons, sourire, et le long débat entre l’abbé et le docteur sur l’euthanasie des victimes des radiations m’a même semblé carrément déplacé…
Mentionnons aussi l’influence durable de ce roman sur l’ensemble de la science-fiction, et l’extraordinaire descendance qu’il engendra à travers le « Riddley Walker » de Russell Hoban, magnifiquement traduit en français en 2012 par Nicolas Richard sous le nom d’ « Enig Marcheur », dont l’approche révolutionnaire de cette phase de ténèbres et de résurgences post-apocalyptiques, qui en fait un authentique chef d’œuvre, n’aurait pas pu exister, de l’aveu même de son auteur, sans les ferments déposés par Walter M. Miller et son humble « cantique ».0
Mentionnons aussi l’existence d’une suite tardive, « L’héritage de saint Leibowitz », publiée en 1997 après avoir été terminée par Terry Bisson, suite au suicide de Walter M. Miller, qui se débattait depuis de longues années avec une maladie particulièrement éprouvante, en 1996.
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le récit ne tient pas toutes ses promesses. Peut-être faut-il plus le voir comme les réflexions d’un auteur sur les agissements et le manque de discernement de l’humanité face aux dangers d’une science sans conscience (réminiscences de la Guerre Froide certainement, le roman ayant été écrit en 1959), une sorte d’essai ou de conte philosophique incontestablement très intelligent et posant des questionnements très profonds, mais aux qualités narratives assez bancales.
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Ils se serrèrent les mains délicatement. Dom Paulo savait que ce n’était point là gage d’une trêve, mais signe de respect mutuel entre ennemis. Peut-être ne serait-ce jamais plus.
Mais pourquoi fallait-il tout recommencer ? Rejouer toute la pièce ?
La réponse était toute prête ; le serpent murmurait toujours : « Mais Dieu sait qu’au jour que vous en mangerez, vos yeux seront ouverts, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. » Le vieux menteur, père de tous les mensonges, savait dire des demi-vérités avec astuce. Comment « connaître » le bien et le mal avant d’en avoir goûté un peu ? Goûtez et vous serez comme des dieux. Mais ni la puissance infinie, ni l’infinie sagesse ne pouvait accorder à l’homme la divinité. Pour cela il fallait aussi qu’il y eût un amour infini
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SF (Fantasy) qui fait réfléchir. Apocalyptique L'éternel recommencement de la folie humaine. J'ai trouvé la fin bizarre.
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L'histoire se déroule dans un futur post-apocalyptique où la Terre a été ravagée par le feu nucléaire. Les scientifiques sont mis à mort car responsables cette technologie semant la mort. Une communauté de moines préservent les écrits de l'un de ses savants, Leibowitz, en espérant le retour à une civilisation où la science aura toute sa place et serait utilisée à bon escient. Le livre est divisé en trois récits. Le premier raconte la trouvaille d'écrits de saint Leibowitz mettant en émoi toute la communauté religieuse. Le deuxième récit relate la volonté d'un savant de comprendre et d'utiliser les écrits de Leibowitz. Enfin, le dernier texte, qui se déroule des années et des années plus tard, montre le retour de la science au sein de la société dont les gouvernements ne peuvent s'empêcher de l'utiliser pour anéantir autrui. Grand classique de la science-fiction, Miller étudie les liens complexes entre la science et l'utilisation qui y est faite par les gouvernants. Le livre est intéressant pour cette étude en 3 temps, quelques fois un peu mystérieuses du fait des nombreuses locutions latines présentes dans le texte et qui ne facilite pas la lecture. Néanmoins, un livre de science-fiction plaisant.
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J’ai l’impression d’être passé à côté de ce livre.
Les première pages ne m’ont pas intéressé et les autres n’ont donc pas pu faire mieux. Dès le début de ma lecture, j’ai trouvé la traduction plate et sans goût. J’ai aussi eu à relire de nombreuses pages après les avoir lu une première fois sans en comprendre le sens.
Les critiques et nuances que présente l’auteur sont intéressante mais leur exécution semble atténuer le messages qu’elles transporte.
Outre ces deux choses, je n’ai rien à dire à propos de ce livre. Je l’ai simplement trouvé plat et je n’en garderai probablement aucun souvenir d’ici quelques années.
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Après la catastrophe nucléaire, des moines sont chargés d'essayer de préserver les livres et le savoir d'avant la guerre, 600 ans plus tôt, contre les barbares errants. 1200 ans plus tard l'homme est à nouveau la cause d'une guerre nucléaire grâce au savoir qui a été retrouvé ! Cette fois rien ne semble avoir été laissé vivant sur Terre. Seul un vaisseau de moines et de soeurs et ce qu'ils avaient récupéré de livres de la première guerre nucléaire a eu le temps de partir à bord d'un vaisseau interstellaire...
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Un récit post-apocalyptique très original, centré sur la religion et plus particulièrement sur la création de l’ordre de Leibowitz qui s’est fixée pour tâche de sauver le savoir de l’humanité dans un monde retourné à la barbarie. Trois périodes sont décrites, la première étant la plus intéressante et pleine d’humour sur les croyances qui forgent une religion.
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Sauf pour se moquer de la naissance des reliques et des miracles (bien vue d'ailleurs), le roman ne fait qu'une banale transposition. L'auteur a pris l'histoire de l'Eglise occidentale au Moyen-âge et l'adapte au Nouveau-Mexique après une fin du monde nucléaire. Donc, si vous savez déjà comment les moines ont copié et recopié des ouvrages de l'Antiquité, comment ils les ont préservés des invasions, comment ils ont évangélisé les populations à coups de récits invraisemblables, et j'en passe, je ne suis pas certain que vous apprécierez beaucoup le roman.. Dommage, car ce n'est pas mal écrit, avec quelques réflexions philosophiques de-ci, de-là. Pour ma part, je me suis arrêté à la moitié du livre après avoir attendu vainement un peu d'action.
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Généralement, un roman de SF reflète l'époque de sa rédaction et Walter M. Miller Jr. N'échappe pas à cette règle. « Un cantique pour Leibowitz » est, à l'instar de nombreuses autres œuvres science-fictionnelles (cinématographiques et littéraires) des années 50 et 60, empreint du climat et du contexte de la Guerre froide. Ainsi, dans ce roman transparaît les craintes de l'auteur : guerre nucléaire, disparition de la culture humaine, régression intellectuelle et technologique,... avec comme morale que l'Homme est incapable d'apprendre de ses erreurs et est condamné à les répéter dans un cycle de violence permanent. Un constat peu réjouissant et pessimiste que l'écrivain agrémente d'une touche d'humour et d'un ton sarcastique.
« Un cantique pour Leibowitz » remporta même le prix Hugo en 1961et est devenu depuis une référence dans le genre ; raisons principales pour laquelle je me suis penché sur ce livre. Ce dernier se divise en trois parties, chacune séparée dans le temps de plusieurs siècles afin de nous montrer l'évolution de cette abbaye, bastion d'un savoir ancien et menacé, et du monde post-apocalyptique dans lequel elle s'ancre.
La lecture de ce roman me fut sympathique mais ne présente rien de transcendant. Miller verse parfois trop dans la caricature (notamment dans la dernière partie) et son intrigue se développe d'une manière qui n'est pas toujours passionnante. L'auteur pose cependant de bonnes bases de réflexions et le traitement psychologique de ses personnages est plutôt bien réussi. Il lui manque surtout la qualité de « conteur d'histoire » pour rendre cette épopée plus vivante et captivante. Pas mal donc mais sans « plus ».
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Malgré des chapitres (légèrement) inégaux (FIAT HOMO étant celui que je préfère). Il s'agit ici d'un excellent roman qui se lit extrêmement bien.
Toutefois, une petite chose que l'on retrouve dans les trois chapitres, ma passablement irritée. Malheureusement et afin de m'éviter de m'attirer les foudres d'une certaine communauté religieuse, il m'est impossible de l'exposer ouvertement : un comble pour un roman à caractère foncièrement religieux.
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L'histoire obéit-elle à un cycle ?
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Riche et étonamment actuel par ses thématiques.
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Etonnamment dérangeant.
Bizarrement mystique.
Malheureusement visionnaire?
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L'unique roman de W. M. Miller, dans une traduction révisée et complétée (celle de 1961 était caviardée, comme c'était malheureusement courant pour les littératures supposées mineures, SF et policier, pour satisfaire à un nombre de pages maximum). C'est une histoire de monde post guerre nucléaire, originale parce que centrée sur un ordre monastique qui s'emploie à sauvegarder des traces de l'ancienne civilisation à travers une période de régression barbare, une sorte de nouveau Moyen Age. Méditation pessimiste sur le devenir de la civilisation technologique (à la fin, la guerre nucléaire recommence), avec des scènes de guerre fortes où Miller paraît extérioriser ses propres traumatismes de vétéran de la seconde guerre mondiale. Après ce roman, remarqué et récompensé par le prix Hugo, il n'écrira quasiment plus rien, comme si l'écriture avait été une tentative de surmonter ou d'objectiver sa douleur psychique. Un beau texte, mais sombre.
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Après la guerre nucléaire seul un monastère garde précieusement les secrets humains enfouis... Quand la science fiction se fait philosophie.
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Ecrit 30 ans plus tard cette suite qui n'en est pas une car elle se passe quelque part avant la fin est très très décevante, quasi sans intérêt !!!
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Un certain temps après une guerre nucléaire, l'humanité survivante est éparpillée de-ci de-là et vivotent dans une ambiance de Moyen-Age post-apocalyptique. Les moines de l'ordre albertien de Saint Leibowitz tentent de mener à bien leur mission: conserver les traces des savoirs pré-Grand Déluge de Flammes, détruits à la fin de la guerre car jugés responsable (avec les scientifiques) de la destruction du monde.
En 3 partie, chacune se déroulant à plusieurs siècles de l'autre, nous suivons le monastère de Saint Leibowitz dans sa quête de découverte et de protection de reliques et d'ouvrages scientifiques datant d'avant la guerre, ainsi que les nombreuses interrogations qui vont se poser au fur et à mesure que l'être humain va réapprendre et redécouvrir, par lui-même et à l'aide de ces vieux manuscrits, les savoirs et pratiques scientifiques qui l'ont, auparavant, conduit à sa perte.
Malgré parfois quelques longueurs, Un cantique pour Leibowitz est un roman très prenant, qui nous mène de scènes drôles en réflexions plus profondes, que ce soit sur la mémoire et sa (nécessaire?) transmission ou encore sur la capacité de l'homme à progresser sans toujours tenter de s'auto-détruire. La vie quotidienne du couvent est dépeinte par Miller avec précision et humour, et si l'on peut ne pas forcément adhérer à la posture de l'auteur qui semble dire que la religion et la morale qui l'accompagne seules peuvent permettre une utilisation raisonnée et positive des sciences, et au-delà, amener à une vie paisible, la force que met Miller dans la dénonciation du nucléaire en l'intégrant dans la mythologie des gens des siècles après la catastrophe initiale en l'imageant (le Grand Déluge de Flammes, les Retombées, la Simplification, les Enfants des Retombées...) pousse à la lecture et au frisson.
Un très bon livre, que l'on peut considérer comme un classique de la science)fiction et du post-apo?
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